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Supprimer un symptôme n’a jamais guéri personne
Faut-il sucrer les allocs ?
vendredi 23 avril 2010
Ce n’est un mystère pour personne, dans les ZEP, l’absentéisme est fréquent. Tous les absentéismes : le perlé, qui s’égraine de-ci de-là, le mastock, qui se fait par bonnes grosses tranches, et le total time, qui dure une année entière ou peu s’en faut (si, si, j’ai un élève comme cela, que je ne vois plus depuis des mois...).
Alors, que faire ?
Notre bien aimé président propose de sucrer systématiquement les allocations aux familles d’enfants absentéistes qui se trouveraient incapables de se justifier. Cette idée n’est pas nouvelle et elle semble emporter le suffrage d’une bonne majorité de Français : 63% selon un récent sondage. Je crois, mais je puis me tromper, qu’une mesure semblable est appliquée au Royaume-Uni – auquel cas il serait bon de connaître ses effets là-bas.
Est-ce une solution ? De tendance libertarienne, je vous dirais qu’il vaut mieux limiter les aides de l’État, que l’assistanat est contreproductif d’un point de vue moral et économique et que, par conséquent, la suppression universelle des allocs ne serait pas forcément une mauvaise chose en elle-même ; à la condition qu’une refonte générale de l’État et de son rôle soit accomplie. Mais ce serait faire un pas de côté et s’éloigner du sujet : enlever les allocations permettrait-il d’amoindrir l’absentéisme scolaire ?
Personnellement, j’ai plutôt tendance à croire que non. Certainement, dans quelques cas, la mesure sera efficace, mais hormis ceux-ci, je pense qu’elle tombe assez à côté des enjeux véritables. En effet, elle part du principe suspicieux que les familles en question font exprès, ou négligent, de suivre la scolarité de leurs enfants. Or, pour en être témoin, je peux vous dire qu’il existe un grand nombre de familles parfaitement dépassées par le comportement de leurs rejetons et incapables de les contrôler.
Je dis bien qu’elles en sont incapables, quand bien même elles le voudraient. Mon expérience m’indique que ce sont souvent des familles où le père est absent, ou bien ne joue pas son rôle, qui se trouvent dans cette situation. Il y aussi le cas de parents ayant des métiers éprouvants, ou bien des horaires très décalés, qui ne trouvent pas la force d’affronter leurs adolescents rebelles, ou qui n’ont matériellement pas le temps d’effectuer le suivi nécessaire. Je ne suis pas certain que retirer les allocations à ces gens leur ferait du bien... Il faudra donc beaucoup de discernement dans l’application d’une telle mesure !
Et puis je pense aux enseignants et aux élèves (absentéistes ou pas). Les élèves lourdement absentéistes le sont parce qu’ils sont en souffrance à l’école. Ayant cumulé les lacunes et les échecs et ayant totalisé un nombre impressionnant de punitions et de retenues, ils finirent par préférer ne plus venir du tout. Et, franchement, c’est un soulagement pour tout le monde ! Il y a déjà assez à faire avec les autres zozos qui continuent à venir, emportant avec eux un fort potentiel de nuisance, le petit jeu consistant à désactiver ce potentiel sans trop de conflit ni de perte d’énergie et de temps.
Ce que je vais écrire paraîtra peut-être scandaleux, mais l’absentéisme est une soupape salutaire indispensable au bon fonctionnement de notre système scolaire.
Si l’on veut réellement mettre fin à l’absentéisme, et éviter les malheurs auxquels il conduit souvent (outre le retard scolaire, traîner dans les rues de la cité n’est pas la meilleure école qui soit), il faut se poser les bonnes questions. Notre système est pourri jusqu’à la moelle, malade du corporatisme, de la bureaucratie, du monolithisme, de l’impéritie de réformes plus idiotes les unes que les autres. C’est par là qu’il faut commencer. L’absentéisme est comme la fièvre d’une grippe : un symptôme. Or, on n’a jamais rien guéri en faisant disparaître un simple symptôme...
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