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Bush ou Saddam, il faudra choisir
vendredi 18 avril 2003
Pour de nombreux pays – la France au premier rang –, il ne saurait y avoir d’intervention en Irak sans l’aval de l’ONU. L’ONU, tout au sein de l’ONU, rien sans l’ONU !
Il est pourtant facile de rappeler que c’est en dehors de l’ONU et du Conseil de sécurité que les Etats-Unis et l’Otan ont déclenché les frappes sur la Serbie à la demande de l’Europe quand celle-ci était incapable d’agir par elle-même. Et il est tout aussi facile d’observer que l’argumentation qui servait hier à légitimer une intervention sans l’aval du Conseil de sécurité contre Milosevic (« Il n’a pas respecté ses engagements et ses obligations internationales ») s’applique tout aussi bien à Saddam Hussein aujourd’hui.
Pour ces pays, à cette exigence de l’aval de l’ONU s’ajoute la confiance dans les inspections pour contenir la menace de Saddam Hussein et la volonté manifeste de préserver autant que possible son régime et le statu quo au Moyen-Orient au nom de la paix. Cette position n’est pas la mienne. Ni sur le plan des principes, si souvent invoqués – le droit, la légitimité de la force, la morale, le rôle de l’ONU –, ni du point de vue d’une paix durable.
Il ne fait aucun doute que le régime irakien est un régime d’oppression abominable, que Saddam Hussein est un homme dangereux qui a cherché depuis longtemps, en mobilisant des moyens considérables, à se doter de l’arme nucléaire et à fabriquer des armes bactériologiques et chimiques.
Avec le cessez-le-feu de la guerre du Koweït, l’Irak a dû accepter inconditionnellement de renoncer à ces armes, mais elle n’a cessé de déployer des obstacles dans l’action de démantèlement des inspecteurs de l’ONU, qui durent finalement renoncer à leur mission en 1998.
Il est sûr qu’au moment de leur départ, l’Irak possédait encore des centaines de tonnes de stocks de produits chimiques, plusieurs tonnes de liquides de culture pour la confection d’armes bactériologiques, ainsi que plusieurs milliers de bombes chimiques héritées de la guerre avec l’Iran et 50 missiles de longue portée.
Il faut une certaine candeur pour imaginer que les inspecteurs partis, Saddam Hussein a spontanément poursuivi le démantèlement de ces armes alors que tout montre – comme les procès en Allemagne aux entreprises qui ont violé l’embargo ou encore l’importation frauduleuse de moteurs de missiles – qu’il a au contraire redoublé d’efforts pour poursuivre ses programmes d’armement contrairement à ses engagements internationaux.
Si Saddam Hussein ne dispose pas aujourd’hui d’une panoplie complète d’armes dangereuses, comme le soutiennent ses partisans, ce n’est pas parce qu’il n’a pas voulu, c’est parce qu’il n’a pas pu. Pas encore.
Tant que Saddam Hussein restera au pouvoir, l’Irak représentera une réelle menace.
Sur le plan du droit, selon les termes mêmes de la résolution 1441, contrairement à ce que l’opinion publique a été amenée à croire ou à ce que certains pays font semblant de croire, les inspecteurs n’ont pas à apporter la preuve d’un réarmement de l’Irak, c’est à l’Irak d’apporter la preuve de son désarmement.
Il faut d’ailleurs admettre que la mission des inspecteurs est une mission quasi impossible qui n’a de sens que pour vérifier les déclarations exigées de l’Irak. Or, les 12 200 pages du rapport de l’Irak à l’ONU ne fournissent aucune piste et manque à l’inventaire le stock des armes précédemment découvertes. Dès lors on mesure l’ampleur de la tâche des quelque 260 inspecteurs de l’ONU à la recherche, dans un pays grand comme la France, de quelques valises d’uranium enrichi, de quelques camions laboratoires ou de quelques entrepôts clandestins quand on connaît la capacité de dissimulation des Irakiens qui ont disposé depuis 1998 de plusieurs années de tranquillité pour cacher leurs armes et de plusieurs mois de préavis pour parfaire leur camouflage avant la perquisition des inspecteurs de l’ONU.
Rappelons d’ailleurs que dans le passé les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique de Vienne – alors dirigée par Hans Blix – n’avaient rien découvert de suspect et qu’il fallut attendre les inspections postérieures à la guerre du Koweït pour découvrir un programme nucléaire impressionnant, remarquablement dissimulé, qui était, à quelques mois près, capable d’aboutir à une première bombe atomique rudimentaire. De même, ce n’est qu’en 1995 après les informations données à la suite de la défection du gendre de Saddam Hussein, que les inspecteurs ont découvert l’ampleur des programmes bactériologiques de l’Irak.
En fait, cela fait douze ans que Saddam Hussein aurait dû procéder au démantèlement de ses armes de destruction massive et coopérer pleinement à l’exemple du désarmement de l’Afrique du Sud ou de l’Ukraine.
