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Déclin ou renouveau des religions ?

mercredi 1er avril 2009

Les formes du retour au religieux : les fondamentalismes, le n’importe quoi américain (spiritualisme anti-matérialiste acharné, perçu dans une vision occidentale comme une juste revanche des autres cultures).

C’est qu’il y a en Occident un redéploiement des formes de croyance : la déchristianisation est certaine, mais elle remonte en Occident au début du XVIIIe. Elle repose au demeurant sur une vision illusoire du Moyen Age chrétien (Delumeau) : selon J. Le Goff, Histoire des religions, la chrétienté vers 1500 c’est presque une terre de mission. En effet le paganisme est toujours resté dominant ; la chrétienté était une construction, un système d’encadrement des populations, pas une adhésion volontaire et consciente des masses. Le redéploiement s’est fait par une aspiration vers un christianisme à la fois minoritaire et populaire. Adaptation vers une croyance plus personnelle, importance du phénomène de Taizé, attirance des monastères et implication des laïcs au sein de l’Eglise sont les conséquences de ces évolutions. Il y a 220.000 aides pour le catéchisme en France. Apparition des ADAP : Assemblées dominicales en l’absence de prêtre.

Il y a par ailleurs un déplacement du centre de gravité du christianisme : c’est dans le Tiers monde qu’il s’épanouit pleinement aujourd’hui. Par exemple, grand essor des 80.000 communautés ecclésiales de base au Brésil qui groupent 1.5 million de personnes qui cherchent à vivre ensemble dans un attachement au christ. L’Eglise cherche à encourager ces initiatives (pour Jean Paul II, « ces communautés permettent une pénétration capillaire de l’Eglise dans la société »).

La post modernité vit quant à elle dans une indifférence sans rejet : 80 % des Français se disent catholiques. Mais il y avait 20 ordinations de prêtres pour 1000 habitants en 1954, pour 2 en 1982. C’est qu’il y aurait une présence du religieux en deçà de nous mêmes, une ignorance sans refus : une forme moderne de la mort de Dieu (pour Lacan, la véritable forme de l’athéisme n’est pas que Dieu est mort, mais qu’il est inconscient).

1. LE SACRE ET LE RELIGIEUX

1.1. Position et définition

Le sacré : selon Otto, le sentiment du mystérieux nous fait frissonner (mysterium tremendum) et provoque chez nous de l’adoration. Le sacré est donc supra rationnel. Lévinas montre dans Difficile liberté, en 1963, que, contre le concept de numineux, le judaïsme a désensorcelé le monde. Le monothéisme marque une rupture avec une certaine conception du sacré. Ceci comporte le risque de l’athéisme, mais il vaut la peine d’être couru. Ainsi l’homme s’élève au Transcendant.

Pas plus les Grecs que les Romains ou les Chinois confucéens sont religieux : ils sont sociaux, politiques. Ils n’ont aucun sens du Transcendant, du salut individuel. A l’inverse, la première génération de chrétiens est persuadée d’être la dernière génération d’êtres humains (Paul dans la Première épître aux Corinthiens : « Le langage de la voix est un scandale pour l’esprit »).

St Augustin : « je crois parce que c’est absurde » (credo cuja absurdum). Ce n’est qu’après avoir tenté tous les efforts de la rationalité qu’il faut se résoudre à croire. Ce n’est pas du superstitieux, c’est même son contraire. Selon Kant, la superstition est la confusion de la causalité physique et de la causalité par liberté.

Quant au discours religieux, il est né de la rencontre du judaïsme hellénisé et de la culture grecque. En effet la religion chez les Grecs se limite à des rituels qui consolident l’appartenance politique à la cité (sacré immanent). Mais à partir du IVe siècle avant JC apparaissent le pythagorisme et l’orphisme, religions à mystères qui font apparaître l’idée d’un salut individuel.

Il y a donc deux manières de considérer le sacré : la forme juive excluante, et la forme œcuménique chrétienne. Elle définit un Dieu transcendantal, créateur, dont on ne peut rien dire. Par conséquent, l’être humain, quand on le situe par rapport à quelqu’un qui le dépasse de beaucoup et qui exige beaucoup de lui, on l’élève, on l’éduque : c’est la naissance de la démocratie.

1.2. La religion contre la modernité ou à son origine ?

Vatican II ne remet pas en cause cette évolution : le changement de la langue de la messe, le changement de fonctionnement interne de l’Eglise (concentrique et collégiale) se font contre le sacré, contre les rites .

La sécularisation est le long mouvement séparant Eglise et société, d’où une perte d’influence de la religion. Il y a eu trois seuils :
* Le désir de parvenir à un climat de liberté religieuse plus complète, et le maintien d’une religiosité aconfessionnelle (Baubérot, Le Retour des Huguenots, 1985). Ce sont les premières lois sur la laïcité.
* La relégation de la religion dans la sphère privée et uniquement dans celle-ci. L’Etat devient incompétent et indifférent en matière religieuse. Ce sont les lois de séparation entre l’Eglise et l’Etat. Gauchet, à propos de la neutralité de la politique face à la religion parle de « subjectivité souveraine ».
* Certains théologiens comme Martelet dans Deux mille ans d’Eglise en question perçoivent un troisième seuil : l’abolition désirée de la foi. Pour Nietszche la religion étant une altération de la personnalité, la mort de Dieu serait une émancipation.

