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Coûts salariaux et emploi
lundi 7 avril 2008
1. Le niveau actuel du chômage ne s’explique pas seulement par un coût du travail pénalisant
1.1. Le problème du coût du travail ne concerne pas les salariés qualifiés
Pour les néoclassiques, le salaire est la notion d’équilibre. Or d’après de nombreuses études la comparaison entre le coût du travail en France et dans le reste de l’UE dans l’industrie manufacturière, montrent que la France est globalement dans une situation moyenne. Le coût du travail est équivalent en France à ce qu’il est en moyenne dans le reste de l’Union européenne. Et même, par rapport aux Etats-Unis et au Japon, les écarts ne sont pas importants (même si toute comparaison est difficile compte tenu des variations de taux de change). La productivité des travailleurs français serait plus élevée que celle des travailleurs américains. Le facteur travail semble donc être rémunéré à sa productivité marginale, pas au-delà.
D’autre part, depuis la fin des années 1980, les surplus de productivité sont allés au capital plus qu’au travail : si bien que le coût du travail n’a pas subi en France de hausse importante. Il convient toutefois de préciser qu’il existe une spécificité française en matière fiscale : le poids des prélèvements obligatoires pesant sur le facteur travail (par le biais des cotisations sociales) est bien plus élevé en France qu’à l’étranger. Ceci est exact, mais tant en flux qu’en stock, ces prélèvements obligatoires peuvent être en fait assimilés à un salaire indirect prélevé aux salariés mais reversé soit sous forme de participations, soit au moment de la retraite. Il s’agit finalement plus d’une substitution salaire direct - salaire indirect. Si en France une part du salaire versé devient un salaire indirect, alors le coût du travail n’est pas en soi très élevé.
Le chômage des personnes qualifiées a en France d’autres causes qu’un coût excessif du travail. C’est un problème de répartition entre la part socialisée et la part non socialisée du travail.
1.2. Toutefois, un coût excessif du travail est constaté pour la main d’oeuvre non qualifiée
En France, la rémunération des personnes non qualifiées a globalement augmenté plus rapidement que la rémunération des travailleurs plus qualifiés (ce qui a conduit à une réduction de l’éventail des revenus ; et ce même si l’éventail des revenus non salariaux n’a pas diminué, lui). Le maintien de la rémunération salariale a touché exclusivement ou presque les tranches moyennes et élevées : les pouvoirs publics ont augmenté le SMIC brut, ce qui a renchéri le coût du travail pour les non qualifiés (cf. le rapport de Foucault).
Et ce dans une situation où l’équilibre sur le marché du travail aurait dû entraîner une forte baisse des salaires réels versés aux salariés les moins qualifiés. Dans la mesure où le développement du commerce international, et plus encore la concurrence croissante des pays abondamment dotés en main d’oeuvre à faible qualification, et dont la qualification a augmenté plus rapidement que la rémunération (NPI), menace nombre d’emplois non qualifiés en Europe. Selon le rapport de Jean Arthuis (1993), 3 millions d’emplois sont menacés en France par la concurrence internationale des pays à faible coût salarial. Les observatoires (de l’OCDE à l’OFCE) parlent plutôt de 150.000 emplois détruits.
La résultante en est une baisse de la demande en emplois non qualifiés de la part des entreprises. D’ailleurs, la croissance du commerce international explique de 10 à 50 % de la variation du chômage non qualifié.
La forme de la croissance, selon P. Krugman, se serait modifiée : elle abaisse la demande de salariés peu ou pas qualifiés, de deux manière distinctes ; en Europe, par une hausse du chômage, particulièrement des moins qualifiés ; et aux Etats-Unis, par un élargissement de l’éventail des rémunérations (il s’agit plus précisément d’une baisse réelle des rémunérations des moins qualifiés). Ainsi, aux Etats-Unis, la proportion des employés à temps plein au revenu inférieur au seuil de pauvreté (en termes absolus) est passée de 12 % de la population active en 1979, à 18 % en 1990. Mais là-bas, on observe une substitution des personnes qualifiées aux non qualifiées, au même rythme dans les secteurs exposés que dans les secteurs protégés de l’économie : la concurrence internationale n’est pas le facteur principal ; les évolutions technologiques réduisent fortement la demande de personnes non qualifiées.
1.3. Mais même pour les personnes non qualifiées, d’autres facteurs que le coût du travail agissent sur l’emploi
* Les politiques conjoncturelles : les conséquences de la désinflation compétitive, l’insuffisance actuelle de la demande, la faiblesse de la consommation, provoquent un chômage conjoncturel qui concerne aussi les non qualifiés ;
* Les problèmes structurels du marché du travail (cf. infra)
* Pour les chômeurs non qualifiés, il faut aussi prendre en compte le remplacement de personnes non qualifiées par des personnes qualifiées en situation de chômage, ce qui provoque une hausse plus élevée du taux de chômage des non qualifiés que celle des qualifiés, en l’absence même de tout problème de coût du travail.
2. Les politiques d’abaissement du coût du travail pour les non qualifiés doivent entrer dans le cadre plus général des politiques de l’emploi
2.1. La réduction du salaire brut et du coût du travail des moins qualifiés : une méthode efficace pour réduire le chômage mais difficile à mettre en oeuvre
La suppression du SMIC est un débat épineux. Elle n’aurait probablement pas de conséquences favorables dans le secteur industriel car toute baisse des salaires eu-dessous du SMIC réduit la productivité. Or, étant donné la forme des fonctions de production en France, et étant donné la façon dont se substitue le capital au travail, il est douteux qu’une telle mesure puisse substituer du travail au capital dans l’industrie manufacturière.
En revanche, cette mesure présente des avantages pour les services, notamment de proximité, où l’influence des salaires sur la productivité n’a pas de sens. Cela ferait apparaître une demande solvable qui ne peut pas s’exprimer pour l’instant, compte tenu de rémunérations trop élevées. Le problème, classique, est l’acceptation sociale d’une telle mesure.
2.2. Un abaissement du coût du travail par une modulation des cotisations sociales patronales
Il faut agir sur la part socialisée du coût du travail. La loi quinquennale sur l’emploi, puis les plans de décembre 1993 et juin 1995 ont mis en place un allègement des charges pour les emplois à bas salaire, avec une exonération dégressive (1 à 1,25 SMIC), et d’autre part une exonération de cotisations familiales, dégressive elle aussi (totale entre 1 et 1,2 SMIC, de moitié jusqu’à 1,3 SMIC).
Au surplus, toutes les mesures diminuant les cotisations afférentes aux personnes non qualifiées, et compensées par autre chose (hausse des cotisations des autres, CSG, etc.) ont un impact favorable sur le coût du travail des non qualifiés.
Mais attention : ces mesures sont très coûteuses : les deux citées plus haut s’élèvent à 10 milliards de francs, pour permettre la création de 50.000 emplois (dont 40.000 de non qualifiés). De plus, ces mesures ont une efficacité limitée et à court terme. Ce n’est sans doute pas à la mesure de l’importance de la nécessité de l’abaissement du coût du travail.
2.3. Ces politiques doivent s’insérer dans une politique de relance globale de l’emploi
Une telle politique aura pour effet de relancer la croissance (d’où une réduction du chômage conjoncturel), et de réduire aussi le chômage structurel (notamment par une politique de formation et de requalification des moins qualifiés) comme le prône R. Reich.