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A quand l’effondrement de la zone euro ?
vendredi 28 mai 2010
En tant que critique de longue date de l’idée d’une monnaie unique européenne, je ne me réjouis pas des problèmes actuels de la zone euro qui menacent la survie même de l’euro. Avant d’examiner les événements entourant la crise de la dette grecque, je dois fournir au moins une définition pratique du mot « effondrement ». Dans le contexte de l’euro, il y a au moins deux interprétations qui viennent à l’esprit.
La première suggère que le projet de zone euro ou le projet de création d’une monnaie commune européenne a déjà échoué en n’apportant pas les effets positifs qu’on attendait de lui.
La création de la zone euro a été présentée comme un avantage économique indiscutable à tous les pays disposés à renoncer à leur propre monnaie existant depuis des décennies ou des siècles. Des études quasi-scientifiques, approfondies mais tendancieuses, avaient été publiées avant le lancement de la monnaie unique. Ces études promettaient que l’euro permettrait d’accélérer la croissance économique et de réduire l’inflation, et insistaient tout particulièrement sur le fait que les États membres de la zone euro seraient protégés contre toutes sortes de perturbations économiques défavorables ou de chocs exogènes.
L’euro n’a pas entraîné une croissance plus élevée dans la zone euro
Il est absolument clair que rien de tel ne s’est passé. Après la création de la zone euro, la croissance économique de ses États membres a ralenti par rapport aux décennies précédentes, creusant ainsi l’écart entre la vitesse de la croissance économique dans les pays en zone euro et des grandes économies comme les Etats-Unis et la Chine, des petites économies en Asie du Sud et de certaines parties du monde en développement, ainsi que des pays d’Europe centrale et orientale qui ne sont pas membres de la zone euro. Depuis les années 1960, la croissance économique dans les pays actuellement dans la zone euro s’est ralentie et l’existence de l’euro n’a pas inversé cette tendance. Selon les données de la Banque centrale européenne, la croissance économique annuelle moyenne dans les pays en zone euro était de 3,4 pour cent dans les années 1970, de 2,4 pour cent dans les années 1980, de 2,2 pour cent dans les années 1990 et seulement 1,1 pour cent entre 2001 à 2009, la décennie de l’euro (voir Figure 1) [1]. Un ralentissement semblable ne s’est pas produit ailleurs dans le monde.
Figure 1 : Taux de croissance du PIB dans la zone euro (%)
Les économies de la zone euro n’ont pas convergé
La convergence attendue des taux d’inflation des pays de la zone euro elle-même n’a pas eu lieu. Deux groupes distincts de pays se sont formés dans la zone euro - un avec un faible taux d’inflation et un avec un taux d’inflation plus élevé (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande et quelques autres pays). Nous avons également constaté une augmentation des déséquilibres commerciaux à long terme. D’un côté, il y a des pays avec une balance commerciale où les exportations dépassent les importations et, de l’autre, les pays qui importent plus qu’ils n’exportent. Ce n’est pas par hasard que ces derniers pays ont également des taux d’inflation plus élevés. La création de la zone euro n’a donné lieu à aucune homogénéisation des économies des États membres.
En s’accentuant, la crise financière et économique mondiale a dévoilé tous les problèmes économiques dans la zone euro - elle n’en est pas la cause. Cela n’a pas été une surprise pour moi. La zone euro, qui comprend 16 pays européens, n’est pas une « zone monétaire optimale » que les théorèmes économiques élémentaires nous disent qu’elle devrait être. L’ancien membre du Conseil exécutif et économiste en chef de la Banque centrale européenne, Otmar Issing, a souligné à plusieurs reprises (plus récemment dans un discours prononcé à Prague en Décembre 2009) que la création de la zone euro a été principalement une décision politique [2]. Cette décision n’a pas tenu compte du fait de savoir si tout ce groupe de pays se prêtait réellement au projet de monnaie unique. Toutefois, si la zone monétaire existante n’est pas la zone monétaire optimale, il est inévitable que ses coûts d’établissement et de maintien dépassent ses avantages.
Le choix des mots « établissement » et « maintien » n’est pas un hasard. La plupart des commentateurs économiques (sans parler des commentateurs non économistes) ont été satisfaits par la facilité et le caractère apparemment peu coûteux de la première étape (la création de la zone monétaire commune). Cela a contribué à former la fausse impression que tout allait bien avec le projet de monnaie unique européenne. Ce fut une erreur qu’au moins certains d’entre nous ont fait observer, depuis la naissance même de l’euro. Malheureusement, personne ne nous a écoutés.
