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MADELIN, Jospin, Chirac et Cie

Présidentielles 2002 : pour qui voterons-nous ?

jeudi 15 novembre 2007

Chevènement n’est pas le José Bové de la vie politique française ; il n’essaye même pas, comme ce dernier, de faire croire qu’il est du peuple, qu’il sait conduire son tracteur comme d’autres leur vélo, qu’il sait tapoter le cul des vaches mieux ou au moins aussi bien que Chirac – ce qui est en soi une référence. Non, Chevènement ne parle par aux Français, il ne parle pas des Français, il ne parle que de la France. La France par-ci, la France par-là, la France veut ceci, elle a besoin de cela. Il ne se soucie pas des Français, il ne s’inquiète pas de leur sort. En cela, c’est un nationaliste de l’école traditionnelle, mélange de Maurras et de Péguy, aux accents militaires du général Boulanger et du colonel de la Roque.

Heureusement pour nous que ce n’est que Chevènement qui défend ces idées, qui sont de la sorte sans danger ; les choses auraient été bien différentes si Tapie avait sa place en ce moment.

Jospin a aussi une certaine inquiétude au sujet de Chirac, et à juste titre : le challenger du 2e tour a en effet besoin autant que celui-ci des voix de suffisamment d’indécis et d’abstenus du 1er tour pour l’emporter. Il doit donc tout à la fois ne pas faire campagne trop à gauche pour ne pas effrayer le marais, et en même temps se positionner de façon claire et définitive en symétrique inversé de Chirac. De la manière dont il résoudra son dilemme existentiel, sa victoire ou son échec du 2e tour dépendra. Faut-il, pour le PS, faire bloc autour du chef quitte à paraître uniforme, trouver un équilibre équitable avec la gauche plurielle, ou laisser filer des espadons nageant en eaux troubles (à commencer par Strauss Kahn et Fabius) ? Je note au passage que le programme proposé par DSK dans son récent livre se situe, de toute évidence, un peu plus à droite que celui de Raymond Barre en 1978. C’est là un paradoxe sur lequel il faudra revenir.

Vient ensuite le cas de Bayrou, sur lequel mon jugement semblera à certains peut-être un peu brutal et injuste, mais il n’est pas dénué de tout fondement. Parlons d’abord de l’homme : son carriérisme exacerbé laisse pantois, et seuls les aveugles volontaires qui le soutiennent ne le voient pas. Ou peut-être ont-ils l’intention d’en profiter tout autant, ce qui laisse supposer qu’ils sont eux-mêmes empreints d’un grand arrivisme. Néanmoins il n’est ni meilleur ni pire que Mitterrand ou Chirac avant lui, et il a donc suffisamment de mauvaise foi et d’opportunisme pour parvenir, un jour, aussi haut qu’eux.

Ses idées sont souvent bonnes, essentiellement axées sur l’Europe : alors c’est vrai qu’il vaut mieux un arriviste défendant de bonnes idées – s’il les applique pour de bon une fois au pouvoir – plutôt qu’un président sincère défendant des thèses stupides, néfastes, contre-productives.

Sa campagne, pour avoir débuté très tôt, n’a jamais décollé et ne décollera jamais. Ce qui en dit très long du poids des idées centristes en France, assez comparable au poids des idées libérales en somme. Il faudra qu’il évolue, dans ses idées et dans son positionnement, s’il veut un jour atteindre le zénith. D’autres avant lui ont échoué, Baudis, Veil et surtout Lecanuet en 1965, lequel était pourtant excellent et perçu par beaucoup comme le Kennedy français de l’époque.

Il est vrai que des gens qui n’ont pas de positionnement clair, qui paraissent au mieux mous et indécis, au pire susceptibles à tout moment de retourner leurs alliances, ont peu de chances de paraître sympathiques aux yeux du plus grand nombre. C’est en grande partie injuste, mais il suffit de peu pour discréditer un courant politique. L’erreur des centristes de 1988, de tous ceux qui ont suivi Rocard, a justement été de se mouvoir dans un équilibre institutionnel fantasmé plutôt que compris. En régime de séparation stricte des pouvoirs, le parlement a un réel mot à dire, ses composantes un poids prépondérant, et la majorité dispose d’une réelle marge d’autonomie par rapport au président, et par rapport au gouvernement. Mais dans le régime présidentialiste français, où tout pouvoir vient du peuple mais va vers le président, il était fou d’imaginer un seul instant que le centre rejoignant la gauche ne serait pas broyé par les dents caudines du présidentialisme majoritaire.

