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Le Conseil des racailles

vendredi 6 août 2010

On fait souvent le parallèle racailles d’en-bas / racailles d’en-haut, généralement pour éviter d’avoir à répondre au problème de la racaille d’en bas. Ainsi va la vie dans la République du Bisounoursland. Mais si, le temps d’un conseil des ministres, les racailles étaient inversées ?

En ce début d’août, c’est le dernier Conseil des Ministres avant quelques semaines de repos. Déjà, les couloirs de l’Elysée bruissent des conversations entre les responsables du gouvernement. Les fenêtres sont ouvertes, et l’air frais, porté par une petite brise légère, vient agréablement parfumer les collations, le café, le thé et le jus d’orange servis par des huissiers affairés.

Les MC prennent place.

Grand Masterflash MC Sarkozyva s’avance et lâche furtivement son baggy caleçon-apparent pour saisir la chaise dans laquelle il va s’asseoir. Le baggy, béant, tombe. Personne n’a rien vu : tout le monde est trop affairé à piocher dans les mignardises ou à papoter avec ses voisins. MC Barouin Lethal Blade, qui semble s’ennuyer un peu seul, a entrepris de taillader consciencieusement un des fauteuils en cuir du petit salon attenant avec un cutter couvert de strass rutilants, outil qui lui a valu son nom de scène.

Dans un coin, MC Lagarde, mAm, Val & Cresse Périt, roz-Line et Fedalapanorama regardent, en agitant leurs hanches, Yadlarame qui leur montre ses derniers mouvs de break-dance. MC Toksiko-Mori7, pendant ce temps, négocie avec Nado Moradine le rip complet et HD du blu-ray de Step Up 2 The Streets.

La séance n’est pas encore commencée. BorlOPucino est encore dans le couloir : il se roule un splif tout en en proposant un échantillon à « Silver Tongue » Chatel-Flava’ qui lorgne en réalité sur le petit stand de DVD pornographiques que Jay-L vend à des prix planchers (c’est sa quinzaine commerciale avant les vacances).

MC Sarkozyva prend la parole : « Sur la vie de ma mère, je déclare la session ouverte ! Aujourd’hui, c’est MC Lagarde qui commence avec les finances. Zyva Garde-La, on t’écoute. »

[ beat sonore : poum poum tchak, poum, tchak, ... ]
MC Lagarde se racle la gorge et commence en agitant l’index :

yoyo yo yoyo yo zarma zarma la raaaaage,
yeah yeah mmmh

dans ma banque c’est la rage
on n’a plus de taxes !
dans mon administration, c’est la rage
il va falloir nétour la page
c’est la rage
à tous les étages !

zyva,on n’a plus de taxes ! yoooo zyva,
zarma la finance !
zarma l’Europe !
zarma le chomâââââge à tous les étages !
Deux mil dix deux zéro un zéro riprazent la rigueurrrrr !

[ break ]

Dans la salle, l’ambiance est rapidement montée. Ça siffle, ça braille et ça applaudit en dodelinant de la tête. Quelques exclamations fusent.

- bravo Garde-La ! Comment tu chiredé !
- Zyva la meuf ! Elle a un bon son pour une biotche !
- Ouais elle chiredé plus que MC Toksiko-Mori7 !
- Ouha lot’ MC Sarko comment you got seurv’de !

Après un tel slam, seul un cador peut tenter de relever le défi : c’est L.A. Blond, MC Snake Eyes Brice LaBlonde qui tente le coup. Mais alors qu’il va se lancer, dans un coin, seuls MC Bernie Kouchner Face et Nono LeMaire, MC Fish & Chips, ne se joignent pas aux louanges du groupe : le ton monte entre les deux mâles. Bernie s’en prend à Nono :

« Zyva comment t’es relou ! Fais nétour, chacal ! C’est rien qu’une garetteci, t’en as un paquet tout neuf !

_Zyva mais p’tain tu crois quoi que j’les fais pousser ? Tu penses que j’les cultive dans mon jardin c’est ça ? Pov’bouffon !

_Vas-y tu me files trop les nerfs ‘tchulé ! Fais tourner ta garro sale creuvard !

_Ouah l’autr’hé comment tu me soules grave ! Tu veux quoi zarma ? Que je te slide un texto pour te dire non ? Va iech pov’nul ! »

La discussion s’interrompt promptement alors que MC Snake Eyes Brice LaBlonde prend la parole.

[ beat lent, nappes de violons dans le fond, basse lourde ]

Mh mmmmmh yooooo

Plus de compromis ! Plus de tractations !
On sort les kärchers, va y’avoir d’l’action !
Fini les trafics la cave à Momo
Cette fois c’est sûr on va y aller franco !

(break)
C’est la guerre !
Pas d’avenir pour la racaille !
C’est la guerre !
(break)

Mon frère j’t’le dis, quand y’en a un, ça va,
Mais c’est quand y’en a plusieurs que ça va pas.
J’vais compter les papiers, reluquer les visas
Calculer la racaille et l’expulser fissa.

