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Subsidiarité, Fédéralisme et Globalisation

mercredi 2 avril 2008

Le but de cette réflexion est d’identifier les forces économiques qui s’exercent sur les administrations publiques nationales et locales, en conséquence de la globalisation. La thèse est nette. La globalisation, entendue au sens de libéralisation des échanges, s’avère dans les temps modernes la source la plus puissante de la subsidiarité, parce qu’est le déterminant principal du vrai fédéralisme à l’échelle mondiale. On peut même soutenir que la globalisation est antérieure à la dévolution des fonctions. Elle est la condition nécessaire et suffisante de la diffusion du pouvoir .

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler le sens analytique à donner au phénomène de globalisation. Globalisation veut dire libéralisation des économies nationales en conséquence de deux phénomènes. Depuis la deuxième guerre mondiale, on assiste à l’abaissement ininterrompu des tarifs et des autres formes de protectionnisme, d’abord à l’intérieur de l’Organisation mondiale du Commerce , et, plus récemment à l’intérieur des blocs de libre-échange que sont l’ALÉNA, l’Union Européenne, Mercosur, etc. Le deuxième phénomène à signaler est la révolution survenue dans la technologie (communication et information surtout). L’un et l’autre phénomène ont pour effet de conférer une mobilité accrue aux ressources, biens, capital et main d’œuvre. À son tour cette mobilité soustrait les ressources nationales au contrôle des régulateurs et souvent du fisc national.

I. Le fédéralisme supranational par le libre-échange

Les économistes ont en général bien accompli la tâche d’expliquer les bienfaits du libre-échange sur le niveau de vie. Ils n’ont par contre pas suffisamment souligné les bienfaits du libre-échange sur les administrations publiques. Dans le secteur public, les forces globales s’exercent indirectement, mais tout aussi fortement et par le même mécanisme de mobilité des ressources.

La suppression des barrières commerciales associée aux ententes de libre-échange (ALENA), de marché commun (Union européenne) ou à l’OMC (GATT), crée exactement à l’échelle internationale les conditions correspondant au fédéralisme. En conséquence de la mobilité accrue des ressources, toute intervention inefficace par un gouvernement national impose un fardeau plus lourd aux nationaux qui en sont victimes. L’ouverture de l’économie nationale au libre-échange permet aux producteurs locaux de déplacer plus facilement leurs ressources et aux demandeurs de s’approvisionner ailleurs. L’imposition aux ressources locales productives de taxes et de réglementations sensiblement plus lourdes que celles des juridictions voisines, sans contrepartie du côté des bénéfices, élève les coûts de production relatifs et suscite la substitution d’importation à la production locale et l’éloignement du capital. Dans la mesure où le fardeau de ces mesures se fait sentir de façon plus visible et plus vive sur la main-d’oeuvre, celle-ci est amenée à résister davantage au pouvoir discrétionnaire des monopoles nationaux. À la limite, les victimes d’abus par les pouvoirs publics peuvent toujours "voter avec les jambes" et quitter le territoire national. Les pouvoirs que perd l’administration centrale quand le régime se décentralise, les administrations décentralisées ne les récupèrent qu’en partie, parce que la mobilité des ressources soustrait leurs détenteurs au poids des politiques qui les défavorisent. C’est donc le citoyen qui en bénéficie. L’interventionnisme étatique a plus de chance de reculer.

La globalisation diffuse aussi les idées tout autant que les produits, le capital et les technologies. L’Europe et l’Asie s’initient progressivement aux vertus des takeovers. Les administrations publiques, bon gré mal gré, sont en concurrence les unes avec les autres.

Grâce à la concurrence indirecte provenant ainsi des autres gouvernements nationaux en matière de services publics, ce fédéralisme supranational circonscrit le pouvoir déjà diffusé entre les autorités nationales et les retient d’imposer des taxes et des réglementations que la population ne désire pas. L’un des principes fondamentaux de l’analyse veut qu’à l’intérieur d’un marché commun ce soit les membres de l’économie nationale qui portent le fardeau des politiques inefficaces de leur gouvernement national, tout comme c’est eux qui en encaissent les bénéfices. Par exemple, ce sont les contribuables et travailleurs français qui sont les victimes ultimes des politiques d’achat préférentiel du gouvernement français, du salaire minimum arbitraire ou de l’octroi des subventions à Air France. C’est eux qui en portent le fardeau en taxes plus lourdes et en chômage accru. Dans une économie de petite taille, le fardeau de ces politiques ne saurait être transféré aux producteurs et consommateurs du reste de l’Europe ou du monde. La raison en est que le prix des biens et services se détermine en dehors des économies régionales. Les administration nationales n’ont pas le pouvoir d’influencer les prix extérieurs.

