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Le Bocal des agités
samedi 14 décembre 2002
Si un jour, le malheur veut qu’un historien du futur doive se pencher sur l’époque que vit présentement la France, il devra d’abord revêtir un costume antiseptique, et posséder de réels dons d’anatomiste, pour ne pas dire de médecin légiste.
Il devra s’agir d’un analyste scrupuleux, il aura à recenser et classer ce qui fut, dans l’Histoire des idées, et de cette nation, ce qui revient pratiquement au même, la pire dégringolade intellectuelle qu’un peuple ait connue depuis des époques quasiment immémoriales ; il devra s’approcher encore, muni de sa loupe, de ses gants et de son masque de protection, et investir le grouillement des métastases purulentes que de petits "pamphlétaires", ou "anti-pamphlétaires", ne cessent de développer dans le cancer généralisé au stade terminal que connaissent les idéologies modernes, dont la France fut à la fois l’utérus, et le sépulcre.
D’abord, émettons ce triste constat : dans un pays sans plus la moindre vision politique, ni le plus petit espoir d’en recouvrer une un jour prochain (ni même lointain), toute critique du pouvoir post-soixantuitard est subtilement décrite comme un " Rappel à l’ordre " autoritaire et foncièrement anti-libéral, et aux réminiscences plus que troubles, par ceux qui, en vaillants clercs de notaire de la République, veillent sur la bonne marche des choses, et des esprits, en régime démocratique. Depuis que l’ordre établi est justement devenu celui de la contestation institutionnelle, vous ne pouvez plus qu’ânonner les clichés dûment autorisés au sujet de l’invariable "société du spectacle", que tous abhorrent, et à laquelle chacun, de son plein gré, collabore.
Ainsi, depuis quelque temps, des opuscules divers nous enjoignent de ne plus faire entendre notre voix disgracieuse dans l’harmonie universelle démocratique et, au cas où, préparent dans les têtes une nouvelle offensive des pouvoirs en place contre la littérature qui refuserait de se mettre au pas.
Cette offensive a ses avant-gardes : des livres de commande rédigés à la va-vite par des " historiens des idées ", pour les armées de journalistes incultes qui officient dans la presse nationale-contemporaine. Elle a ses troupes à pied : quelques pigistes nécessiteux qui écrabouillent de leurs talons bottés toute bouche qui voudrait s’ouvrir à contre courant de la merdique tendance actuelle.
Elle a aussi ses brigades blindées : l’ensemble des dispositifs et procédures judiciaires permettant à tout un chacun d’intenter un référé contre un livre ou un auteur qui n’aura pas l’heur de lui plaire, ainsi Renaud Camus, attaqué par Catherine Tasca et Laure Adler, ainsi Pierre Jourde, à qui l’on veut chèrement faire payer sa liberté de ton, ainsi Michel Houellebecq qui faillit, il y a peu, écoper d’une fatwa républicaine, au nom des droits de l’Homme. Who’s next on the black list ?
Pour cette nouvelle offensive en règle, il fallait un " livre de combat ". Un professeur de Paris-VIII s’est chargé de produire ce " pamphlet ", encore plus mal torché que prévisible, mais qui permettra aux analphabètes lettrés du journalisme français d’y puiser quelques phrases extirpées de leurs pages (cela leur évitera de les lire), pour maintenir l’acte d’accusation contre leurs cibles favorites, écrivains comme il se doit.
Ce "petit livre orange" qui vient de paraître, sous le titre délicieusement Orwellien de : "Rappel à l’ordre : Enquête sur les nouveaux réactionnaires", on me dit qu’il s’en prend à moi, parmi bien d’autres, alors je l’ausculte : j’y constate d’abord l’amalgame consacré tant de fois selon l’habituelle méthode des professeurs de l’université post-moderne : aphorismes isolés de tout contexte explicatif, glissements de sens sémantiques à profusion, ton indexatoire et récriminant, anathèmes diffamatoires qui, si j’étais de son camp, me ferait le traîner lui et son éditeur en justice, j’y reviendrai, bref, rien de plus, rien de moins que ce que d’autres, oh, bien d’autres, ont connu avant moi.