La résolution 687 de 1991 imposait à l’Irak de fournir l’état de tous ses programmes et de tous ses stocks d’armes de destruction massive aux fins de destruction contrôlée ainsi que de mettre fin à la répression de sa population et d’autoriser le libre accès des organisations humanitaires. Il n’en a rien été.
Après 16 résolutions restées lettre morte, la résolution 1441, adoptée et acceptée sous la menace d’une intervention américaine, constitue « la dernière opportunité pour l’Irak de remplir ses obligations de désarmement ».
Voici pourquoi, en n’apportant pas la preuve de son désarmement, en ne livrant pas l’arsenal découvert dans le passé, l’Irak viole de façon patente ses engagements et ouvre le droit à l’usage de la force qui n’est que le droit de suite de ces violations.
S’il peut paraître souhaitable de revenir devant l’ONU, rien ne l’impose. Si l’on peut espérer qu’un jour l’ONU puisse avoir la capacité de dire le vrai droit, celui des nations mais aussi celui des peuples, il est difficile aujourd’hui d’idéaliser l’ONU comme le font certains discours officiels.
Car celle-ci, après des décennies de paralysie liée à la guerre froide et à l’équilibre des droits de veto, n’a toujours pas un fonctionnement satisfaisant et une autorité suffisante pour forcer le respect. D’abord parce que le droit de veto de la Chine communiste revient le cas échéant à faire de ce pays le juge ultime des droits de l’homme.
Ensuite parce que des Balkans au sommet de Durban, qui s’est transformé en tribune de l’antisémitisme, l’ONU ne s’est guère illustrée par sa capacité d’action ou sa force morale.
Et la récente désignation de la Lybie à la tête de la Commission des droits de l’homme de l’ONU – sans que la France ne s’y oppose –, alors que la Lybie est impliquée dans la destruction du Boeing de la PanAm et du DC 10 d’UTA, apparaît clairement comme l’abandon par l’ONU de celles et ceux qui dans le monde risquent la torture, la prison, l’exil ou la mort pour défendre les droits humains fondamentaux.
Quoi qu’il en soit, il ne suffit pas pour les pays membres du Conseil de sécurité, et à plus forte raison disposant d’un droit de veto comme la France, de dire que toute décision d’intervention doit passer par le Conseil de sécurité, il faut aussi dire quelle sera notre approche au Conseil.
S’agira-t-il de tergiverser, de gagner du temps et de permettre à Saddam Hussein de passer l’été, en espérant enliser les troupes américaines ? Fera-t-on une lecture exigeante de la résolution 1441 pour constater que l’Irak n’a pas apporté les preuves de son désarmement ?
Fera-t-on une lecture complaisante pour le régime de Saddam Hussein en constatant que les inspections en Irak n’ont pas apporté de preuves formelles d’un réarmement ?
On le voit, le passage par l’ONU ne dispense pas du choix, Bush ou Saddam.
Renverser Saddam Hussein participe à une démarche de prévention durable du terrorisme, non pas en raison d’une quelconque assimilation directe entre l’Irak et al-Qaida, mais parce qu’un changement de régime à Bagdad s’inscrit dans la perspective d’une nécessaire refondation de nos politiques étrangères au lendemain du 11 septembre pour notamment s’attaquer aux racines du terrorisme.
Car le 11 septembre, après la chute du Mur de Berlin et l’intervention au Kosovo, marque un tournant. Si le XXe siècle a vu le Droit s’incliner devant la Force, le droit des peuples s’effacer devant le droit des Etats, la réalité des rapports Est-Ouest imposer de douteux soutiens à des régimes oppresseurs et corrompus, la nouvelle politique étrangère du nouveau siècle est à mes yeux inséparable d’une forte alliance des démocraties pour défendre et promouvoir les valeurs universelles de respect de la dignité de la personne sur lesquelles elles sont fondées.
La politique étrangère des Etats-Unis est assurément en train de prendre ce tournant comme en témoigne le discours du président Bush prononcé le 1er juin à West Point : « La cause de notre nation a toujours été plus grande que la défense de notre nation. Nous étendrons la paix en encourageant des sociétés libres et ouvertes sur chaque continent. »
Assurément, le terrorisme se nourrit du mécontentement et du ressentiment des peuples arabes souvent entretenus par les régimes dictatoriaux du Moyen-Orient qui savent utiliser l’antiaméricanisme, le nationalisme et l’antioccidentalisme pour détourner la colère de leurs peuples victimes de l’oppression, de la misère et de la corruption. Il s’alimente aussi des millions de dollars versés à leur réseau par les potentats locaux soit par conviction, soit par peur.
Ce dont a besoin le monde arabe, c’est d’ouverture démocratique et de liberté. La liberté d’esprit, la liberté d’expression, la liberté des femmes, la liberté de l’économie, la liberté des citoyens...
