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Les comportements d’épargne
lundi 7 avril 2008
Une première explication des comportements d’épargne est la théorie du cycle de vie et du revenu permanent. Le cycle de vie, tel que défini par Modigliani, insiste sur le fait que l’épargne varie en fonction de la répartition de la population entre jeunes actifs et inactifs âgés. Le revenu permanent, formulé par Friedman, conditionne la consommation permanente : lorsque le revenu varie, les agents se demandent si cette variation est transitoire ou définitive ; ce n’est que dans ce second cas qu’ils épargent. De même, lorsqu’un agent constate une hausse de son revenu, il ajuste sa consommation et son épargne sur une situation espérée (selon que la variation de revenu est pour lui temporaire ou définitive).
A l’inverse, d’autres auteurs insistent sur la contrainte de liquidité : l’épargne ne saurait être fonction du revenu permanent, mais uniquement du revenu courant. Brow, néokeynésien, réplique en faisant l’hypothèse de la formation d’habitudes par les agents. La consommation est facteur du revenu cumulé, et non facteur du revenu le plus récent. Alors, et symétriquement, l’épargne suit une même évolution.
D’autres analyse, tout aussi classiques, s’inscrivent en terme de patrimoine. Ainsi en est-il en premier lieu de la variation du taux d’inflation. Les néoclassiques parlent de l’effet d’encaisses réelles : les ménages recherchent un niveau d’encaisses constant (Pigou). Une hausse de l’inflation induit donc une hausse de l’épargne. Les keynésiens ajoutent qu’apparaît également une phénomène de fuite devant la monnaie (mais uniquement en situation d’hyperinflation).
Autre analyse patrimoniale, celle qui insiste sur la variation des taux d’intérêt réels. Pour les néoclassiques, le partage entre consommation future (c’est-à-dire épargne) et consommation présente se fait en fonction d’un prix : le taux d’intérêt. Mais cette affirmation théorique n’est pas toujours confirmée par la pratique : ainsi en France, dans les années 1970, le taux d’épargne était important, alors que les taux d’intérêt réels étaient négatifs.
Enfin, une dernière analyse patrimoniale insiste sur la variation des prix relatifs des actifs financiers ou immobiliers.
D’autres analyses, non patrimoniales, insistent sur la politique budgétaire et fiscale, selon trois leviers : la dette publique, les régimes de retraite, la fiscalité.
La dette publique tout d’abord : l’hypothèse formulée est celle d’une hausse du déficit financée par l’emprunt qui induit un effet expansif par le multiplicateur keynésien (hausse de la demande globale, hausse de la production, hausse du revenu, et, grâce à la propension marginale à consommer, hausse de la demande et ainsi de suite). Laquelle contient en germe plusieurs hypothèses implicites : en premier lieu, la rigidité des prix est nécessaire. Si les prix (et les salaires) sont flexibles, le multiplicateur ne multiplie rien du tout. Il faut d’autre part que les agents considèrent que leur richesse a augmenté par le fait même de la hausse du déficit ; alors seulement ils consommeront davantage. Or le déficit est-il une créance que les ménages se créent sur eux-mêmes ?
Barro réplique de les ménages ne considèrent jamais que la dette publique est une richesse supplémentaire. Ils savent que les administrations subissent une contrainte intertemporelle qui induit que tout alourdissement de la dette entraînera un alourdissement de la fiscalité ou une baisse des dépenses publiques. Les ménages anticipent cet effet, augment leur taux d’épargne, et pas leur consommation. Trois conclusions sont permises des observations de Barro : en premier lieu, il y a une neutralité du mode de financement des dépenses publiques (impôt ou endettement). Ensuite, la politique bugétaire est un instrument de stabilisation inefficace. Enfin, la seule option que nous pouvons prendre est celle qui consiste à laisser jouer les stabilisateurs automatiques. Tout ceci a été baptisé du nom de "l’équivalence néo-ricardienne".
Quelles en sont les conclusions de politique économique ? Il faut alors des financements publics basés sur des impôts non distordants. Ensuite, les ménages doivent optimiser sur un horizon temporel infini. Il faut enfin que les marchés soient parfaitement efficients et n’imposent pas de contrainte de liquidité.
Dès 1974, l’équivalence néo-ricardienne a été critiquée : les contraintes de liquidité existent, et les ménages n’ont pas tous un comportement dynastique. Ainsi lors de la hausse du déficit budgétaire américain (de 1979 à 1985), le besoin de financement de la nation, donc le déficit de la balance des paiements courants américaine s’est creusé parrallelement au deficit budgétaire fédéral (Summers), et l’épargne des ménages n’a pas augmenté. Feldstein indique d’autre part que, durant la période 1930-1977, les ménages américains n’ont pas eu de comportement néo-ricardien : le creusement du déficit public exerce donc bien un impact sur le taux d’épargne de la nation.