Il est clair que cet historien du futur, cet anthropologue de la disparition intellectuelle d’une nation tout entière, on se doit de lui souhaiter bien du courage, tout autant qu’un authentique dédain pour la dégoûtation.
Je vais essayer de lui faciliter la tâche. Sans tout ramener aux charges (anti)personnelles dont m’affuble le souriant binoclard à moustaches socialo-chiracquien, je me dois quand même de ventiler quelque peu les épaisses divagations mysticologiques que monsieur Lindenberg agite tout autour de moi, en se servant de mes textes, coupés, triturés, hachés menus et mis à bouillir, selon la bonne vieille cuisine de rebouteux stalinienne qui aura tant fait ses preuves, en matière d’expédients, comme de méthodes expéditives. Cher historien malheureux du futur, ne m’en veux pas si je démantèle une à une les fumeuses exégèses que ce monsieur m’a consacrées, c’est que, tu le verras, l’adage "plus le mensonge est gros, plus il a de chances de passer", de sinistre mémoire, est désormais la mesure moyenne de tout ce qui, peu ou prou, se publie comme "essais critiques" dans la République des Zarzélettres, que le monde entier nous envie. Dès le commencement de ta lecture, tu noteras d’abord que "nous" faisons tous partie d’une sorte de "nébuleuse" vaguement coalisée, aux origines diverses, et variées (nous y reviendrons), et aux "contours mal définis". Mais il ne fait aucun doute que cette extragalactique et surprenante invasion de la Planète France par ces aliens "nouveaux réactionnaires" semble le fruit d’une volonté de " retour à l’ordre établi ", à des " valeurs d’autorité hiérarchique " que la "République" et la "Nation", voire les idéologies en perdition du XXe siècle (communisme en tête) auraient représenté, depuis des éons, pour "les masses populaires", totalement "désorientées", tu le sais, par la fermeture des usines Moulinex, le réchauffement global de la planète, et le problème des retraites de la Sécurité Sociale.
Il est tout à fait exact, tu le remarqueras, mon humble témoin du futur, que la plupart des critiques de la " mondialisation " économique en cours se sont en effet cristallisées sur ses mots fleurant bon la IIIe République de nos ancêtres et les encriers-à-dictée-extraite-de Jean-Paul Sartre ou de Jean Dutourd : Jules Ferry, les Hussards Noirs, la Commune, la Paix-dans-le-monde, les saines Valeurs Républicaines de Déroulède-et-Clémenceau, l’Union Sacrée en somme, de la défense du "service public" à celle de l’exception nationale-culturelle. Pour Lindenberg, et quelques autres de sa caste, toutes les critiques formulées envers le "monde" d’aujourd’hui sont donc unanimement "nationalistes-républicaines", représentées politiquement en gros par une autre "nébuleuse", qui irait de feu le Pôle Républicain de Chevènement au MNR de Bruno Mégret. Tu saisis je pense la manœuvre, elle est en effet usée.
En tout cas, en ce qui me concerne, on peut dire que monsieur Lindenberg commence par se tirer une balle de gros calibre dans le pied gauche, ce qui risque de lui causer pour quelques temps des matins douloureux. C’est que voilà, cher interlocuteur d’une bibliothèque sans doute en proie à un bombardement ou à un autre, en aucun endroit dans mes écrits, et en particulier les deux tomes du Théâtre des Opérations incriminés, tu ne trouveras semblables interpellations à l’ "extension du domaine de la lutte" contre la " société marchande ", ou en tout cas, et nous verrons pourquoi : JAMAIS sous cette forme. Au contraire. Et mieux encore : au contraire du contraire.