Non pas la mobilité des administrations publiques

À noter que ce ne sont pas les administrations publiques elles-mêmes, à la façon des capitaux privés, qui acquièrent la mobilité et se déplacent au gré des avantages comparatifs. Le Ministère de l’éducation de la France ou des Pays-Bas ne menacent pas directement le Ministère de l’éducation de l’Allemagne, parce que l’un et l’autre détiennent un monopole implanté par la coercition d’État. Mais l’effet en est semblable. Ce sont les ressources, biens, capitaux et main d’œuvre, soumises aux politiques de ces administrations, qui acquièrent la mobilité et le pouvoir de choisir l’administration qui les régira.

Ententes commerciales, politiques sociales et souveraineté nationale

On notera que le libre-échange et la mobilité qui sont à l’origine de ce processus ne menacent en rien la souveraineté formelle des États. De même, les lois commerciales internationales et les ententes ne menacent en rien la souveraineté nationale en matière de politique sociale ou économique. Ce sont les forces économiques mises en branle qui circonscrivent les pouvoirs des administrations publiques. C’est la puissance de la mobilité des ressources qui dissuade les administrations nationales et locales de pratiquer le redistributionnisme inhérents aux règles du jeu politique.

Appréhensions des étatistes et globalisation : On voit pourtant depuis quelques années que les activistes craignent que les ententes commerciales (OMC, Aléna, UE) ne menacent légalement l’autorité nationale en matière de politique sociale. Il n’en est rien. Le droit international découlant des ententes commerciales ne fait que limiter le pouvoir des États nationaux de discriminer contre les offreurs étrangers. Ni les règles de l’OMC, de l’ALÉNA, ni les traités sur la propriété intellectuelle, ni les règles d’investissement ne restreignent formellement la latitude des pays en matière de politique sociale. Ce que ces conventions font en contrepartie, c’est de circonscrire le pouvoir " politique " des gouvernements nationaux d’imposer leur monopole d’État dans la production de services sociaux. En cela, les craintes des activistes d’État sont fondées, mais le reste d’entre nous avons tout lieu de nous en réjouir.

Les adeptes de l’économie fermée et de la réglementation massive des multinationales admettent même que leurs prescriptions impliqueraient la chute dramatique du niveau de vie, mais à leurs yeux, c’est le prix à payer pour retenir leur vision étatiste de la société. À l’intérieur de leur schéma étatiste, ils sont au moins cohérents. Ils sont conscients que la globalisation met en branle des forces (mobilité) que les gouvernements locaux et nationaux sont impuissants à contenir. C’est un ex-Premier Ministre socialiste français qui a inventé l’expression dumping social pour désigner la décision de la firme Hoover de déménager ses installation de Lyon à une petite ville écossaise pour échapper aux rigidités des lois du travail françaises. Dans son schéma collectiviste, il avait raison de déplorer le phénomène, car ce sont les individus qui y gagnent au rétrécissement de l’État, non pas les politiciens ni les bureaucrates

II. Corollaires empiriques de nature générale

Retrait de l’État

On constate déjà les forces qui s’exercent en faveur le l’État réduit sous le régime de libre-échange. On peut, à l’instar de V. Tanzi (IMF) et L. Schuknecht (WTO), Public Spending in the 20th Century, Cambridge University Press, 2000, soutenir que la deuxième explosion historique des budgets publics survenue dans les années 60 et 70, a pris fin dans les années 80 et donc avec l’amorce du mouvement contemporain de globalisation. Cette période, qui a poussé la part du secteur public à plus de 50% dans nombre de pays surtout européens, a été marquée par l’inflation et la montée du chômage, par le ralentissement de la croissance et l’explosion des déficits et des dettes publiques. C’est l’héritage de cette prodigalité à laquelle on s’emploie à remédier depuis les années 80. L’âge d’or des États s’est terminé avec l’obligation où on se trouvait de supprimer en deux décennies les déficits et l’inflation et d’engager fermement le défi de la privatisation.

