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Après les défilés du 1er mai 2002
2e tour des présidentielles : On récolte toujours ce qu’on a semé
Second tour Le Pen - Chirac
jeudi 2 mai 2002
On peut donc chausser des verres non déformants, ni grossissants ni réducteurs, et tabler sur un chiffre probable de manifestants de 7 à 800 000.
C’est colossal, c’est une onde, un tumulte, que dis-je un tumulte, une déferlante ! Ceci nous montre que l’ambiance merguez-frites-blagues-à-la-con-douche-pisseuse-crève-du-lendemain nourrit encore une foule d’adeptes, prompts à aller à la manif comme d’autres vont au stade le samedi soir, pour s’enfiler des bibines, casser quelques sièges et hurler avant, pendant et après le match « à mort l’arbitre ».
Il y avait de tout à cette manif (enfin, il me semble, car, pour ma part, lorsque j’ai eu le courage de mettre le nez dehors – et le reste par voie de conséquence – il n’y avait rien ni personne, sinon quelques banderoles lessivées et détrempées, aux inscriptions devenues illisibles et s’étalant en divers dégradés de rouge, de rose, de bleu, de jaune fluo et de vert caca d’oie, et aussi quelques tags du genre : « abstention piège à cons »), des blancs ; des blacks, des beurs, des jeunes (beaucoup), des vieux (beaucoup moins), des anar, des gauchos, des socialos, des syndicaux, divers pékins, des enfants de trois ans et des touristes de passage. Des femmes enceintes et des ados déguisés en mouche (oui oui, en mouche, ne me demandez pas pourquoi – en cachalot encore, j’aurais compris, mais en mouche, là, …), des yuppies en costard-cravate et des étudiants attardés en jeans trou(v)és. Des citoyens peu enclins, en temps ordinaires, à se préoccuper de politique, aussi bien de droite (enfin, j’image et j’extrapole) que de gauche (là, je suis plus sûr de moi).
Tous manifestaient contre l’extrême-droite, contre l’intolérance, contre le fascisme aussi. Il y avait des drapeaux algériens, et des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Le Pen charogne », « Le Pen dehors » ou encore « crève ordure ». Tous ces gens pourtant de bonne foi ne se rendaient absolument pas compte de leur propre paradoxe, de nature presque ontologique, où au final il ne risque de ressortir qu’un vague sentiment d’intolérance réciproque et la mémoire de propos situés à la frontière de l’appel au meurtre.
Mon état de déréliction aiguë s’accroît encore lorsque je réalise que personne ou presque (j’aime dire ce genre de choses qui satisfont autant mon ego) ne comprend où le véritable problème se situe : non pas du côté de l’extrême-droite en tant que telle, mais du côté des extrêmes, de tous les extrêmes. Qui ne voit que le vrai problème est, dans le langage aronien, la montée aux extrêmes et les risques que cela comporte ?
On nous dit : il n’y a pas lieu de discourir sur les idées du FN ; il faut les rejeter en bloc. C’est la moindre des choses, en effet. Mais s’imaginer un seul instant qu’il y aurait en France 20% de racistes assoiffés de sang, prompts à enfiler leur masque pointu et leur chemise sombre pour le prochain défilé, et ayant pour unique hobby la ratonnade du dimanche après-midi est stupide et insultant. On n’est peu enclin à changer d’opinion lorsqu’on se sent insulté par des gens stupides et qui pratiquent l’amalgame. Ce serait même plutôt de nature à renforcer ses propres convictions.
Mais il y a plus grave : offrir aux Pol Pot en jupons ou à la barbe hirsute, c’est selon, le rang de Parangon de la lutte contre-lepéniste (comme on parle de contre-révolution), c’est aussi sécurisant que de lancer le feu d’artifice du 14 juillet dans la cour de l’usine AZF.
Si l’Hydre de Lerne lepénisto-populiste, le vieux Godzilla sexiste et autoritaire est terrassé demain, aura-t-on réglé le problème ? Rien n’est moins sûr. Un autre extrémiste se saisira du bâton de maréchal à son tour, usera d’autant de démagogie, de gouaille aussi, et fera un score aussi conséquent sinon plus encore. Il dira que la droite et la gauche c’est la même chose, que la gauche fait une politique molle et de droite, que la droite fait une politique de gauche, n’accordant aucune importance aux contradictions de son propos, et que donc le besoin se fait sentir d’un renouveau ou d’un grand soir, qu’il faut un sauveur et que bien sûr il ne peut être que celui-là. On a les messies qu’on mérite et n’est pas Job qui veut.
Il y a en France un faible nombre d’extrémistes convaincus, prompts à renverser la République et en état d’alerte constant pour parvenir à cette fin. Mais parmi ceux-ci, tous ou presque ont du sang sur les mains. Il me semble donc que, la concrétisation du danger aidant, nous vivons actuellement l’occasion rêvée, peut-être unique, d’être en conformité avec la logique démocratique. Disons-le haut et fort (la tête haute et les mains propres aussi, comme diraient certains) : pas de démocratie pour les ennemis de la démocratie. Interdisons tant le FN, le MNR que la LCR, LO et le PT. C’est radical bien sûr, mais à situation radicale, à comportement radical, il faut agir de manière adéquate.
Une autre chose me chiffonne, ou plutôt me « froisse » : c’est le comportement schizophrène d’une bonne partie de la gauche. En effet, celle-ci soutient aujourd’hui Chirac, et, à 20h 01 minute dimanche prochain, elle dira que c’est un menteur, un voleur, un ripou, qui a une place réservée non pas en gériatrie mais à la Santé. Dans l’absolu, je partage assez ce point de vue au demeurant, mais il me semble que la gauche est, par la force des choses et des urnes aussi, la plus mal placée pour donner en ce moment ce genre de leçons.
D’aucuns proposent même de voter dimanche une pince à linge sur le nez (ce qui est très douloureux quand même), avec des gants (cloutes ?) ou par le truchement d’un bulletin chiffonné. Outre que se comporter ainsi c’est offrir un pont d’or massif aux délégués lepénistes, qui pourront faire annuler ces votes, c’est profondément insultant et même pas drôle. C’est insultant non seulement pour Chirac, ce qui serait à la rigueur acceptable, mais aussi et surtout pour la démocratie. C’est presque un déni du fait démocratique, ce qui prouve, si besoin était, que la gauche (comme la droite sans doute) n’aime vraiment la démocratie que lorsqu’elle lui est bénéfique et sert ses intérêts.
Elle n’a jamais vu le moindre mal à offrir ses signatures à un « Le Pen en peine », et Jospin disait alors qu’il est normal que le courant représenté par Le Pen puisse avoir un candidat.
Elle ne verra pas non plus le moindre mal, dans un mois, à ce que les triangulaires qui auront probablement lieu lui profitent et lui permettent de conserver une majorité à l’Assemblée.
Et on sera repartis pour une nouvelle cohabitation de cinq ans, et, effectivement, la droite et la gauche ce sera encore la même chose pendant cinq ans, et, la prochaine fois, les trotskystes feront 15% et les fachos 25.