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Le droit au suicide

jeudi 3 avril 2008

Il s’agit de savoir si une société dite libérale et dite avancée doit admettre le droit de ses membres de se donner la mort comme bon leur semble et celui de ceux qui les entourent de les assister à cet effet.

Horreur et profanation s’exclament nos clercs, toutes sacristies confondues : seul Dieu donne la vie et seul il peut la reprendre, nous précisant aimablement que nous n’en connaîtrons d’ailleurs ni le jour ni l’heure. Fort bien, mais s’il nous plaisait à nous de le déterminer à notre guise ce jour-là ? Péché mortel mes fils, qui vous vaudra la damnation et qui, jusqu’à tout récemment, vous interdisait de partager le cimetière des bons chrétiens catholiques. Quant à ceux qui prêteraient assistance au suicidé, qu’ils soient livrés au bras séculier et châtiés comme ils le méritent !

Telle est bien la raison pour laquelle en Suisse, aujourd’hui encore, l’assistance au suicide demeure un délit réprimé pénalement. Magnanime, notre droit n’emprisonne pas le suicidé qui manque son coup, mais il punira à coup sûr le médecin qui se risquerait à admettre avoir aidé un patient - surtout s’il est en bonne santé - à mettre un terme à ses jours. Les pays occidentaux, tous de tradition chrétienne, sont unanimes à condamner de telles pratiques, officiellement tout au moins.

Moralement très discutable, cette façon de voir les choses est en plus la négation de l’idée même de liberté de l’individu.

Au plan moral d’abord, on ne voit pas au nom de quoi les chrétiens imposeraient leur vision à une société prétendument pluraliste. Certes l’islam et le judaïsme ne montrent guère plus d’enthousiasme à l’égard des libertés en général et de celle-ci en particulier. D’autres visions du monde - partagées par deux milliards de nos semblables au moins - voient cependant les choses très différemment : pour un hindou ou un bouddhiste par exemple, le suicidé commet un acte négatif dont les conséquences lui vaudront probablement de se réincarner sous quelque forme inférieure mais si, après tout, mon voisin veut courir le risque d’être un poulet élevé en batterie dans sa prochaine vie, cela le regarde. Quant à l’athée, ne croyant pas que la vie soit le don de quelque divinité que ce soit, on voit mal au nom de quelle logique on lui interdirait par commandement supérieur de se la retirer.

Sous l’angle de la liberté individuelle, les réticences face au suicide sont insoutenables. Le suicide est l’acte de liberté par excellence. Disposer de sa propre vie comme on l’entend et y mettre un terme pour les raisons qui nous conviennent est un aspect essentiel de la vraie liberté. De quel droit l’État ou ses églises nous imposeraient-ils de ne quitter cette planète que par maladie, accident ou épuisement de nos facultés vitales ?

De quel droit voudrait-on empêcher un médecin, s’il le souhaite, de prêter ses connaissances scientifiques à celui qui désire se suicider ? Les arguments avancés ici, tout pétris de patenôtres en arrière-plan, ne sont guère convaincants : l’éthique du médecin serait de protéger la vie et non de donner la mort. Certes, mais le premier devoir de celui qui soigne est d’être au service de son patient, y compris pour l’aider à quitter cette vie s’il le souhaite, quel que soit son état de santé. Bien des suicidaires changent d’avis par la suite et donc le médecin ne saurait donner son appui. Sans doute, mais il suffit alors au médecin de s’assurer qu’il a affaire à une personne déterminée et rationnelle et non pas à quelque dépressif. Il est allégué enfin que le fait de savoir qu’un médecin peut aider au suicide ferait disparaître la confiance de ses patients qui craindraient à tout moment de trouver quelque potion mal intentionnée dans sa seringue. En admettant que tel soit le cas, il appartient au médecin de décider s’il veut courir ce risque et non pas à la société d’imposer sa morale hypocrite en guise de règle de conduite.

Car en réalité, chacun sait bien que la plupart de ces interdits vertueusement proclamés sont vite mis en échec pour peu que le futur suicidé soit déterminé à en finir. Sauf bien sûr s’il est grabataire : on le laissera alors crever dans sa souffrance malgré ses supplications, mais la morale bourgeoise sera sauve.

Le fait que bien des gens souhaitent se donner la mort nous embarrasse et renvoie à notre société une image d’elle-même qui la gêne. Pratiquant à cet égard aussi l’éthique de la dissimulation qui nous a amené tant de déboires par ailleurs, la Suisse refuse de reconnaître la réalité et se cache derrière des texte ; vertueux. Il serait préférable de voir les choses en face et d’admettre que parmi les droits inaliénables de l’individu figure celui de renoncer à la vie. Et de s’y faire aider si bon lui semble.

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