On peut difficilement nier l’existence de ce tournant dans les pratiques nationales. La place laissée aux marchés libres s’élargit. La foi en la souveraineté des consommateurs et la responsabilité des individus et des familles renaît. Le droit des gens de garder pour eux et leur famille le fruit de leur labeur s’affirme sans honte. Cette évolution dans la pensée se traduit dans le rejet des taxes lourdes et progressives, dans la mise en œuvre incontournable de réformes en profondeur du régime d’aide sociale, dans l’abandon du principe des monopoles publics et de la réglementation bureaucratique du travail et des entreprises. La progressivité des régimes fiscaux s’atténue. Le mouvement de privatisation se poursuit.

Mini révolution supply-side en Allemagne

Même l’Allemagne, enracinée dans une longue tradition corporatiste, n’échappe pas aux forces concurrentielles. Dans sa décision récente d’alléger le fardeau fiscal des individus et des entreprises, dont en particulier la taxe sur les plus-values des actifs des entreprises, le Parti social démocrate, associé aux Verts, est devenu l’artisan d’une mini révolution supply-side. Ces mêmes gardiens du welfare state promettent d’abolir les lois qui limitent l’escompte au détail, et aussi de substituer un régime de retraite privé et capitalisé à la chaine de lettres que sont les caisses de retraite publique. Le pays n’en est pas encore à la libéralisation du marché du travail et du logement. Mais les intitatives en cours sont révélatrices des forces supranationale en présence. Ce qui prouve que même les pays riches ne peuvent plus se permettre de perpétuer des régimes fiscaux non concurrentiels pour survivre dans la nouvelle économie mondiale.

En France

Il n’est pas sans intérêt de souligner qu’à peine quelques heures après l’annonce de l’allègement fiscal en Allemagne, le Président Chirac appelait le gouvernement socialiste de France à imiter le voisin et à abaisser les taxes en France. L’intitiative allemande promet donc de clouer le cercueil au mouvement en faveur de l’harmonisation fiscale pris en charge par nul autre que l’OCED.

À l’autre extrémité du Tunnel sous la Manche on peut compter plus d’une petite entreprise expatriées pour se protéger contre les règles anti business de la France. Même en France l’étatisme recule donc grâce à la globalisation. Nonobstant le tribut des lèvres que l’élite politique et intellectuelle continue de payer au fermier réactionnaire José Bové, les industriels, à l’instigation du Medef, n’hésitent plus à défier les obstacles que l’État oppose encore à leur aptitude à faire face à la concurrence. Depuis quelques années, les employeurs français et européens contournent la rigidité des lois qui rendaient le licenciement pratiquement impossible. Ils embauchent principalement des travailleurs temporaires. En France, 86% des recrus ont des contrats à court terme. Plus de cinq millions d’employés ont le statut de travailleurs temporaires en Allemagne. Dans la plupart des pays, la négociation collective se décentralise.

Discours politique et intellectuel

Même le discours intellectuel a évolué en faveur du capitalisme. On ne trouve plus aujourd’hui de politicien qui ne prétende pas être un conservateur fiscal. Les universitaires et les journalistes en sont venus à payer le tribut des lèvres au conservatisme fiscal. Le phénomène remonte déjà à plusieurs années. De nombreux gouvernements centre gauches pratiquent aujourd’hui des politiques économiques centre droites, en matière de déficit. Ce sont les temps qui font les politiciens, non pas les politiciens qui font l’esprit du temps.

C’est le sens qu’il faut donner à l’option suspecte que le Parti Travailliste britannique appelle " la troisième voie ". Ces orientations ambiguës sont l’indice de la confusion suscitée chez les étatistes par les forces libératrices en présence.

On voit désormais que les partis socialistes d’Europe ont renoncé à la prétention de bâtir une nouvelle société, pour se contenter de réformer modérément leurs économies désormais libérées de leur tyrannie par le marché.

Convergence des revenus

S’il fallait une preuve plus générale des conséquences de la mobilité des ressources sur le discrétionnaire des pouvoirs nationaux, c’est dans la convergence des taux de croissance et des revenus par habitant entre les régions qu’on la trouverait. La mobilité du capital,des biens et des personnes au cours des dernières décennies est donnée comme le facteur déterminant de cette convergence, aussi bien à l’intérieur des États-Unis qu’entre un grand nombre de pays industrialisés. La position retenue dans ces lignes est qu’à mesure que les obstacles au commerce seront abolies, la tendance à l’homogénéité des revenus se renforcera. Cette évolution est significative. Elle prouve que les détenteurs de ressources répondent aux incitations en déplaçant leurs actifs au gré des rémunérations qu’ils en reçoivent.