Pour Harvey Cox (La Cité séculière, 1985), cette sécularisation serait positive : c’est la preuve de la maturité de la religion.

Ainsi pour Weber, la morale protestante représente une conversion capitale des mentalités vers la modernité. Car la poursuite de la richesse n’est plus un avantage, c’est un devoir. C’est une morale de l’action, une religion du travail : la réussite sociale devient un signe d’élection divine. Mais il ne faut pas oublier que Weber est pessimiste : l’idéal qui a présidé aux origines du protestantisme s’est selon lui dévoyé en une orgie de matérialisme, par le processus de désenchantement du monde auquel le protestantisme a contribué.

Pour le christianisme, Gauchet dit qu’il s’agit du creuset de la modernité en général : c’est la religion possible d’une société d’après la religion. C’est une tradition religieuse qui aurait forgé d’elle même les conditions de son dépassement. Disons que le désenchantement du monde est la fin du recours à la magie comme technique de salut.

Mais la religion peut être contre la modernité : le Syllabus de 1864 (Quanta Cura), le Mirari Vos de 1832 où Grégoire XVI condamne la liberté de la presse et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’Humani generis de 1950 qui fustige le polygénisme, Humanae vitae de 1968 qui condamne la contraception.

Quid de l’Islam ? c’est la question de la relation entre le religieux et l’histoire. Or l’Islam est par définition anhistorique.

1.3. La religion dans les limites de la simple raison

Kant : idée de transcendance sans contenu de croyance : ce sont les Hommes et leur sens moral qui ont déterminé qui était Dieu. C’est un effort pour penser librement, pour se libérer de toute autorité.

Pour Robespierre, dans son Rapport des idées religieuses et morales avec les principes républicains et sur les fêtes nationales (7 mai 1794), la propagation de l’athéisme est une manœuvre anglaise.

Qu’est-ce qu’une religion civile ? La religion américaine par exemple agit au cœur du corps social. En sont constitutifs une revendication de tolérance, un souci de liberté.

Mais la passion entre par toutes les fêlures : Malraux, dans les Voies du silence, montre qu’une civilisation de l’homme ne dure pas très longtemps. Le rationalisme du XVIIIe a entraîné la rafale de passions que l’on sait. La culture de notre siècle ressuscite tout ce qui en nous provoque de l’irrationalisme. Car Malraux recherchait du sacré dans le monde réel, sous forme esthétique ou politique. Et selon Girard, le sacré repose sur un meurtre, une violence contrôlée. C’est une réponse de l’homme pour conjurer le chaos (sacrifice d’un bouc émissaire, responsable de tous les péchés du groupe).

2. COMMENT LE RELIGIEUX PEUT-IL STRUCTURER L’ORDRE DE LA CITE ?

2.1. Dans l’ordre de la cité

Le nazisme a été d’abord un paganisme. Il entend casser la tradition culturelle centrée sur les valeurs morales, le respect de la personne humaine et de sa dimension de l’universel. Tout est à remplacer par le nouveau mythe du surhomme. Or ce mythe, selon Georges Politzer (qui étudie le théoricien du nazisme Rosenberg) le nazisme est allé le chercher en deçà du christianisme, dans la barbarie. La théologie chrétienne ne convient pas à Hitler car le peuple de Dieu doit être une concrétion historique, pas une universalité. C’est une tentative, selon Dumont, dans une société individualiste, de subordonner l’individu à la société comme communauté : Hitler veut germaniser l’Eglise. C’est ce faisant qu’il croit rencontrer le précédent judaïque : la rivalité commence. Donc le nazisme n’est pas athée ; il n’est pas un simple retour au paganisme prémonothéiste.

La religion contre l’écrasement totalitaire : le spirituel contre le matérialisme. C’est le cas des régimes de l’Est, où le sentiment d’appartenance religieuse et nationale, tous deux réprimés, pouvaient permettre à beaucoup de garder leur identité. Ces régimes avaient quelque chose d’ubuesque (Zinoviev).

Le fondamentalisme de retour : ce désir de retour aux sources ou de pureté originelle appartient bien plus à une religiosité centrée sur le sacré (souillure) qu’à la religion (l’esprit).

2.2. Le retour des irrationalismes : le n’importe quoi

Le fond du religieux : faire accepter la mort. Alors que les systèmes de croyance contemporains affirment que l’on ne va ni vieillir, ni mourir. (R. Hubbart, Eglise de scientologie, New Age, Ere du Verseau, Sophrologie, numérologie).

Il y a comme grande tendance contemporaine une volonté de retour à l’authenticité. Selon B. Oudin, la Foi qui tue, on n’a jamais autant encensé la religion que depuis qu’on la pratique si peu. Le scientisme perd du terrain depuis que la science ne cesse d’en gagner.

Freud, dans l’Avenir d’une illusion, affirme que dès que les Hommes parlent de religion, ils se rendent coupables d’insincérité. Les critiques persistent à appeler profondément religieux celui qui avoue une inespérance dans l’homme.

En conclusion, le religieux reste le fondement du politique. Selon Carl Schmidt, tous les éléments politiques ont des fondements religieux. Il faut faire un nouvel effort pour fonder en opinion le politique, c’est-à-dire réfléchir sur d’autres fondements.


- Illustration sous licence Creative Commons : URBAN RELIGIOUS GORE

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