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Un contrat social désuet
mercredi 14 avril 2004
Qu’elle prenne la forme d’un mythe ou d’une simple hypothèse de travail, la théorie du Contrat social a régulièrement servi pour justifier le respect des règles de droits. L’idée est simple : les institutions étatiques dans lesquelles nous évoluons sont légitimes car elles sont le fruit d’un commun accord. En signant le contrat social, nous nous sommes engagés auprès des autres à respecter un Etat rationnellement choisi.
Une telle théorie est criticable : en affirmant que l’individu choisit librement d’adhérer à la société, ses théoriciens jouent sur l’illusion de la primauté de l’individu sur la société. En effet l’ère moderne est caractérisée par une contradiction entre ce qui est prouvé scientifiquement (l’individu est second par rapport à la société dont il se détache en mûrissant) et ce qui est vécu individuellement (chacun se sent indépendant et antérieur à toute association). Il n’est donc pas étonnant que l’idée d’un contrat social soit développée par les philosophes (qui se basent sur leur expérience subjective) plutôt que par les scientifiques (qui ont le souci de confronter leur dires à la réalité avant d’en clamer l’objectivité). Tout au plus une telle théorie peut-elle servir à éclairer la formation d’un groupe social restreint (sur le modèle de l’association volontaire), en aucun cas elle ne peut être éclairante quant à la compréhension d’une société.
Mais là n’est pas le principal point faible de la théorie du Contrat social. Même si l’on rentre dans sa logique subjectiviste il est en effet un autre défaut qui la rend caduque. En posant que tous ont les mêmes raisons de signer le contrat, cette théorie fonde la société sur quelques avantages fondamentaux qu’elle procurerait à tous. Comment accepter une telle réduction ? Une infinité d’arguments peuvent pousser un individu à choisir d’entrer en société et chacun le fait pour des raisons qui lui sont propres (variables en fonction de ses fins individuelles). Il est donc vain de charcher des clauses au contrat social qui feraient l’unanimité : elles n’existent pas, chacun a ses raisons d’entrer en société.
Au-delà de ces clauses prétenduement universelles, la théorie du contrat tente aussi d’imposer une perception du fait social qui n’a pas lieu d’être. La société qu’elle nous présente est en effet celle correspondant au champ d’action étatique. Pourquoi accepter l’artificialité d’un tel découpage ? Le fait social peut être pensé à plusieurs niveaux : on peut décider d’adhérer à un groupe d’amis, à une corporation professionnelle ou encore à une société internationale. Chacun doit rester libre de définir lui-même la ou les sociétés auxquelles il adhère ; la perception du fait social est elle aussi personnelle.
Par-delà sa logique subjective, la théorie du contrat social est désuète car aucune clause commune n’emportera d’adhésion universelle et aucune "société" ne peut monopoliser le découpage du fait social. Cette théorie est la marque d’un temps où l’Etat s’auto-légitimait en imposant la définition de la société et les raisons d’y adhérer. Elle tombera avec lui.