III. Signification ou corollaires analytiques

Globalisation, pierre d’assise de la subsidiarité à l’intérieur des États nationaux

Dans les conditions postulées, les administrations nationales en viendront à se délester de fonctions aujourd’hui assumées par elles en faveur des communautés locales, en faveur des institutions marchandes et sans but lucratif. La raison en est que celles-ci sont souvent plus aptes à exercer les fonctions que les gouvernements nationaux. Ex. santé. Les administrations nationales n’auront plus le choix de faire autrement. En raison de la forte mobilité des ressources entre leur territoire et le monde extérieur, l’imposition par elles de taxes et de réglementations non compensées par des bénéfices équivalents mettrait en branle un processus d’exode insoutenable des ressources. En un mot l’imposition de taxes et de réglementations qui fausseraient le prix de leurs services s’avérerait extrêmement coûteuse aux résidents. La dévolution des fonctions aux niveaux local et intitutionnels devient dès lors le moyen de régler leur fiscalité marginale sur les bénéfices marginaux qu’elles dispensent à leurs différentes clientèles, le moyen donc de réaliser l’adéquation entre le prix fiscal et le bénéfice. Les migrations inefficaces de ressources risquent moins de se produire. En un mot, tout comme la concurrence et la mobilité nous valent de meilleures voitures, de meilleurs banques. la globalisation nous vaut de meilleurs gouvernements

Contrepartie de la concurrence dans le marché privé

Comme le rappelait le Lauréat Nobel James Buchanan, " the foremost contribution of federalist structures is to minimise political coercion in society and thereby to promote the advancement of human liberty. …"competitive federalism is simply the extension of the market economy to the organisation of the political structure". La concurrence intergouvernementale via la mobilité des ressources est la contrepartie de la concurrence entre offreurs dans le marché.

Administrations fédérées sur un territoire de taille inférieure au marché

En tant qu’aménagement concurrentiel, le libre-échange, à l’intérieur des blocs ou à l’échelle du monde, place donc les gouvernements nationaux dans la position approximative d’une province canadienne, d’un État américain ou d’un canton suisse vis-à-vis l’économie nationale des États fédéraux. La logique fédéraliste s’exerce dans toute structure politique où le pouvoir de l’autorité s’étend à un territoire de taille moindre que l’économie libre de barrières protectionnistes. Son action concurrentielle est à l’œuvre à l’intérieur des économies nationales dans les États fédéraux décentralisés, tout comme elle s’exerce entre les pays liés par des ententes de libre-échange ou de marché commun, à condition que les pouvoirs de l’autorité centrale supranationale restent clairement circonscrits.

Confusion sur la notion de fédéralisme

Cette formulation explique la confusion qui règne en Europe et au Canada sur la notion de fédéralisme. Puisqu’à l’intérieur de la perspective étatiste, il faut croire aux vertus ou du gouvernement national ou de celui de Bruxelles, nous sommes condamnés à opter pour le renforcement des pouvoirs ou de l’un ou de l’autre. Le débat conventionnel en Europe identifie donc le fédéralisme au renforcement des pouvoirs du gouvernement central, tandis qu’il associe la recherche d’autonomie et la décentralisation à l’idéal sécessionniste et à l’option anti-européenne. On en qualifiera sans hésitation les adeptes de " state-builders ".

Or c’est le contraire qui est vrai. Le fédéralisme, c’est la décentralisation. Fédéralisme s’oppose à État unitaire, non pas à décentralisation. Et sa vertu, qui tend à s’imposer à l’échelle de la planète, est de circonscrire le pouvoir des États nationaux au profit des individus. L’apport essentiel du fédéralisme à la solution du problème de l’État monopole est de limiter les pouvoirs du Prince d’abuser des citoyens.

Les sauvegardes constitutionnelles deviennent moins impératives

J’irai même jusqu’à prétendre que dans un monde où le libre échange impose un processus de fédéralisation , la mise en place de sauvegardes constitutionnelles est quelque chose qui perd de son caractère d’urgence. Cela devient moins impératif. Dans un tel environnement, le modèle d’un fédéralisme international concurrentiel se met en place sans avoir besoin nécessairement de prévoir des limites légales ou constitutionnelles aux pouvoirs des instances législatives des pays concernés, à condition que rien ne vienne entraver la mobilité des ressources. Dans un système décentralisé du genre de celui auquel nous contraint peu à peu la libéralisation des échanges ; l’"exit" et non la "voice" est l’instrument decisif qui permet aux citoyens de discipliner leurs gouvernements et de leur faire part de leurs préférences.

