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Comment penser Haider ?

vendredi 14 avril 2000

On ne peut pas contester le gouvernement autrichien puisqu’il a été démocratiquement élu

Ce qui est problématique avec Haider, c’est qu’il est arrivé au pouvoir de façon parfaitement démocratique (du moins formellement). On peut certes ériger une summa divisio entre le démocratisme de forme et le démocratisme de fond, Haider répondant au premier mais pas au deuxième de ces critères. Mais cela semble à notre sens trop flou et insuffisant. Il faut donc entrer dans plus de détails en la matière.

Il y a en effet deux manières de justifier la présence de Haider au pouvoir en Autriche, ou plus exactement de s’en accomoder : on peut, d’une part, considérer à l’instar de nombre d’Autrichiens que toute manifestation hostile au nouveau gouvernement autrichien constitue une ingérence extérieure pure et simple ; on peut aussi, d’autre part, clamer qu’il faut toujours s’incliner devant un gouvernement issu des urnes et démocratiquement organisé. Une autre variante, plus cynique, consiste à dire - ce qui est l’évidence - que l’Europe était moins regardante du caractère "démocratique" des "démocraties" populaires. Ces positions nous semblent totalement fausses.
Pour expliquer notre point de vue, il faut remonter à l’Antiquité. A Athènes, en effet, la démocratie était entendue comme une communauté de citoyens (1). C’est l’homme en tant que citoyen, pas l’homme en tant que tel, qui avait droit de cité dans les écrits de Périclès. A l’inverse, et Alain Finkielkraut le montre remarquablement bien, la modernité, à partir du XVIIIe siècle, a entendu par démocratie la communauté des hommes (citoyens en tant qu’hommes). Le suffrage universel, idée aberrante pour les Grecs, constitue le symbole ultime de cette translation : il ne voit en effet le jour, progressivement, qu’avec la modernité, laquelle a donc institué l’humanité en une origine de la citoyenneté. Les élus représentent donc le peuple, mais aussi l’humanité. Par conséquent, la démocratie n’empêche pas en tant que telle le crime de lèse-humanité : les citoyens sont sous la surveillance des hommes, et le peuple sous celle de l’humanité.
Il nous semble donc que les thèses pro-démocratiques (et non nécessairement pro-Haider, évidemment) négligent ce sens nouveau que prend la démocratie avec la modernité. Ces thèses tendent en effet à réduire la démocratie à la souveraineté populaire et au vote majoritaire.

Il faut lutter contre cet Hitler aux petits pieds

Un argument radicalement inverse consiste, de la part de gens qui sont quasiment tous nés après 1945, à s’ériger en défenseur de la liberté et à tout mettre en oeuvre pour que l’histoire funeste ne se répète pas. On invoque Munich, mais est-ce pertinent ? Nous ne le pensons pas du tout. Après l’annexion des Sudètes, il y avait en effet dans toute l’Europe la peur, une peur omniprésente, qui explique mieux que tout autre facteur la capitulation de Munich. Le contexte n’a strictement rien à voir, et il est absurde de comparer Haider et Hitler. Que le premier soit un populiste démagogue et donc dangereux, c’est évident, mais la comparaison s’arrête là. Ce n’est pas parce qu’il faut méditer sur le passé qu’il faut pour autant combler le fossé qui nous en sépare.
D’ailleurs, nous sommes tous loin d’être aussi courageux vis-à-vis de ceux qui nous font réellement peur (Tchétchénie, Chine). On aurait plutôt tendance à pratiquer les courbettes à un rythme industriel devant Poutine, et rares sont ceux qui ont eu le courage de protester contre la visite officielle du président Chinois en France, au printemps 2000. (2)

Les sanctions prononcées à l’encontre de l’Autriche ne sont pas justifiées

Il est assez largement scandaleux que l’UE prenne des gants vis-à-vis de Poutine ou de Kadhafi, mais multiplie les vexations à l’égard de l’Autriche. Au surplus, les sanctions ne sauraient se parer d’une quelconque base légale, dans la mesure où aucun traité, aucun réglement, ne les autorisent. Pourquoi une telle attitude ? C’est sans doute parce que les autres pays européens redoutent une extension du populisme d’extrême droite : Haider, qui serait considéré en Allemagne comme un trublion marginal et peut-être même poursuivi pour révisionnisme, prend en Autriche la dimension d’un homme d’Etat très populaire. C’est cela qui est étrange.
N’oublions pas que le populisme est incompatible avec la démocratie. Il met en contradiction les procédures démocratiques et les valeurs démocratiques. Il mine donc la démocratie par les moyens de la démocratie. Mais il est étonnant que, depuis 1986 (date de la reprise en mains du FPÖ par Haider), ce parti et son leader n’avaient jamais été sanctionnés alors qu’ils siégeaient dans de nombreuses assemblées en Autriche et en Europe.

