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L’étrange économie de l’immobilier

mardi 20 avril 2010

Cela faisait longtemps que nous n’avions pas fait un petit point rapide sur l’immobilier. Après tout, c’est un gros marché bien joufflu, qui a beaucoup pris d’embonpoint et qui est tout de même à l’origine d’une bulle et d’une crise d’un fort beau gabarit : nous aurions tort de le négliger plus longtemps. Et ça tombe bien, des nouvelles fraîches sont arrivées.

En effet, le premier semestre est passé et les différents réseaux d’agences et les notaires ont donc fiévreusement consolidé leurs calculs, mis bout à bout leurs petits chiffres, sucé une nouvelle fois leur petit crayon H2B pour le poser, consciencieusement sur leur feuille A4 petit carreaux margée de rouge, et aboutir à l’évidente conclusion que les prix de l’immobilier montent, dixit Century 21.

Mais non, enfin. Qu’ils descendent, dixit la FNAIM.

Hmmh. Disons que tout ça stagne.

Hem oui, on peut le dire, vu avec un peu de recul : tout ceci sent bon l’enfumage et le vœu pieux, du « Je Sais Pas Mais Je Vais Vous Le Dire Quand Même » bien opaque. De la part des réseaux d’agence, on était habitué : jusqu’en 2009, l’immobilier montait et, comme le proverbial dindon ayant vécu du 1er janvier au 24 décembre et se disant naïvement que le 25 décembre apporterait son lot de graines, la sagacité des agents immobiliers fut légèrement mise à mal alors que la crise envoyait une bonne volée aux prix constatés et que le nombre de transactions s’effondraient.

Pourtant, la courbe de Friggit montrait clairement le chemin.

Mais baste, passons sur leur médiocrité, finalement assez semblable à tous les autres vendeurs de promesses dont l’expertise essentielle ne s’établit pas dans le marché où ils font office mais plutôt dans la maîtrise de la langue (de bois, bien sûr).

Ce qui est plus intéressant, ici, c’est le déni de réalité qui illustre assez bien le même déni qu’on observe aussi chez les politiciens alors que la France s’enfonce dans les problèmes et que la crise fait tout sauf passer.

Et ce déni passe par une phase de « Allons allons, vous voyez : les prix remontent, ou arrêtent de descendre, ou descendent moins vite – au choix – la crise est finie et nous allons observer un Atterrissage En Douceur« . Atterrissage en douceur tout à fait comparable à celui que ferait un A380 après un petit passage juste au-dessus de Eyjafjöll, le volcan péteur.

En effet, outre le ridicule de la proposition – jamais, sur aucun marché, n’a été constaté un tel atterrissage en douceur – elle arrive au moment où l’on constate, ailleurs, une baisse légère des prix dans l’alimentaire, et une baisse, plus sévère, des prix du baril. Oh, de la à y voir une solide déflation, il y a un gouffre que je franchirai pas.

Mais plusieurs signes pointent tout de même vers une inflation très faible, voire nulle.

Et là, on peut se poser quelques questions.

Il est en effet étrange de la part des réseaux d’agence de parier sur une hausse des prix de l’immobilier.

Économiquement tout d’abord, la démarche est curieuse alors que le monde subit la crise, que l’Europe n’en est pas sortie et que la situation en France ne s’améliore pas, loin s’en faut. Parier sur une hausse alors qu’au final, les gens vont avoir plutôt moins d’argent, moins d’emplois et moins de facilités de crédit, c’est couillu. Parier sur une hausse alors qu’en plus, on constate une baisse partout ailleurs, à l’exception notable des impôts fonciers – ce qui devrait là encore inciter les volontaires au propriétariat à réfléchir encore un peu -, que les taux remontent et que l’inflation ne veut pas décoller, ce n’est plus couillu, c’est carrément stupide.

Commercialement ensuite, quand on y réfléchit deux secondes, le raisonnement qui parie bruyamment sur la hausse, celui qui revient à souhaiter « la reprise du marché », c’est vouloir que les prix augmentent. Qui, à part ceux qui possèdent ou ceux qui touchent sur les transactions (les moins nombreux et les plus riches, donc) peut souhaiter sciemment que des prix montent ? Comment peut-on avoir une estimation fiable des tendances du marché quand ce sont ceux qui bénéficient en premier lieu d’une hausse qui procèdent, justement, à cette estimation ? Et dans les faits, les agents, au lieu de jouer sur une parfaite transparence qui serait très bénéfique pour leur profession à long terme ont choisi la petite bidouille ou les euphémismes pour cacher le repli.

J’allais écrire « hide the decline », mais je crains qu’on s’égarerait.

Historiquement enfin, comme je l’ai mentionné plus haut, le tunnel de Friggit semble bel et bien pointer vers une seule direction : la baisse (et sévère aussi) ; certes, le petit rebond a bel et bien été enregistré. Comme il l’a été aussi dans d’autres pays, qui ont ensuite subi une solide dégringolade.

Ceci me rappelle ce petit graphique, tout à fait à propos :

En fait, le raisonnement des agences est idiot, mais pas totalement illogique : les agents immobiliers ne vendent pas des appartements ou des maisons, ils vendent du rêve, le rêve maintes fois colporté, à tort, que l’immobilier est un placement solide (comme la pierre, hein), que l’on ne peut que s’enrichir avec, et qu’il est l’alpha et l’oméga de la classe moyenne. Eh bien non : l’immobilier est un achat comme un autre, une spéculation financière comme une autre, et il subit des aléas comme les autres biens. Il peut s’effondrer, monter, stagner.

Mais compte-tenu des bases d’économies catastrophiques reçues en France lors d’un parcours standard, le discours passe très bien, et les saillies à la « un loyer, c’est de l’argent jeté par les fenêtres » sont cautionnées de vigoureux hochement de tête, bien dans le mouvement général : beaucoup de mouvement, pas de réflexion.

Plus profondément d’ailleurs, le raisonnement des agents immobiliers montre aussi une tendance lourde de la société actuelle, que les politiques ont shooté massivement au keynésianisme : l’emprunt, c’est super génial, payer avec l’argent qu’on a économisé, c’est ringard. On retrouve le même raisonnement derrière l’absence de scrupules à vivre sur le dos des autres – m’en fiche j’y ai droit – , trouver tout étalonnage de la monnaie sur l’or profondément suranné – normal, voilà qui gênerait l’inflation et donc l’impôt indolore des états – etc…

Bref : adieu le bon sens, vivons d’amour, d’eau fraîche, d’emprunts et d’inflation.

Reconnaissons cependant aux réseaux une qualité indéniable : avec leurs prédictions, ils nous font bien rire.


Voir en ligne : L


Image : logo de la FNAIM. Article repris avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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