Car tu pourras de tes yeux constater comment je m’en prends à chaque page ou presque de mon "Journal Métaphysique" au dualisme mortifère dont cette nation s’est faite le héraut, en parfaite " Marianne " à la tête coupée, et donc au corps à jamais divisé en deux, comme le savait en effet ce vieux salopard réactionnaire de Maurras : D’un côté, les néo-actionnaires, pour reprendre Philippe Muray, du "situationnisme institutionnel", représentant la "gauche moderne", ouverte (de tous ses orifices), tolérante (surtout envers l’intolérable), multiculturelle (c’est à dire incapable de concevoir un DESTIN MANIFESTE pour 400 millions d’Européens et les flux migratoires qui s’en viennent), ludique et festive, donc commémorative et culpabilisatrice, bref la bourgeoisie post-socialiste néolibérale modèle Woodstock-Benetton International qui voudrait bien perpétuer Mai-68 (la version gauchiste pépère post-situ-hypercool-tu voâs) dans les Ministères, les offices de tourisme, les agences de publicité, la télévision, et je ne parle pas de l’Université. De l’autre côté : la cohorte des petits pamphlétaires médiamondains et hargneux comme des teckels, souvent en cure aux Îles Égée ou à Venise entre deux " brunches" au Fouquet’s, ou à la "Closerie", et qui pérorent à n’en plus finir sur la "société du spectacle", la " domination de la marchandise ", le "capitalisme-roi", la "banque juive", l’ "oppression israélienne", et l’ "impérialisme américain", désormais représenté par les restaurants Mac-Donald’s que de vaillants agro-terroristes de province, aux généreuses bacchantes de "gaulois" illustratives de notre bande-dessinée favorite, "démontent" à coups de pioches, quand il ne les font pas tout bonnement sauter au plastic bretonnant. La France progresse, tu le constates. Alors cherche, fouille dans les quelques exemplaires de mes ouvrages qui, peut-être, auront réchappé à l’apocalypse, et tâche de trouver, où que ce soit, une seule assertion qui me rangerait dans l’un ou l’autre de ces CAMPS. Je t’épargne la besogne, mon vieil ami, tu ne la trouveras pas, pour la bonne raison que non seulement elle n’existe pas dans mes livres, mais qu’en plus je les place tous deux, ces "camps" aux lignes de démarcation à aüsweiss idéologique, bien en évidence, nommément, à poil et face à face, ou dans une position pire encore si tu préfères, comme les deux constituants duals du nihilisme planétaire.
Et voici donc notre professeur socialiste bien embarrassé avec votre humble serviteur. Comment lui faire rendre gorge ? Car il s’agit de cela, tu l’auras compris, image à peine possible de moi-même à peut-être trente ou quarante années de distance : Je n’appartiens strictement à AUCUNE coterie. Je ne dois donc strictement RIEN à PERSONNE : Ni à Sollers, ni à Debray. Ni à BHL, ni à Alain de Benoist. Ni à J.F. Kahn, ni à Benamou. Ni à Badiou, ou Bounan, et ni à Alain Minc, ou Poivre d’Arvor. Ni à Catherine Millet, et ni à Régine Déforges. Ni à Bernard Pivot, ni à Jean-Marie Messier. Ni à Alexandre Jardin, ni à Guillaume Dustan, ni au Prix " pouêt-pouêt ", ni à mes fréquentations au Queen’s, ni à madame Dugland ni à monsieur Dugenoux, bref, comme je l’ai dit je ne dois rien à personne, sauf à H.P. Lovecraft, et à Philip K. Dick, qui tous deux, pas de veine, sont morts et enterrés depuis un bail et n’ont jamais été considérés comme des écrivains sérieux par les branleurs qui passent leur temps à user les banquettes fameuses que les culs d’Hemingway ou d’Aragon usèrent avant eux, pour épater la Galerie de Montparnasse.
Je n’ai aucun ami bien placé dans la presse post-branchouille ou son adversaire néo-jacobine. À l’exception de la NRF, quelques revues au tirage fort modeste, dont Cancer ! - vilipendée comme il se doit par notre prévôt de la sociale-démocratie - et un ou deux "websites" à peine moins que confidentiels acceptent parfois de publier ma prose. Il faut donc me faire payer cet état civil qui les emmerde tant : pas d’études universitaires et pourtant je plaque un petit rigolo post-moderne sur à peu près le terrain qu’il veut. Pas né, comme disait Céline, à "Tarnopol-sur-le-Don, mais à Courbevoie, Seine", et dans mon cas Grenoble, pouah-la-province ! et le Dauphiné des révoltes en plus, et pire encore, petite enfance et adolescence à Ivry-sur-Seine ! et avec des parents intellectuels communistes, depuis la Résistance, qui eurent le toupet de ne pas accepter la dictature de Thorez, Marchais et leurs sinistres apparatchiks de choc, et se firent virer comme des malpropres pour cela. Et pour finir le zigoto part s’exiler en Amérique du Nord, pratiquement comme s’il y demandait son asile politique ! Quel cursus ! Avec Yvan Le Bolloch, Charles Pépin, Dieudonné ou Amélie Nothomb, on se sent au moins QUELQUE PART.