IV. Centralisation, ennemie de la subsidiarité

De tout temps, les analystes libéraux ont nourrit une sage méfiance à l’endroit de toute forme gouvernement supranational jouissant de pouvoirs coercitifs, y compris la cession de souveraineté nationale aux Nations Unies. Le modèle de fédéralisme concurrentiel ne joue, à l’échelle supranationale, comme à l’intérieur des fédérations nationales, que si les pouvoirs des gouvernements décentralisés ne sont pas dominés par un vaste pouvoir central couvrant les mêmes domaines. À quoi sert en effet la liberté de quitter un pays, à quoi sert aux consommateurs et à l’emprunteur la faculté de s’approvisionner auprès de fournisseurs extérieurs de biens et d’épargne, si le gouvernement central européen peut réglementer et taxer le marché à l’échelle du marché commun ? Les individus et les groupes liés par le pays A n’ont plus la latitude d’échapper à ses restrictions en se tournant vers le pays B, puisque la solution fédéraliste se trouve contrecarrée par le cartel implanté à l’échelle supranationale.

Nonobstant les allusions suspectes du nouveau président du Mexique, en Amérique du Nord, aucun des trois partenaires au traité de libre-échange n’incline en faveur de la monnaie commune, en faveur de marchés du travail intégrées (nonobstant les ententes parallèles en matière de travail et d’environnement), en faveur d’une politique de migration commune, ni même en faveur de la coordination des politiques commerciales, ni surtout en faveur du gouvernement nord américain unique, c.-à-d. de l’union politique. On ne peut en dire autant de l’évolution de la structure en Europe. Le danger centralisateur est manifestement présent dans ce dernier cas.

Sens de centralisation

La centralisation ne désigne pas que la prise en charge pure et simple par l’autorité européenne d’une fonction comme la politique agricole en Europe, ou la politique de transport, de communication, ou la politique monétaire, ou la politique environnementale ou la politique régionale. Concrètement la centralisation prend la forme d’harmonisation fiscale, d’octroi de paiements de péréquation ou de partage des coûts avec les administrations nationales et locales, ou encore de réglementation centrale et de politique régionale. C’est la sorte de pratiques que le traité de Maastricht menace d’étendre à l’espace européen.

Au plan analytique, l’économiste possède une mesure théorique rigoureuse de ce concept qui est, en fait, synonyme de balkanisation. C’est le phénomène par lequel l’intervention centrale dissocie le prix des biens et services nationaux ou locaux de leur coût de production. Seule une administration centrale peut exercer cet impact, parce que seule elle possède le pouvoir de contrecarrer la mobilité à l’intérieur du marché commun.

Admettons qu’une autorité européenne centrale subventionne la consommation locale d’un certain type de service - par exemple l’enseignement, ou encore la santé - par un mécanisme de redistribution de recettes fiscales fédérales qui vise à assurer un niveau de dépenses à peu près égal où que l’on se trouve. De tels transferts ont pour conséquence de réduire le prix fiscal payé par les résidents de certaines pays en dessous de son coût de production réel, et de l’augmenter au dessus de son coût dans d’autres. Les impôts fédéraux n’étant pas proportionnels au revenu, cela signifie en effet que les résidents des régions où les revenus sont plus faibles supportent moins que ce qu’ils coutent pour couvrir leurs besoins d’éducation ou de santé, parce que les régions fédérées les plus pauvres sont celles qui paient proportionnellement le moins d’impôts fédéraux. La situation est inverse dans les régions où les revenus se situent au-dessus de la moyenne. Ainsi certains populations reçoivent plus qu’elles ne contribuent au financement, d’autres moins. Tout cela accentue la balkanisation du marché commun supposé englober leurs économies.

Dans tous ces cas et bien d’autres encore, l’aboutissement de cette prise en charge par le gouvernement central est l’uniformité de services à travers le territoire à un niveau de qualité correspondant approximativement aux préférences du votant médian européen. La distribution du service se standardise à travers les régions.

L’une et l’autre pratique suppriment le souci qu’auraient les agents économiques régionaux d’opérer les ajustements qui s’imposent. Ainsi consommateurs et producteurs sont désincités de s’établir dans les régions où leur productivité est maximale, puisqu’ils peuvent profiter, sans avoir à se déplacer, des faveurs accordées à leur gouvernement national par l’autorité centrale.

