Accueil > Argumentaires > L’argent des autres > Les schizophrènes
Les schizophrènes
vendredi 3 septembre 2010
La nature d’un individu ne change pas qu’il oeuvre dans le domaine public ou privé.
Une soirée d’été. Ma blonde et moi regardons la série Lost. À l’écran, les naufragés de l’île tombent face à face, pour la première fois, avec les « autres » – ces indigènes épeurants, sales, aux intentions louches. Ma blonde m’agrippe le bras. Moi je me dis : mon Dieu… des gens du privé !
Faut m’excuser. Je vis au Québec. Où on entend constamment les syndicats (et beaucoup de journalistes) perpétuer le mythe selon lequel il existe deux genres d’êtres humains : les syndiqués du secteur public (gentil) et le privé (méchant).
Comme en fait foi cette pub du syndicat de la fonction publique (SFPQ), qui tourne en ce moment dans tous les médias. On y voit un homme d’affaires véreux, Bob Cashflow, se frotter les mains. Le gouvernement du Québec veut transformer le ministère du Revenu en agence du revenu, hors du secteur public. Ce qui permettra au gouvernement, entre autres, de sous-traiter des tâches à des entreprises privées (ce qui fait la joie de Bob Cashflow). Dans la pub, on brandit l’épouvantail du privé, qui pourrait entrainer toute sorte de « dérapages »...
Je ne m’attarderai pas sur cette publicité. Notons seulement que le fédéral a transformé depuis 1999 son ministère du Revenu en agence (hors de la fonction publique). De l’avis général, la nouvelle entité est plus souple et plus efficace. Et aucun Bob Cashflow ne s’enrichit en vendant vos renseignements personnels.
Mais surtout, cette publicité perpétue une vision schizophrénique et erronée de la société. Une vision que les syndicats propagent pour défendre et justifier leurs privilèges. Une vision qui, malheureusement, entretient chez le public une méfiance extrême envers tout projet impliquant des travailleurs du privé – c’est-à-dire la grande majorité des Québécois.
Cette vision se résume ainsi : les entreprises du privé ont des motivations égoïstes et poursuivent leur intérêt personnel. Le secteur public, lui, est peuplé d’êtres altruistes dont toutes les décisions visent à servir la collectivité.
Mais dites-moi : en quoi l’enseignante d’une école privée diffère-t-elle fondamentalement de l’enseignante d’une école publique ? Par quelle vertu particulière ai-je moi-même changé subitement de nature lorsque je suis passé de journaliste à Radio-Canada à pigiste pour des magazines « privés » ?
Et dites-moi : où était le sacrifice de soi pour l’intérêt public chez les quelque 500.000 fonctionnaires cet été, quand ils réclamaient des augmentations de 3% par année ? Hausses de salaire payées en majeure partie par des Québécois sans sécurité d’emploi ni régime de retraite garanti, endettés, qui croupissent des nuits entières dans les couloirs d’hôpitaux délabrés.
Où est la compassion chez les syndiqués du secteur public ontarien ? Qui réclament des augmentations alors que 200.000 de leurs concitoyens contribuables – presque tous du secteur privé, ont perdu leur travail depuis le début de la crise ?
Où est le sacrifice chez les policiers de l’État de New York ? Où un chef syndical – qui gagne plus de 100 000$ – affirme au New York Post : « Si les impôts des citoyens doivent augmenter pour couvrir ma hausse de salaire, so be it ! »
La plus grande contribution de la science économique au cours du dernier siècle est sans doute la théorie des choix publics. Pour la résumer grossièrement : la nature d’un individu ne change pas qu’il œuvre dans le domaine public ou privé. L’homme est le même partout. Ceux qui, en surface, semblent avoir choisi de se donner à la chose publique, poursuivent en réalité leurs propres buts. Souvent, au détriment de la société. (La commission Bastarache, ça vous dit quelque chose ?)
Si on pouvait se rentrer ça dans le crâne, on s’éviterait bien des débats inutiles. Et on avancerait un peu.
Voir en ligne : Les schizophr