Si l’on a accepté, il y a près de dix ans, et du bout des lèvres, de parler de mon roman "obèse et hors normes" dans les Inrocks, Technikart, Nova Mag, Télérama, ou Le Nouvel Obs’, tu verras que depuis, les qualificatifs "nouveau réactionnaire", voire "white trash de la littérature" sont des sobriquets dont ces placards à balais du journalisme m’ont déjà affublés à de multiples reprises, rien de nouveau donc sous le soleil radieux du socialisme.
Lindenberg, tête de pont de l’offensive "anti-réactionnaire" devait faire mieux. Imiter la Miss-Bouquins du Nouvel Observateur, en me traitant "d’Eminem de la littérature" sur 95 pages, ca risquait de ne pas s’avérer suffisant, même si au demeurant on a vu pire, ces derniers temps. Il a donc essayé, par tous les moyens possibles dont un "historien des idées" de Paris-VIII est pourvu, et ils sont légions, de me faire entrer de force dans les cases de sa petite rhétorique au prix, on va le voir tout de suite, du mépris des faits, et pire encore, des ÉCRITS.
L’ensemble du livre est rempli d’approximations grossières à mon sujet (voir par exemple page 57, où l’on apprend que je serais "fasciné" - comme d’autres coupables "venus de la gauche athée" - par Pie IX et son syllabus anti-moderniste : non m’sieur le professeur de Paris-VIII, je suis juste un chrétien hétérodoxe), et je n’aurais certes pas la place de faire ici une revue de détail, je vais donc, si tu le permets, mon cher archéologue de la civilisation française depuis longtemps disparue, me pencher un peu plus profondément sur l’espèce de biographie, tout-à-fait impayable, dont l’auteur m’affuble à partir de la page 89, et qui synthétise peu ou prou ce qu’il a parsemé sur les 88 pages précédentes (à l’exception de celles consacrées à Houellebecq qui comme moi, tiens ? en prend lui aussi pour son grade nommément : fiche de police culturelle visiblement bien à jour). Après une petite mise en train sans trop l’air d’y toucher - il y aura plus dérangeant par la suite - nous prévient d’emblée l’auteur, on attaque direct, sur le mode : moi-je-suis-prof-moi-je-m’y connais-pensez-donc : " Dantec pastiche les "grands théoriciens" des sciences sociales, ne reculant pas plus qu’un Taguieff devant le jargon philosophique le plus abscons" - c’est moi qui souligne. En deux ou trois locutions principales, tout est dit : l’auteur de polar cyberpounke est renvoyé à sa banlieue de white-trash post-coco dont il n’aurait jamais dû - surtout - SORTIR. Je ne peux comprendre (je n’ai pas le brillant cursus du professeur Lindenberg) les grands philosophes aux langages parfois abscons (Bergson, Whitehead, Deleuze, Abellio, on le leur a souvent reproché), donc : je les PASTICHE, bien sûr.
Bon, ensuite, plus banal, ce Pinkerton de la littérature m’accuse de "répugnance" envers les "utopies socialisantes". Je le reconnais, monsieur Lindenberg, et c’est ma très grande faute : mes narines délicates, sans doutes trop "aristocratiques" à votre goût, ont du mal à supporter l’odeur des vastes charniers communautaires dont les deux SOCIALISMES concurrents ont agrémenté l’atmosphère du siècle qui est parti à la ferraille, il y a un an et quelques poussières. Comme je l’ai déjà demandé : avez-vous un camp, ou un programme de rééducation à me proposer ?