Des mesures comme les programmes de péréquation et de partage des coûts, les politiques de péréquation et l’extension à l’échelle nationale des réglementations (agriculture, transport, environnement, etc.) représentent la part du lion de l’expansion moderne des budgets publics et ont servi dans les temps modernes à stériliser le coût économique de politiques provinciales inefficaces.

Harmonisation fiscale

La modalité courante la plus menaçante en Europe prend la forme d’un mouvement en faveur de l’harmonisation fiscale. L’UE a identifié 66 dispositions fiscales concurrentielles à bannir. Avec la multiplication des millionnaires à travers le monde, le mouvement s’étend à l’échelle de l’OCED. Plus le cartel des États est englobant, plus il est facile de maintenir de lourds fardeaux. Ce dernier organisme mène depuis deux ans la croisade contre les paradis fiscaux, pieusement désignée " coopération " dans un dernier rapport " Vers la coopération fiscale globale " (aussi Harmful Tax Competition : An Emerging Global Issue). L’organisme énumère les paradis fiscaux et craint que, si on ne fait rien, le jour ne vienne où les individus et les entreprises ne fuient les lourdes juridictions fiscales au profit des paradis fiscaux des Cayman Islands ou même du Liechtenstein. La solution conçue ? De fortes sanctions aux " coupables " de la part des pays à fiscalité lourde, de façon à rendre ces pays moins attrayants aux personnes et aux capitaux et aux talents à la recherche d’allègements. Dans cette campagne on peut dire que l’OCDE se fait le porte-parole des " enfers " fiscaux que sont des pays comme la France, la Suède, le Danemark et le Canada. Une entente mettra fin aux règles du secret bancaire au Luxembourg et en Autriche dans quelques années.

En réalité, aux yeux des hommes libres, les paradis fiscaux servent de freins aux appétits gloutons des gouvernements nationaux. Il faut au contraire en favoriser l’éclosion et la généralisation. L’argument des politiciens, et en général des étatistes, est que la concurrence fiscale gêne l’aptitude des gouvernements nationaux à offrir les services publics que la population réclame. Cette logique est à rejeter. L’attraction qu’exerce une économie sur les capitaux, sur la main-d’œuvre est fonction, non pas du seul fardeau fiscal, mais de la combinaison du services et du prix fiscal à payer pour y avoir accès. Même avec un fardeau fiscal allégé, personne d’entre nous ne voudrait vivre dans l’environnement physique repoussant qu’on observe dans certains pays moins développés. Lorsqu’un gouvernement national s’avoue incapable de financer un service par la faute de la mobilité des ressources, c’est l’indice que son budget est excessif, que les services qu’il offre n’en valent pas le coût. La concurrence intergouvernementale amène les gouvernements décentralisés à l’équivalent de la tarification des services publics. Elle les amène, à l’instar des municipalités, à régler leur fiscalité sur le niveau des bénéfices qu’elles dispensent à leurs ressortissants. Grâce à Dieu, les cartels, même les cartels d’État, sont toujours instables. Les récentes concessions fiscales de l’Allemagne s’avèrent rassurantes à cet égard.

Union monétaire ou concurrence des monnaies ? Dimensions politiques

La pensée conventionnelle en cette matière ne tarit pas d’éloges sur les bienfaits de la monnaie unique "à la Maastricht", sur son pouvoir d’abaisser les coûts de transaction et de garantir la stabilité économique de l`Europe. Elle est supposée forcer les gouvernements nationaux à ajuster plus vite et plus fortement leurs politiques fiscales et réglementaires aux contraintes extérieures, vu la fixité des cours nationaux vis-à-vis l’euro. Le fait est qu’à ce jour, l’euro n’a servi qu’à déprécier la monnaie commune vis-à-vis le dollar et les autres monnaies majeures. Ce qu’il n’a pas entrainé plus rapidement, c’est l’ajustement des politiques de réglementation en général, du marché du travail en particulier.

Ce que les adeptes de la monnaie unique omettent d’incorporer dans leur schéma, c’est la dimension politique de l’union monétaire. Si la tradition des fédérations nationales peut servir d’exemples, le mécanisme par lequel va magiquement s’implanter la stabilité accrue réside dans les transferts fiscaux inter-régionaux ou de politiques régionales au sein de l’Europe. Dans ce contexte idéalisé d’union monétaire, l’incohérence éventuelle entre l’équilibre extérieur et les politiques micro et macro des administrations nationales se résoudra par l’octroi par l’autorité centrale de Bruxelles de soutien financier aux gouvernements inefficaces et aux économies faibles. C’est le sens qu’il faut donner au référendum irlandais sur Maastricht. Les Irlandais se sont littéralement faits acheter. Sous le prétexte de fermer le "prosperity gap", c’est 12 milliards de dollars d’aide et de bénéfices spéciaux que la Communauté s’est engagée à verser à l’Irlande.