Je n’ai jamais contesté le fait que le taux de change des pays qui allaient adhérer à la zone euro reflétaient plus ou moins la réalité économique en Europe au moment où l’euro est né. Cependant, au cours de la dernière décennie, la performance économique des membres individuels de la zone euro a divergé et les effets négatifs de la « camisole » d’une monnaie unique sur les différents Etats membres sont devenus visibles. Lorsque le « beau temps » (au sens économique) a prévalu, aucun problème visible n’a émergé. Cependant, une fois la crise ou le « mauvais temps » arrivé, le manque d’homogénéité entre les membres de la zone euro s’est très clairement manifesté. En ce sens, j’ose dire que, en tant que projet qui promettait de constituer un avantage économique considérable à ses membres, la zone euro a échoué.
Les coûts cachés de l’euro
Les non-experts et les politiciens (plutôt que les économistes) trouveront plus d’intérêt dans la question de l’effondrement de la zone euro en tant qu’institution. Ma réponse est qu’elle ne s’effondrera pas. Tant de capital politique a été investi dans l’existence de l’euro et son rôle de « ciment » qui lie l’UE sur la voie de la supranationalité que dans un avenir proche la zone euro ne sera sûrement pas abandonnée. Elle continuera, mais à un prix extrêmement élevé qui sera payé par les citoyens des pays de la zone euro (et, indirectement, par les Européens qui ont gardé leur propre monnaie).
Le prix du maintien de l’euro sera une faible croissance économique dans la zone euro. La croissance molle en zone euro se traduira par des pertes économiques dans d’autres pays européens, comme la République tchèque, et dans le reste du monde. Le prix élevé de l’euro sera plus visible dans le volume des transferts financiers, qui devront être envoyés aux pays de la zone euro touchés par les problèmes économiques et financiers les plus importants. L’idée que ces transferts ne serait pas facile sans l’existence d’une union politique était connue chancelier allemand Helmut Kohl en 1991 quand il disait que « l’histoire récente, et pas seulement celle de l’Allemagne, nous apprend que l’idée de soutenir une union économique et monétaire dans la durée, sans union politique, est une illusion. » [3] Il semble qu’avec le temps, M. Kohl ait malheureusement oublié cela.
Le montant d’argent que la Grèce recevra dans un avenir proche peut être divisé par le nombre d’habitants zone euro et chaque personne peut facilement calculer sa propre contribution. Toutefois, le « coût d’opportunité » résultant de la perte d’un taux de croissance potentiellement plus élevé, élément beaucoup plus difficile à envisager pour un non-économiste, sera beaucoup plus douloureux. Pourtant, je ne doute pas que pour des raisons politiques ce prix élevé de l’euro sera payé et que les habitants la zone euro ne pourront jamais savoir à quel point l’euro leur a vraiment coûté.
Pour résumer, l’union monétaire européenne ne risque pas d’être abolie. Le prix de son maintien toutefois, continuera à croître.
La République tchèque n’a pas fait d’erreur en évitant d’être membre de la zone euro à ce jour. Et nous ne sommes pas le seul pays avec ce point de vue. Le 13 avril 2010, le Financial Times a publié un article de feu le gouverneur de la Banque centrale polonaise Slawomir Skrzypek, un homme que j’ai eu l’honneur de très bien connaître. Skrzypek a écrit son article peu avant sa mort tragique dans l’accident d’avion qui a emporté un certain nombre de dignitaires polonais près de Smolensk, en Russie. Dans cet article, Skrzypek écrivait : « En tant que non-membre de l’euro, la Pologne a été en mesure de tirer profit de la flexibilité du taux de change du Zloty d’une manière qui a contribué à la croissance et réduit le déficit du compte courant, sans importer d’inflation. » Il ajoutait que « l’histoire depuis dix ans de la perte de compétitivité des membres périphériques de la zone euro a été une leçon salutaire. » [4] Il n’est pas nécessaire d’ajouter davantage.
Voir en ligne : A quand l
La version originale tch
[1] La Banque centrale européenne, « Statistics Pocket Book », Mars 2010, http://www.ecb.int/pub/pdf/stapobo/spb201003en.pdf.
[2] Otmar Issing, The Birth of the Euro (Cambridge, Royaume-Uni : Cambridge University Press, 2008).
[3] Cité dans Otmar Issing, « The Euro : Does a Currency Need a State ? », International Finance 11, no. 3 (2008) : 303.
[4] Slawomir Skrzypek, « Poland Should Not Rush to Sign Up to The Euro », Financial Times, le 13 avril 2010