Haider n’est pas un néo-nazi

En 1999 il déclare : "Pour la première fois depuis 1945, le FPÖ obtient la majorité dans une région." Depuis 45 ? Quel lapsus ! Le FPÖ n’existe que depuis 1956...

Haider est le fils d’un militant nazi de la première heure, de l’époque où le NSDAP était illégal en Autriche. Son père a participé au putsch de 1934. Il a été chef des Jeunesses hitlériennes du Gau d’Oberdonau (en Haute-Autriche). Jorg hérite dans les années 1980 d’une immense propriété "aryanisée" en 1939 (volée à une Juive italienne). Ces faits-là parlent d’eux-mêmes.

Mais attention : l’antisémitisme et le révisionnisme sont des ingrédients de l’idéologie haiderienne refoulés dans le non-dit. Ils n’affleurent que dans ses dérapages verbaux contrôlés. On ne trouvera donc que peu de preuves dans ses discours.

Les Autrichiens ne sont pas racistes

Pas du tout. C’est un pays où se commet un nombre très faible de crimes ou bavures racistes ; au demeurant, l’Autriche a accueilli énormément de réfugiés venus de l’ex-Yougoslavie. En fait, l’Autriche a forgé son identité depuis 1955 sur quelques stéréotypes bucoliques et décoratifs, comme le rappelle non sans humour Jacques Le Rider : "lacs azurs et cimes neigeuses, le Beau Danube Bleu des concerts du Nouvel an, la cathédrale Saint Etienne, le profil de Mozart sur les boules de chocolat fourrées au massepain". Les Autrichiens ont fini par croire en cette idylle et par se considérer en toute bonne foi comme l’un des peuples les plus sympathiques de la planète. C’est aussi pour cela que les sanctions les brutalisent autant.

L’Union européenne est-elle unie face au cas Haider ?

Non : en Allemagne, la CDU recherche une formule permettant la fin des sanctions sans désaveu de l’UE. La droite allemande soutient en effet le chancelier Schüssel et ne voit pas de "problème Haider". Par ailleurs, le Danemark a plusieurs fois fait part de son désaccord face à la gravité et à la rapidité des sanctions qui ont été infligées à l’Autriche.

Les sanctions sont injustes dans la mesure où elles touchent toute la population autrichienne

Nullement. Les sanctions bilatérales et de l’UE ne concernent que les gouvernements. Si les touristes, français tout spécialement, fuient l’Autriche, il ne s’agit que de décisions individuelles que les pouvoirs publics ne dictent pas. Les sanctions en elles-mêmes sont peut-être excessives, mais il ne faut pas omettre que les Autrichiens étaient prévenus. Le chancelier Schüssel a sous-estimé les conséquences internationales de sa politique intérieure.

Si Haider est un grand méchant loup, les autres partis sont-ils des brebis ?

Si c’est le cas, alors il faut parler de brebis gâleuses. C’est tout particulièrement vrai des sociaux-démocrates du SPÖ. Son nouveau chef, Gusenbauer, a lancé une enquête sur les taches brunes qui souillent l’histoire du SPÖ. Après 1945, les premières mesures de dénazification ont nui aux socialistes et aux communistes et renforcé les conservateurs de l’ÖVP qui passaient pour plus indulgents. En 1948, la dénazification est terminée : les anciens NSDAP récupèrent leur droit de vote. Mais surtout, un nouveau parti, le VdU, est constitué. Il est soutenu par les Soviétiques (qui croyaient, à tort, que les communistes du KPÖ seraient renforcés si les anciens nazis se regroupaient dans un parti ad hoc au lieu d’aller grossir les rangs des sociaux-démocrates et les conservateurs), et par les socialistes eux-mêmes (qui spéculaient sur un clivage à droite, à tort également).
Or ce VdU constitue la base de l’actuel FPÖ.
Mais rapidement le SPÖ a manqué de cadres. Il a donc accueilli bon nombre de personnalités compromises en 1934 et 1945 sans y regarder de trop près. Même s’il a été sans doute le plus nettement antifasciste des partis autrichiens, le SPÖ a de nombreuses zones d’ombre. Par exemple, en 1975, Kreisky prit la défense de son petit allié FPÖ Friedrich Peter, un vétéran de la Waffen-SS, contre Simon Wisenthal, le "chasseur de nazis" (3).
Autre exemple, l’affaire Gross : le bon docteur Gross fut sous le nazisme l’animateur épouvantable d’un centre d’euthanasie pour enfants attardés et anormaux. L’eugénisme y était pratiqué à cadences industrielles. Or ce docteur Gross a joué jusqu’aux années 1990 un rôle de premier plan dans le parti socialiste, et le SPÖ l’a toujours couvert.

Notes

1 : Voir les travaux de Dominique Schnapper.

2 : Soyons précis : François d’Aubert et Noël Mamère à l’Assemblée nationale.

3 : Cela étant, Kreisky ne put obtenir le soutien de son propre parti dans cette affaire.

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