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Vente exceptionnelle d’une lettre de Turgot
mercredi 21 avril 2010
Anne Robert Jacques Turgot ou tout simplement Turgot fut un grand économiste et praticien des finances publiques. Nommé en 1774 contrôleur des finances du royaume par Louis XVI, il n’eut de cesse de se battre pour une libération du commerce des grains et une saine gestion des finances publiques.
Les 4 et 5 mai 2010, une lettre de Turgot sera vendue par l’étude Piasa à l’hôtel Drouot à Paris, estimation 20.000€. Dans cette lettre fameuse, recensée dans tous les livres d’histoire consacrés à la révolution française, il accepte le poste de contrôleur des finances et surtout met en garde le monarque contre l’augmentation des impôts ou le recours à l’emprunt, et prêchant avec vigueur pour la réduction des dépenses publiques : « il n’y a qu’un moyen. C’est de réduire la dépense au‑dessous de la recette ». La pire menace pour l’économie , c’est que le pouvoir cède aux demandes innombrables de dépenses : « Votre Majesté sait qu’un des plus grands obstacles à l’économie est la multitude des demandes dont elle est continuellement assaillie, et que la trop grande facilité de ses prédécesseurs à les accueillir a malheureusement autorisées ». Le refus du monarque de tenir compte de ces paroles entraina la convocation des états généraux et, de fil en aiguille, la révolution française. Comme le note Judith Benhamou-Huet : « On connaît le dénouement de l’histoire, disettes, mécontentement du peuple, manque de pain et de brioche… qui vaudront sa tête au monarque ».
Alors que la dépense publique semble incontrôlable en France aujourd’hui, ces mots simples et directs résonnent avec force. Le pouvoir en place saura-t-il davantage les écouter que Louis XVI à la fin du XVIIIe siècle ?
Texte intégral : Lettre de Turgot au roi lors de sa prise de possession de la place de contrôleur général (Compiègne, 24 août 1774)
« Point de banqueroute ; point d’augmentation d’impositions ; point d’emprunts. Point de banqueroute, ni avouée, ni masquée par des réductions forcées. Point d’augmentation d’impôts : la raison en est dans la situation de vos peuples, et encore plus dans le cœur de Votre Majesté. Point d’emprunts, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre ; il nécessite au bout de quelque temps ou la banqueroute, ou l’augmentation d’impositions. Il ne faut, en temps de paix, se permettre d’emprunter que pour liquider des dettes anciennes, ou pour rembourser d’autres emprunts faits à un dernier plus onéreux.
Pour remplir ces trois points, il n’y a qu’un moyen. C’est de réduire la dépense au‑dessous de la recette, et assez au‑dessous pour pouvoir économiser chaque année une vingtaine de millions, afin de rembourser les dettes anciennes. Sans cela, le premier coup de canon forcerait l’État à la banqueroute.
On demande sur quoi retrancher, et chaque Ordonnateur, dans sa partie, soutiendra que toutes les dépenses particulières sont indispensables. Ils peuvent dire de fort bonnes raisons : mais comme il n’y en a pas pour faire ce qui est impossible, il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l’économie.
Il est donc de nécessité absolue que Votre Majesté exige des Ordonnateurs de toutes les parties qu’ils se concertent avec le ministre de la Finance. Il est indispensable qu’il puisse discuter avec eux en présence de Votre Majesté le degré de nécessité des dépenses proposées. Il est surtout nécessaire que, lorsque vous aurez, Sire, arrêté l’état des fonds de chaque département, vous défendiez à celui qui en est chargé d’ordonner aucune dépense nouvelle sans avoir auparavant concerté avec la Finance les moyens d’y pourvoir. Sans cela, chaque département se chargerait de dettes qui seraient toujours des dettes de Votre Majesté, et l’Ordonnateur de la Finance ne pourrait répondre de la balance entre la dépense et la recette.
Votre Majesté sait qu’un des plus grands obstacles à l’économie est la multitude des demandes dont elle est continuellement assaillie, et que la trop grande facilité de ses prédécesseurs à les accueillir a malheureusement autorisées.
Il faut, Sire, vous armer contre votre bonté de votre bonté même ; considérer d’où vient cet argent que vous pouvez distribuer à vos courtisans, et comparer la misère de ceux auxquels on est quelquefois obligé de l’arracher par les exécutions les plus rigoureuses, à la situation des personnes qui ont plus de titres pour obtenir vos libéralités…
J’ai prévu que je serai seul à combattre contre les abus de tout genre, contre les efforts de ceux qui gagnent à ces abus ; contre la foule des préjugés qui s’opposent à toute réforme, et qui sont un moyen si puissant dans les mains des gens intéressés à éterniser le désordre. J’aurai à lutter même contre la bonté naturelle, contre la générosité de Votre Majesté et des personnes qui lui sont les plus chères. Je serai craint, haï même, de la plus grande partie de la Cour, de tout ce qui sollicite des grâces. On m’imputera tous les refus ; on me peindra comme un homme dur, parce que j’aurai représenté à Votre Majesté qu’Elle ne doit pas enrichir même ceux qu’Elle aime aux dépens de la subsistance de son Peuple. Ce Peuple auquel je me serai sacrifié est si aisé à tromper, que peut‑être j’encourrai sa haine par les mesures mêmes que je prendrai pour le défendre contre la vexation. Je serai calomnié, et peut‑être avec assez de vraisemblance pour m’ôter la confiance de Votre Majesté.
Je ne regretterai point de perdre une place à laquelle je ne m’étais jamais attendu. Je suis prêt à la remettre à Votre Majesté dès que je ne pourrai plus espérer de lui être utile ; mais son estime, la réputation d’intégrité, la bienveillance publique qui ont déterminé son choix en ma faveur, me sont plus chères que la vie, et je cours le risque de les perdre, même en ne méritant à mes yeux aucun reproche. »
Lire : la présentation de Piasa (PDF)
Image : lettre de Turgot, telle que publi