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L’Europe, drôle d’Eire
dimanche 14 avril 2002
L’Europe a décidément un problème avec ses peuples. A chaque fois qu’elle a voulu soumettre au vote populaire de nouvelles avancées sur le chemin de son intégration, elle a rencontré de grandes difficultés. Le « oui » massif des Irlandais, hier, au référendum sur le traité de Nice ne doit pas faire illusion. Il n’est qu’un triste succès. Dans le pays traditionnellement le plus europhile d’Europe et, surtout, dans le pays qui a le plus bénéficié sur le plan économique de son adhésion au club, Dublin a dû s’y prendre à deux fois pour obtenir le soutien de ses électeurs - et dégager ainsi la voie, toujours encombrée, de l’élargissement de l’Union.
Ce n’est pas la première fois que l’Europe trébuche sur un référendum. Cela en devient même presque une habitude. En avril 1972, Georges Pompidou avait appelé les Français à approuver l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne. Le « oui » devait l’emporter, c’est vrai, mais avec un taux d’abstention exceptionnellement élevé pour l’époque (40 %), signe déjà du peu d’enthousiasme des Français pour la construction européenne.
Depuis, dès qu’ils sont directement consultés sur l’Europe - et même s’ils le sont rarement -, les Européens se rebiffent. Les Autrichiens, les Finlandais et les Suédois ont certes approuvé, en leur temps, l’adhésion de leur pays à l’Union. La plupart des autres référendums ont été un supplice pour Bruxelles. Plusieurs peuples ont profité de cette procédure, la plus démocratique qui soit, pour rejeter leur entrée dans ce club - les Norvégiens et les Suisses notamment. D’autres se sont mis à l’écart de certaines de ses activités - les Danois, par exemple, en refusant l’euro. Certains enfin, comme les Français consultés sur Maastricht en 1993, n’ont approuvé que du bout des lèvres. On comprend, dans ces conditions, les hésitations des Premiers ministres britannique ou suédois à soumettre à leur peuple l’abandon de leur monnaie nationale pour l’euro.
Mais plutôt que le signe d’un rejet de l’Europe par ses peuples, ces référendums difficiles sont celui d’une autre réalité : ce sont les dirigeants des pays européens qui ont un problème avec l’Europe - et incidemment avec leurs opinions publiques. Tous les responsables des pays de l’Union, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, sont, peu ou prou, convaincus de la nécessité de l’Europe - de son intégration économique notamment. Mais ils sont incapables de faire partager cette conviction à leurs électeurs.
Pis, ils utilisent bien souvent l’Europe comme un commode bouc émissaire à toutes leurs difficultés - sans jamais montrer à leurs concitoyens ce que l’Europe leur a apporté. L’euro en est l’exemple le plus récent : la monnaie unique n’est évoquée ces derniers temps que comme une contrainte - ce dont témoignent les débats autour du Pacte de stabilité - mais jamais comme une source de stabilité, et donc de croissance. Que serait pourtant aujourd’hui notre continent s’il avait continué à être ballotté par des dévaluations à répétition, comme autrefois ! Le miracle, c’est finalement que l’Europe avance - même à petits pas, même en trébuchant.