L’erreur contenue dans cette vision de l’ajustement est de postuler que l’intégration monétaire supprime les coûts inhérents à l’incohérence des politiques nationales. Or l’arbitraire de la politique monétaire nationale n’est que transférer à celui de la Banque centrale européenne. Ce qu’entraîne l’union monétaire, c’est le transfert des coûts d’ajustement aux pays prospères et "conservateurs", tandis qu’au contraire la concurrence des monnaies nationales réserve aux administrations nationales le poids de leur politiques inefficaces. Il en va de la centralisation monétaire européenne comme de la centralisation à l’intérieur des fédérations nationales. Ainsi au sein de l’union monétaire canadienne, les Provinces de l’Atlantique (régions déclinantes) peuvent résister à l’ajustement de façon permanente, parce qu’elles sont subventionnées à la hauteur de 30% de leur PIB pour perpétuer leurs pratiques coûteuses. La baisse du dollar canadien imputable aux menaces sécessionnistes du Québec abaisse le niveau de vie de tous les Canadiens par la détérioration des termes d’échange et l’élévation des taux d’intérêt.

On découvre ainsi que le traité de Maastricht propose essentiellement d’étendre à l’Europe un mécanisme semblable de transferts inter-régionaux institutionnalisés. Leur impact sera de stériliser le coût économique des mesures nationales inconciliables avec la stabilité des cours. Elles serviront à neutraliser le processus d’ajustement fédéraliste. Le fait est que l’adoption de l’euro n’a pas vraiment accélérer l’ajustement des politiques du travail dans les pays d’Europe. En réalité l’instabilité qui les inspire n’est aucunement corrigée. Elle n’est que masquée par le faux équilibre de faveurs politiques. Loin d’atténuer les disparités nationales, ces pratiques ne feront que les amplifier, en dissuadant les détenteurs de ressources de les déplacer vers les régions où elles seraient le plus productives.

En un mot un marché commun unique ne commande pas plus de monnaie unique, qu’il n’implique de politique sociale unique ou de langue unique. De tout temps les ingénieurs sociaux ont vanté les prétendus mérites du monopole sur le dédoublement coûteux associé à la concurrence du marché. L’histoire et l’analyse enseignent une leçon diamétralement contraire. La vision centraliste ne manque jamais de sur-évaluer les bienfaits du mécanisme de décision centralisée, tout comme elle sous-estime les bienfaits qui découlent de la concurrence.

L’euro et la Grande-Bretagne : La résistance de la Grande-Bretagne à accepter l’euro repose sur l’analyse économique rigoureuse et sur la perspicacité politique. Les mercantilistes européens et les manufacturiers anglais invitent la Grande-Bretagne à abandonner la livre sterling solide en faveur de l’euro faible. La force de la livre repose sur le bas niveau de taxation et la flexibilité du marché du travail anglais. La fragilité de l’euro découle en contrepartie du modèle redistributionniste désuet où la sécurité sociale s’acquiert aux dépens de l’emploi et de la performance économique. Le mouvement de la livre sterling et de l’euro repose l’un et l’autre sur les conditions fondamentales des économies respectives, lesquelles découlent à leur tour des politiques gouvernementales.

Tentation centralisatrice ou loi d’airain de la centralisation

La décentralisation est un phénomène du passé dans les fédérations nationales. À l’examen des sources de croissance des budgets provinciaux depuis la guerre, on découvre aussi qu’elle s’est faite à l’instigation du gouvernement central ou en réaction aux incitations expansionnistes du fédéral, qui pénalisait les provinces "récalcitrantes". Il y a eu dans la plupart des fédérations nationales modification constitutionnelle effective sinon formelle en faveur de la centralisation. La centralisation a pratiquement évacué les traits distinctifs et désirables du fédéralisme

Or la centralisation des fonctions, depuis les provinces en faveur d’Ottawa et depuis les administrations locales et nationales en faveur de l’autorité européenne, est la condition nécessaire à l’implantation de cette foire d’empoigne qu’est le marché politique, à cette entreprise incontrôlée de redistributionnisme d’État. Comme l’enseigne la théorie du fédéralisme, l’octroi de privilèges aux groupes d’intérêt n’est en effet possible qu’en l’absence de mobilité des ressources à travers le territoire. Les administrations décentralisées sont impuissantes à distribuer les faveurs à gauche et à droite, en vertu de la liberté qu’ont alors les victimes de se soustraire aux décisions qui les défavorisent. Dans la mesure où le redistributionnisme constitue la principale finalité politique et où l’octroi de faveurs n’est possible qu’en l’absence de concurrence c.-à-d. de mobilité, dans cette même mesure la centralisation se fait comme par une loi d’airain. La centralisation découle de ce que l’État central est le lieu où se pratique la course aux faveurs.