Maintenant bien lancé, Lindenberg peut se permettre de franchir un degré décisif dans la grossièreté mensongère : désormais les mots injurieux, de ceux qui peuvent valoir " normalement " un procès en justice, comme on le fait de nouveau à M. Renaud Camus, pour un motif bien plus anodin, sont lancés, ou plutôt - on n’est pas " professeur des idées " pour rien - glissés au milieu d’une phrase à peine plus épicée que les autres : "On sent également un certain racialisme chez lui et une conscience très aiguë des conflits de civilisation." Oh, comme l’amalgame est joliment esquissé : si vous êtes conscient que les civilisations forment des diagrammes en lutte évolutionniste - selon des lignes de coupe paradoxales qui se surajoutent - alors, bien sûr, vous ne pouvez "sentir" que le racialiste, autant dire dégager l’odeur d’un dogue allemand. Déjà " conflit de civilisations ", dans un monde de rave parties, de flûtes à bec et de colliers à fleurs, ce monde de lait et de miel que la démocratie des droits de l’homme a apporté avec elle durant le temps de son existence (enfin terminée !), oui déjà ces mots sont suspects, comprenez le bien, mon cher historien du futur, dans peu de temps ils me conduiront en cour, voire en prison, et qui sait ? si je me lâchais vraiment, quel " article de loi antidiscriminatoire " on ne me foutrait pas au train.
Mais il y a mieux, tout est possible à l’espace de la rébellion festive par tous et pour tous : "En effet ce sont là impressions de surface, qui ne vont pas au cœur de sa pensée. En réalité Dantec possède un système bien au point. " Je tenterais de te résumer plus tard ce qu’est ce fameux "système" que j’ai "mis au point" , mais remarques-tu, mon lecteur du futur d’après l’effondrement terminal, oui, remarques-tu qu’au préalable, ce professeur multidiplômé ne s’est pas rendu compte qu’à de nombreuses reprises, non seulement j’affirme ma suspicion envers TOUS les "systèmes" de pensée, mais plus encore je décris le mien comme un processus critique constamment rouvert, depuis ses fermetures, par lequel j’aborde, et je dissous, pour les ressouder, autant que faire se peut, les grandes machines théologiques ou politiques qui forment l’horizon de nos connaissances actuelles.
Non, mais tu te crois où, vulgaire auteur de série noire et de SF-pour-les-masses-abruties ? Tu ne sais donc pas que nous avons fait des années d’études pour ne rien savoir, et surtout ne rien comprendre ? Retourne dans ton " neuf-quatre ", hé, tête d’œuf d’autodidacte, je t’en foutrais moi…
Lindenberg n’est alors plus à une corniflerie près, il peut en rajouter, on connaît la musique, justement, et " depuis les années 30 ", justement. On apprend ainsi un peu plus loin que " Popper tient chez Dantec la place qu’occupe Comte chez Houellebecq " et que je nourrirais " la même aspiration que lui à un gouvernement des savants ". Là, mon lecteur du futur, marque une pause pour étouffer ton rire. Tu vas en avoir besoin, et ce n’est rien en comparaison du " final ". Si quelqu’un trouve quelque part dans un quelconque de mes écrits une telle " aspiration " désuète, et bien digne de ce positiviste de Comte, je voudrais qu’il me la fît parvenir, en toutes lettres. Car si jamais quelque chose pouvait encore me faire vraiment m’esclaffer, ce serait ce genre de propositions de simplet. Les savants FONT partie du complexe militaro-industriel depuis au moins 1940, et je préfère ne pas remonter à l’Âge du Fer, on pourrait encore se moquer. Vouloir leur participation aux affaires du monde, depuis monsieur Nobel, c’est franchement se foutre de la gueule dudit monde, ce que fait monsieur Lindenberg, au demeurant. Car il n’en a pas fini avec moi, ââh que non. C’est que j’ai - vois-tu - commis l’Irréparable, le crime des crimes, l’insulte suprême aux droits de l’homme et de la république en danger. D’abord, je me suis permis de citer un aphorisme - excellent - de Jean Madiran, tiré d’un livre (paru en 1960 !) et suivi d’une tentative d’explication de la trajectoire de ce catholique de combat qui achève son parcours dans les rangs des néo-païens à la Le Pen. Un astérisque bien salé permet à tout lecteur consciencieux de savoir ce que je pense de cet itinéraire et de cette présente "cohabitation". Mais monsieur Lindenberg n’en a que faire, ce n’est pas pour cela qu’il a été mandaté, et payé (bien, je l’espère) : il décrète in petto que je pratique l’APOLOGIE de cet auteur, ce qui, bien entendu, ne peut mériter que l’opprobre public, à défaut d’un peloton d’exécution.