Mais en Europe, il y a nombre de contre-exemples validant l’hypothèse d’équivalence néo-ricardienne : la Belgique et l’Italie en premier lieu, qui ont des niveaux d’endettement public très élevés. Les ménages anticipent assez fortement l’impact du creusement du déficit public sur les hausses d’impôts futures. En Israël également : au milieu des années 1980, la politique budgétaire a été d’abord fortement expansionniste, puis restrictive. Cette évolution du besoin de financement des administrations publiques a été compensée par l’évolution du taux d’épargne à la hausse puis à la baisse au moment de la consolidation budgétaire. Par ailleurs, d’autres pays, tels que le Danemark ou l’Irlande, ont mené avec succès des programmes de consolidation budgétaire. Ces politiques budgétaires restrictives ont eu des effets expansionnistes, par l’impact de cette consolidation sur les taux d’intérêt réels. (1) Enfin, la France, de 1991 à 1994, a mené une policy mix avec une politique monétaire restrictive, et une politique budgétaire fortement expansionniste. La double conséquence en a été le maintien des taux à un niveau élevé, et une stimulation de l’alourdissement du niveau d’endettement public. La contradiction majeure entre cette policy mix et les critères de Maastricht est-elle apparue aux yeux des ménages ? C’est possible.
L’existence de régimes publics obligatoires de retraite par répartition a également un impact majeur sur les comportements d’épargne. Selon Feldstein (1974), ces régimes exercent un effet négatif sur le taux d’épargne par un simple effet de richesse. On peut calculer l’équivalent patrimonial du droit à la retraite. (valeur actualisée des prestations futures valeur actualisée des cotisations d’assurance-vieillesse) Si la valeur de cet équivalent patrimonial augmente, il y aura une moindre épargne ; si elle diminue, l’épargne augmentera. Aux Etats Unis comme dans les autres pays de l’OCDE, le développement des régimes de retraite a eu un effet négatif sur le taux d’épargne des ménages.
Barro contesta une telle analyse en 1976 : pour lui, les systèmes de retraite publiques sont neutres sur le taux d’épargne des ménages. Si le gouvernement décide de maintenir une inégalité au niveau des cotisations entre le public et le privé, les ménages du privé financeront le système de retraite du public : les contribuables actuels, en prévision des impôts futurs, épargent davantage aujourd’hui pour compenser cet effet. Alors l’impact des régimes de retraite sera globalement équilibré sur le taux d’épargne. Il n’y aura pas d’effort supplémentaire demandé aux salariés du public, mais l’ajustement se fera par le taux d’épargne du privé. Il convient ainsi de noter que la dégradation de la rentabilité de la retraite par répartition a déjà été intégrée par les agents en Union européenne.
Enfin la fiscalité a un impact important sur le taux d’épargne.
impact de la variation du taux d’intérêt sur l’épargne : une variation des taux d’intérêt a deux effets inverses sur l’épargne des ménages : soit un effet substitution, soit un effet revenu (l’un positif, l’autre négatif, sur le taux d’épargne). Dans nombre de pays, l’elasticité de l’épargne des ménages rapportée au revenu est positive (de l’ordre de 0,4). En France, l’épargne n’est pas sensible au taux d’intérêt. Ce qui est logique dans la mesure où la déréglementation financière est survenue tardivement ici ; or, pour qu’il y ait un lien entre la variation du taux d’épargne et la variation des taux d’intérêt, il faut que les ménages aient accès à une forme complète de produits et de marchés financiers.
impact de la fiscalité du capital sur le taux d’épargne : ici la situation est différente. Une variation de la fiscalité sur le revenu du capital affecte le rendement réel de l’épargne, comme une variation du taux d’intérêt réel. Il y a alors un effet de substitution par rapport au revenu. Mais ce qui est différent ici, c’est que l’effet revenu est totalement supprimé, car un alourdissement de la fiscalité sur les revenus du capital entraîne une redistribution des recettes fiscales aux ménages (dépenses publiques supplémentaires, ou allègement d’autres impôts). Comme il ne reste que l’effet substitution, c’est le mode de compensation qui détermine in fine l’impact sur le mode de comportement des ménages. Si, par exemple, une baisse de la fiscalité du capital est compensée par un alourdissement de la taxation de la consommation, le fardeau fiscal est reporté sur les inactifs (l’effet substitution l’emporte fortement sur l’effet revenu, donc hausse de l’épargne) ; Si une telle baisse est compensée par un alourdissement de l’impôt sur le revenu, le fardeau revient alors aux actifs : le taux d’épargne peut alors très bien diminuer. (Auerbach et Kotlikoff)
Feldstein réplique qu’à supposer même que l’effet revenu compense totalement l’effet substitution (effet nul sur le taux d’épargne), la taxation du capital entraînera tout de même des pertes de bien être en perturbant la planification de la consommation des agents dans leur cycle de vie : comme le rendement de l’épargne diminue, les agents au taux d’épargne inchangé vont disposer d’une consommation future plus faible, car ils subiront des impôts supplémentaires. (2)
Enfin, il faut noter même si c’est l’évidence que le mode de socialisation des risques, au-delà de ce qui a été dit plus haut, exerce un effet majeur sur le taux d’épargne : si l’Etat-providence protège les agents de l’incertitude, l’épargne individuelle sera faible car les risques seront socialisés.
Par conséquent, les autorités peuvent agir au moins par la régulation du niveau d’endettement public, tant que les ménages n’ont pas de comportement néoricardien ; et, si différentes conditions sont réunies, les autorités peuvent agir sur le taux d’épargne privé : il faut pour cela que les politiques budgétaire et surtout fiscale soient crédibles : c’est-à-dire soutenable (politique budgétaire) et stable (politique fiscale).
Et si ces divers facteurs expliquent le comportement d’épargne, un facteur unique semble présider à l’allocation de cette épargne : le niveau des taux d’intérêt.
Notes
1 : Giavazzi et Pagano, 1990.
2 : Feldstein, The Welfare Cost of Capital Income Taxation, 1978.