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Pour une nouvelle nuit du 4 août

vendredi 25 juin 2010

Pour faire un pas en avant en direction du libéralisme et du jeu de la concurrence entre les hommes comme entre les entreprises, il faudrait ouvrir largement les postes de responsabilités à des candidats de différentes origines.

La méritocratie politique sélectionnée dès l’âge de vingt ans par le filtre de concours prestigieux (X et E.N.A. notamment) est à la fois adulée et contestée. Adulée parce que les plus brillants des jeunes sont tentés par elle puisqu’elle débouche presque sûrement sur l’exercice du pouvoir, contestée parce que le système qu’elle anime limite l’accès aux responsabilités de nombreux cadres et, surtout, maintient au travers des régimes politiques une organisation dominée par l’Etat.

L’Etat faisant remonter à lui l’essentiel des déci-sions économiques, financières et juridiques, un petit nombre d’hommes agit sur l’ensemble du pays en fonction de la conception qu’ils se font de ce que doit être l’économie et du genre de vie des gens plutôt que de la réalité du marché, des données de la technique et de la concurrence. Or, il y a un décalage de plus en plus grand d’une part, entre le fonctionnement de l’Etat français et l’évolution mondiale, d’autre part entre la manière dont les technocrates imaginent la société et le comportement réel des gens.

On connaît pour l’avoir dit et lu des centaines de fois les origines lointaines de cet état de choses. Pour unifier ce pays, la royauté a neutralisé les puissances nobiliaires, - qui étaient décentralisatrices, voire anarchisantes - pour faire confiance à une classe de marchands enrichis qui avaient l’occasion d’une formidable promotion sociale en se mettant au service du Roi. L’Etat a précédé le citoyen (contrairement à ce qui s’est passé aux Etats-Unis, patrie du libéralisme moderne). Dans notre organisation l’important, pour les sujets, y compris les responsables d’entreprise, est de se rapprocher du pouvoir et d’obtenir de lui les moyens d’exister et de prospérer. Dans sa version actuelle cela consiste à courir les subventions plutôt que les clients.

Tous les mécanismes économiques ont été faussés par la pratique du dirigisme par exemple ceux des prix, contrôlés ; du crédit, encadré ; de l’inves-tissement, bonifié, orienté.

Mais ce qu’on souligne moins à propos de la technocratie et de sa puissance qui se sert des régimes plutôt que les régimes ne se servent d’elle, c’est que son poids résulte aussi de la faiblesse de l’université. L’incapacité de cette dernière de trouver les formes d’organisation -autonomie, concurrence, responsabilité - propre à lui permettre de proposer une formation réellement compétitive, explique le rôle décisif des Grandes Ecoles.

Pour faire un pas en avant en direction du libéralisme et du jeu de la concurrence entre les hommes comme entre les entreprises, il faudrait ouvrir largement les postes de responsabilités à des candidats de différentes origines. Pour favoriser le pluralisme, il faudrait casser les voies privilégiées d’accès aux commandes. Mais on a toujours hésité à le faire en France car le risque était de laisser le champ libre à une université médiocre et, finalement, réactionnaire. De peur de tomber dans la médiocratie on a maintenu la méritocratie.

li faut avoir le courage historique de briser le cercle. Les jeunes qui font carrière au service de l’Etat ont des qualités qu’ils pourraient utilement mettre au service des entreprises. Souvent d’ailleurs, ils passent de l’Administration aux affaires. Mais le pli étatique est pris. Le monde des affaires est peuplé de « ci-devant ». Il serait préférable que l’accès au service de l’Etat, aux niveaux impor-tants, ne puisse être envisagé qu’après un long temps passé dans la vie économique et sociale (dix ans au moins). De même faut-il cesser d’avoir la vénération des titres pour reporter son admiration sur la capacité à obtenir des résultats. Enfin, il faut admettre qu’aucun poste, quel qu’il soit, n’est réservé à un corps ou à une ligne hiérarchique.

Cette nuit du 4 août n’ira pas sans effets négatifs, mais ils seront moins dangereux à terme que le maintien d’un système qui enferme la France et les Français dans une société « administrée ».


Article paru initialement dans les Quatre V

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