Vient alors, vois comme la liaison est subtile, l’apothéose des damnations : j’ai osé consacrer 18 pages "serrées" à ce salopard d’écrivain collabo de Drieu la Rochelle. Mais où est le pilori ? nom d’un Être Suprême…la guillotine, oui ! et tout de suite ! Comme l’agité du bocal en son temps, il n’y a donc personne pour me foutre une fatwa démocratique au cul ? L’Époque s’est affaiblie… les islamistes peut-être, un jour, entre deux concours de Miss Monde ? C’est qu’il faut que t’explique maintenant, avant d’en finir, quel est le fameux "système" que j’aurais mis au point, dans mon garage secret, pour " réhabiliter " Drieu. Et attention, hein, c’est " avec une adhésion telle qu’ aucun auteur qui ne soit venu du giron maurrassien-hussard ou néodroitier à la Alain de Benoist, venu lui aussi de la droite extrême, n’en avait apportée depuis des lustres". C’est moi qui souligne, là encore.
Je me demande à qui ce lui aussi s’adresse, de la part de ce monsieur Lindenberg, et s’il s’agit de moi, c’est alors qu’il est, lui, un de ces analphabètes lettrés comme il en pullule tant de par le monde, car s’il m’avait vraiment lu, il aurait tout de suite compris que mon passage éclair dans les "rangs" de la droite extrême - vers l’âge de 23-24 ans - fut aussi bref et amer que celui que j’avais suivi avec les trotskistes et les "autonomes" une demi-douzaine d’années auparavant. Et que je pus, en revanche, en tirer les enseignements que mes Journaux eurent, plus tard, pour vocation d’essayer de partager avec quelques lecteurs.
Monsieur le procureur de la république, je tiens à attirer votre attention sur le fait qu’un odieux énergumène se faisant passer pour un écrivain de science-fiction a conçu le complot anti-démocratique visant à ce que l’auteur collaborationniste Drieu La Rochelle soit enseigné dans nos écoles, "sous entendu : comme ses amis Aragon et Malraux", ce qui est un scandale absolument intolérable, qu’il faut lui faire payer à tout prix.
Car il faut bien considérer ceci, ombre improbable qui me lit dans je ne sais quelles conditions de désastre absolu, je n’ai eu envers Drieu aucune compassion particulière pour son cheminement politique, dont j’ai simplement essayé d’entrevoir la tragique et fatale complexité. Je me suis contenté d’extraire de son œuvre NON-LUE, des textes qui me semblaient pertinents en ce début-fin de siècle, sur le plan de la théorie de la littérature. Ce qui fait de moi, comprends-tu, un néo-droitier de la pire espèce, façon Alain de Benoist, voire Martin Bormann.
Pire encore, ceci apporte la preuve indubitable que "sans inquisition, ni vigilance maniaque" - n’est-ce pas ? - "on peut considérer que Dantec restaure une bibliothèque politique qu’il est très difficile de distinguer dans une librairie d’extrême-droite ou dans les stands d’une fête bleu-blanc-rouge". Ah, mon vieil ami, d’ici à ce que tu lises ces lignes mon corps et peut être ma bibliothèque tout entière auront disparu. Comment faire pour inviter ce pamphlétaire de bulletin paroissial à venir prendre connaissance des volumes qui constituent cette bibliothèque, sans commettre une terrible faute de goût pour mon entourage, comme pour ces nombreux et nobles ouvrages ? Comment faire, dis le moi si tu peux un jour, pour que ce pauvre lunetier d’amphithéâtre comprenne que j’ai bien " d’autres références et d’autres bibliothèques ", comme il ose feindre de s’en questionner lui-même (tout en les citant, très partiellement, pour se dédouaner).