Je citerai enfin, de tous les principaux candidats, celui vers lequel va notre préférence évidente, ce qui, bien sûr, ne surprendra personne. Madelin a lancé sa campagne il y a quelque temps déjà, ce qui permet de se faire une idée intéressante de ses propositions. Nous les développerons dans un prochain éditorial. Contentons-nous ici de citer le souhait de 15 millions de Français de fonder, s’ils en avaient les moyens, leur entreprise. C’est un chiffre étonnant, car, s’il est vrai qu’il y a un gouffre entre le désir (qui peut être passager) et la réalité, dure, complexe, décourageante, c’est malgré tout un signe d’évolution culturelle et sociétale de tout premier plan. La France se rapproche de la normalité occidentale comme le poisson se rapproche de l’hameçon. Ce phénomène va sans doute de pair avec l’américanisation, volontaire ou non, de la gauche européenne (1).

Néanmoins, sans être Cassandre, on peut douter que la performance de Madelin au 1er tour de l’élection soit autre chose que de pure estime. On estime à juste titre que les idées libérales représentent en France 3 à 5 % de l’électorat. Même si Madelin est brillant et sympathique, il ne pourra pas faire beaucoup mieux.

Alors se pose la véritable question qui surgira des fourrés épais et écorcheurs au soir de ce fameux 1er tour : vers quel candidat allons nous tourner, du haut de notre plus profonde subjectivité, sachant que, selon toute vraisemblance, le 2e tour opposera Chirac à Jospin, les deux revanchards de 1995 ?

On peut choisir de voter Chirac : c’est le choix de la plupart de nos amis, qui, derrière leur masque libéral, dévoilent leur véritable visage d’hommes de droite. Nous respectons ce choix, qui considère que le clivage gauche-droite signifie quelque chose et que, à ce titre, la gauche fait plus de mal que la droite au libéralisme.

Nous pensons pour notre part qu’une telle assertion n’est vraie que si l’on réduit la pensée libérale au libéralisme économique : alors oui, dans ce sens, la gauche est plus éloignée du libéralisme que la droite. Mais si l’on entend par libéralisme tout le libéralisme, qui est d’abord, historiquement et hiérarchiquement, politique et même culturel avant d’être économique, alors l’affirmation devient fausse. A fortiori, on ne saurait attendre d’un candidat représentant encore, peu ou prou, un courant gaulliste ontologiquement et de manière épidermique antilibéral, un quelconque certificat de bonne conduite libérale. Ce n’est pas un hasard si Chirac interdit à ses partisans l’usage du mot même de « libéralisme », et s’il manifeste un soutien prononcé et régulier aux antimondialistes de Porto Allegre. C’est qu’il est réellement, profondément et fermement, convaincu qu’il ne faut pas faire confiance aux idées libérales et qu’il vaut mieux les escamoter plutôt que de perdre des voix. Les escamoter et même les laisser purement et simplement de côté, et ne surtout pas choisir de premier ministre (en cas de victoire) qui serait susceptible de les appliquer. Il préfère un plouc comme Raffarin, un incapable comme Douste Blasy ou son alter ego(centrique) Sarkozy. Il ne court aucun risque avec ces derniers : ils ne vont pas voler en solo, faire des réformes impopulaires et nécessaires ; ils suivront bien sagement la voie tracé par le chef de file, posés bien délicatement sous son aile, et ne piailleront même pas pour demander à manger.

Ecartons ensuite le non-choix qui consisterai à voter blanc ou nul : c’est le courage des pleutres qui amène à agir de la sorte. Quelle interprétation donner à un tel vote, dès lors qu’il sera(it) pratiqué par les libéraux, mais aussi pas l’extrême gauche ouvrière, l’extrême droite réactionnaire, et sans doute d’autres encore ?

Non, c’est sans état d’âme, quoique en courant le risque de choquer, que notre choix pour le deuxième tour se portera sur Jospin. Comme nous l’avons dit par ailleurs, nul ne peut prétendre détenir le monopole du libéralisme, et ne pas voir qu’il y a, parmi les sbires de Jospin, des gens aptes à endosser l’étiquette de libéraux autant – sinon plus – que chez les amis de Chirac, est faire preuve d’une cécité sans doute volontaire.

La France a autant de chances d’être gouvernée de façon libérale (c’est-à-dire, au final, assez peu) avec Chirac qu’avec Jospin : sur les questions de société, le doute n’est pas permis, Jospin est plus libéral que Chirac ; sur les questions économiques, je me bornerai à dire que le plus grand programme de privatisation date des années 1997-2001.

Evidemment, on est encore loin d’un Tony Blair français, mais à tout prendre, la distance à parcourir est moindre avec Jospin qu’avec Chirac, auquel on ne peut décidément pas se fier.


1. : Voir l

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