C’est pourquoi d’ailleurs tous les groupes d’intérêt recherchent la centralisation. Puisque la décentralisation sert de rempart contre l’octroi de faveurs arbitraires aux groupes d’intérêt locaux et professionnels, tout le monde la prône des lèvres, mais aucun groupe organisé ne la souhaite ou ne la favorise. Les groupes d’intérêt n’ont pas de difficulté à recruter des intellectuels de services pour rationaliser les faveurs qu’ils reçoivent du monopole central.

Perspectives sur l’UE

L’évolution de l’UE inspire à la fois l’optimisme et l’appréhension aux hommes libres. D’une part on entend les leaders politiques rejeter la formule des fédérations nationales traditionnelles. Pas d’États-Unis d’Europe, assure-t-on. Cette option réjouira les libéraux qui ne manquent pas de souligner la centralisation presque inévitable et fatale des fédérations nationales. D’autre part, les mêmes porte-parole politiques repoussent aussi la confédération, formule préférée des esprits libres, où l’union économique n’est encadrée que de contrats intergouvernementaux, avec droit de retrait ultimement. Le marché commun, l’union économique n’exige pas l’union politique, pas plus qu’il n’exige la langue commune ou la monnaie commune. L’Aléna en fait la preuve quotidiennement. Au total, l’Europe converge-t-elle vers une autre application du principe de la " troisième voie " dont les contours ne sont pas définis et probablement indéfinissables ?

Déjà le Traité de Rome avait inventé sur une petite échelle la notion de politiques communes, alors réservée à l’agriculture, au transport et à l’énergie. Le Traité de Maastricht ne faisait pas qu’élargir le nombre de politiques communes ; il introduisait aussi la notion de politique industrielle, en vertu de laquelle les politiques dirigistes et discrétionnaires remplaceraient le marché. Par elles politiciens et eurocrates s’assignent la tâche d’identifier les gagnants et les perdants de la compétition commerciales et reçoivent aussi la mission de garantir que l’économie dans son ensemble, comme les entreprises particulières, sont en mesure de se tailler une place dans le marché global. Une longue liste de responsabilités se trouvent ainsi imparties à l’autorité centrale, dont celles de faciliter l’ajustement structurelle des firmes, d’exploiter le potentiel d’innovation et de recherche,

Conclusion

La leçon qui se dégage de l’analyse économique est nette. Le vrai fédéralisme, combiné au libre-échange ou au régime de gouvernements parallèles contribuera de façon durable au renforcement de la subsidiarité. Cet heureux résultat découle de l’impuissance progressive du gouvernement central à multiplier les transferts avec l’argent des autres, deux conséquences qui accompagneront l’avènement du vrai fédéralisme et du libre-échange. Plutôt que de fonder leurs espoirs d’améliorer leur sort sur la course aux faveurs du Prince et sur la convoitise du voisin, les individus et les entreprises seront amenés à compter davantage sur l’effort productif et l’échange qui seuls créent la richesse. Les groupes d’intérêt organisés se rendront compte que leur investissement en action politique, en course aux faveurs, devient moins rentable ; ils perdront progressivement de leur influence et de leur raison d’être, pour le plus grand bien-être de la population.
En un mot, le redistributionnisme perdra de son attrait, parce qu’il se révélera plus difficile à réaliser. Du même coup, tous ceux qui sous le régime actuel font carrière de l’exploitation des antagonismes, des conflits, du narcissisme, de l’envie et de la haine, découvriront qu’ils peuvent moins facilement bâtir leur succès en liguant les régions les unes contre les autres, l’Est contre l’Ouest, les syndiqués contre les patrons, les communautés culturelles les unes contre les autres et les bons nationaux contre les méchants étrangers. L’indépendance des nations y gagnera au fédéralisme et au libre-échange, parce que l’indépendance des nationaux y gagneront. En dernier ressort n’est-ce pas là la seule souveraineté qui compte ?

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