(break)
C’est la guerre !
Pas d’avenir pour la racaille !
C’est la guerre !
(break)

Délire dans la salle. Les gonzesses ont arrêté de se trémousser pour écouter MC Snake Eyes Brice LaBlonde qui balance un beat de malade. Des riffs de guitare funk sont subtilement ajoutés à la rythmique endiablée pour donner un effet Delegation de folie. Les murs vibrent, les verreries du plafond se dandinent sous les pulsations brutales de la musique aux basses thermonucléaires.

A ce moment, l’ambiance est à son comble dans la salle : l’air s’est joyeusement mélangé avec les volutes bleutés et grisâtres de joints de plus en plus obèses distribués généreusement par un Jay-L « Johnny Walker » BorlOPucino déchaîné, et les jus d’orange sont maintenant copieusement arrosés de spiritueux solides dégotés par Macktastick Patrick Devedj’ dans un des petits buffets qui décorent les coins de la pièce.

Mais soudain, les doubles portes s’ouvrent violemment : personne n’avait noté son absence, mais c’est bel et bien Woerz-La-Peste qui déboule. Il n’est pas venu seul et a rameuté toute sa troupe, le Gang de Bercy.

Grand Masterflash Sarkozyva ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel, en signe d’accablement. Si on prénomme Woerz « La-Peste », ce n’est pas parce qu’il l’amène, mais parce qu’il en est une pour la tribu.

Et évidemment, hormones aidant, ça ne traîne pas : comme Jacky Morin, qui accompagne Woerz, est venu avec son pitbull aux oreilles coupées, Golen, une petite discussion échaudée s’engage avec les gonzesses dont certaines sont très nerveuses à l’approche du gentil canidé. Et avant que le calme ne puisse retomber, Woerz-La-Peste prend la parole.

« Wesh, les keums, c’est la deu-mer ! La vieille Bettencourt a tout balancé, c’te grosse biotche, et ça commence à refouler sévère vers nous. On va tous se faire péoch ! »

Immédiatement, Grand Masterflash Sarkozyva, qui s’était tenu assez tranquille jusque là, s’exclame :

« Putain zyva, tu me fais trop tiépi ! Quelle idée aussi de venir gober ses p’tites enveloppes ! C’tait clair qu’il allait bien y’en avoir un à lé-par un jour ou l’autre. Et tu comptes faire quoi, là, pour résoudre ton blème ? Tu crois qu’en venant chialer ici, on va pouvoir trouver une soluce, vite fait, çakom ? »

L’ambiance tombe d’un coup. Les platines qui débitaient du Sniper en fond depuis plusieurs minutes s’interrompent avec un glissendo rapide dans les graves du plus bel effet. MC Fredmi aka Boxer Thaï Lover, une bombe de rouge carmin à la main, s’arrête même de refaire la déco du mur de gauche et attend, doigt sur la détente. La tension est palpable. Golen en profite pour pisser derrière un rideau.

Grand Masterflash Sarkozyva pousse un soupir de lassitude. Glissant un regard méchant vers MC Snake Eyes Brice LaBlonde, il reprend :

« Bon bah j’crois qu’on va faire comme d’hab. On va occuper le pékin : Brice, t’aura qu’à bombarder ton groove une fois ou deux sur les ondes, ça devrait le faire. »

Visiblement, la tension se relâche dans la salle. Quelques MC reprennent une respiration normale, BorlOPucino allume même un joint hors gabarit. Mais avant que les platines recommencent à cracher leurs rythmiques stéroïdées, Woerz-La-Peste prend la parole :

« Ça suffira pas. Pas c’te fois. Va falloir faire plus. Déchirer grave dans les médias. »

Grand Masterflash Sarkozyva hésite. Il sait que Woerz-La-Peste a raison.

« Ouah zyva p’tain fais chier. Et tu vois quoi, toi, de plus ultime que les grooves de Lablonde ? »

Woerz-La-Peste se retourne alors vers Sarkozyva, et, son regard planté dans celui de son chef, lâche, d’une traite :

« Là, faut le tapis de bombe, keum ! Cash ! »

A nouveau, c’est le froid polaire dans la salle. Tous savent ce que ça veut dire. Seul Golen émet quelques bruits intestinaux et continue de baver sur les rideaux qu’il mâchouillait consciencieusement quelques secondes plus tôt. Grand Masterflash, sentant qu’on le met au défi, ne se démonte pas.

« Tapis de bombe, hein ! Tu veux du relou, tu vas en avoir. On va se la jouer façon médiévale. On va dégueuler de la loi et du décret comme jamais, les keums ! A partir de maintenant, c’est open-bar ! »

En prononçant sa phrase, il s’est levé et a sorti son Desert Eagle qu’il garde toujours sur lui. Le bras levé, il tire plusieurs coups vers le plafond, déclenchant des cris de joie et les applaudissements de tous les MC présents. Aussitôt, les platines repartent à fond et les pops joyeux du champagne ouvert violemment retentissent dans la salle.

C’est çakom, chez Sarkozyva : un fait divers, une loi !


Voir en ligne : Le Conseil Des Racailles

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