Alors puisqu’il faut en finir, finissons en UNE BONNE FOIS POUR TOUTES. Baroud d’honneur, messieurs, vous allez être servis. Je n’ai, monsieur le professeur Lindenberg, plus rien à voir avec la France depuis des années déjà, et encore moins avec Paris, ce bocal des agités, condensé de jus de tuyau d’évier où toutes les formes d’idées pouvant évoluer dans les égouts de la zérocratie se reproduisent en colonies violemment neuroparasitaires, et je m’en suis exilé pour des raisons complexes qu’en fait votre livre me permet de tirer au clair en toute simplicité : je ne suis pas du côté du " libéralisme " européen qui aura exporté ses " lumières " un peu partout dans le monde, et jusqu’ici en Amérique. Je ne suis pas non plus du côté de ceux qui voudraient prendre sa place, en le modernisant sauce ATTAC, ou Coalitions Zécolo-Zanarchistes de toutes obédiences. Et encore moins de ceux qui prétendent le vaincre en poursuivant son œuvre destructrice, désormais retournée contre lui, c’est-à-dire contre nous tous. Je n’ai rien à voir non plus avec les prétendus critiques " post-situationnistes " du capital marchand, puisqu’ils ne font désormais qu’alimenter le discours préformaté des intellectuels bourdivins et autres " contestataires institutionnels " qui rendent désormais toute véritable critique-scientifique IMPOSSIBLE. Et encore moins avec les petits pit-bulls du nationalisme républicain, version Syndicalisme Uni des Débiles profonds ou nazillons-à-keffiehs suceurs de talibans. Je ne rejoins non plus en rien les doctes "critiques" de la démocratie des Droits de l’Homme quand ils accusent l’Amérique d’être son agent porteur, car, en dépit de ses fondations paradoxalement rationalistes, voire grâce à elles, l’Amérique est le lieu UNIQUE où une transformation du christianisme est encore possible. Il existe au moins deux occidents : L’un a vécu sous l’ère Clinton sa dernière grande "illumination" spectaculaire, elle s’est éteinte avec l’action de césure définitive que les attentats du 11 septembre ont propagée entre l’Ancien et le Nouveau Monde. L’autre, qui couvait sous la cendre depuis les ORIGINES, vient tout juste d’être réveillé. Un peu comme le 7 décembre 1941. Mais en mille fois plus TERRIBLE. Quelqu’un se souvient-il du mois d’août 1945 ?
Nous ne sommes donc plus du même Monde, monsieur Lindenberg, vous comme bien des soi-disant "nouveaux-réactionnaires" que vous épinglez dans votre dormitif ouvrage, vous appartenez au même : celui qui a choisi de se faire en se défaisant, comme votre Europe de Choux de Bruxelles et sa Monnaie Unique, comme votre armée de pious-pious qui protège les génocidaires serbes, mais ne peut même pas traverser la frontière de l’Ouzbékistan pour foutre une trempe à quelques bandits fanatiques et incultes ! Ici, en Amérique, depuis le 11 septembre 2001, une mutation métapolitique sans précédent est en train de voir le jour. Elle séparera définitivement le Nouveau Monde de ses ex-colonies zéropéennes, elle laissera la France de Chiracospin, et de vous même, face à vos hérésies nihilistes et dévolutionnaires (sic ! en effet, pour vous reprendre).
Cette Amérique se tournera vers les nations prêtes à affronter, avec elle, leur DESTIN MANIFESTE. C’est pour ca que je suis parti de votre pays de cocagne, monsieur Lindenberg, je vous laisse à vos Forpronu et à vos Sarkozy, à vos Julien Dray et à vos Luc Ferry, à vos Le Penismes et à vos Chiracquies. Ni gauche, ni droite, en effet, messieurs du bocal des agités : L’Ouest. Le vrai.
Montréal, Amérique du Nord française, le 7 décembre 2002.