Libérer l’Irak, c’est poser la première pierre d’un nouvel équilibre régional tourné vers la modernité. C’est donner aux peuples l’espoir de plus de liberté et de plus de prospérité. C’est mettre la pression sur les régimes autoritaires, favoriser l’abandon du terrorisme par les Palestiniens et ouvrir la voie d’un règlement équitable du problème israélo-palestinien.
On peut contester cette vision, préférer la stabilité actuelle à cette perspective, mais alors qu’on laisse de côté les grands principes, qu’on assume et qu’on défende la préférence pour le statu quo.
Renverser le régime de Saddam Hussein répond aussi à un élémentaire principe de précaution.
Le monde est devenu trop petit pour tolérer des Etats qui cherchent à se doter d’armes de destruction massive et qui sont dirigés par de dangereux despotes. Si demain, Saddam Hussein devait parvenir à ses fins, il pourrait s’ériger en nouveau Saladin protecteur du monde arabe, constituer un bouclier pour les autres régimes dictatoriaux de la région, exacerber les tensions anti-israéliennes du monde arabe, couvrir les bases arrière du terrorisme islamique et peut-être même alimenter directement ou indirectement leur panoplie meurtrière.
Rappelons que Saddam Hussein récompense financièrement les familles des auteurs d’attentats suicides en Israël. Laisser sanctuariser l’Irak, c’est prendre le risque de sanctuariser le terrorisme au Moyen-Orient.
Certes on connaît les objections à cette approche : pourquoi l’Irak plutôt que la Syrie sans doute plus active dans le soutien au terrorisme ? Pourquoi intervenir hier au Kosovo plutôt qu’au Soudan qui connaissait un génocide ? Pourquoi l’Irak qui ne possède pas encore l’arme atomique – et pas la Corée du Nord qui affiche ostensiblement sa possession en violation des accords passés en 1994 ?
Que valent les valeurs universelles auxquelles on se réfère lorsqu’elles sont appliquées de façon sélective ?
Ces questions sont pertinentes mais ce n’est pas parce que l’on est dans l’incapacité de faire respecter les droits de l’homme partout dans le monde qu’il faut y renoncer là où l’on en a la nécessité et le pouvoir.
Faut-il renoncer à arrêter un criminel dans son quartier parce que d’autres criminels courent toujours ailleurs ?
Au surplus l’exemple de la Corée, volontiers appelé en renfort de la cause irakienne, montre a contrario que la force devient largement impuissante lorsqu’un Etat criminel se dote d’armes de destruction massive (même s’il est vraisemblable que l’arme nucléaire nord-coréenne ressort davantage d’un jeu diplomatique que d’une menace directe).
Il serait absurde de dire que si l’on ne peut pas intervenir en Corée, il faut laisser faire l’Irak.
Il serait tout aussi absurde d’imaginer que les Américains sont guidés par leur appétit pétrolier. S’il est vrai que la libération de l’Irak rendra le pétrole plus abondant sur le marché mondial, ceci ne peut que faire baisser les prix pour le plus grand profit de l’économie mondiale mais au détriment certain des pétroliers texans qui ont besoin d’un pétrole cher pour être compétitifs.
Notre place est au côté de l’Amérique. En raison des liens qui nous unissent bien sûr. Parce qu’aux heures décisives, ce grand peuple s’est battu pour notre liberté. Parce que pendant 40 ans, face à l’Otan, les Etats-Unis ont risqué le suicide nucléaire pour protéger l’Europe d’une attaque. Parce qu’au Kosovo encore récemment ils nous ont aidés à rétablir la paix et la démocratie.
Mais plus encore parce que leur cause est la nôtre.
Notre place est aujourd’hui au côté des Américains pour libérer le peuple irakien de Saddam Hussein et en finir avec sa menace. Pas au côté de Saddam pour faire obstacle aux Américains.
Notre place, la place de l’Europe est avec les Américains et toutes les démocraties pour jeter les bases d’une nouvelle alliance afin de promouvoir ensemble les valeurs universelles de liberté et de dignité de la personne qui nous rassemblent. Pour mettre un peu plus de morale dans nos politiques étrangères, en finir avec la vieille politique internationale héritée de Yalta, ne plus accepter le droit des Etats à disposer des peuples et son héritage de complaisance avec les dictatures.
Si l’on refuse l’unilatéralisme américain, il faut construire le multilatéralisme démocratique.
L’Europe ne saurait s’en remettre aux Américains pour assurer la défense des libertés et la sécurité dans le monde – en esquivant ses responsabilités et en érigeant ses faiblesses en doctrine avec le mol espoir que les Américains leur éviteront d’avoir à se prononcer au sein de l’ONU.
Imaginons un instant que les Américains prennent le chemin de l’ONU et que leur intervention se heurte à un droit de veto, qu’ils y soient désavoués et qu’ils renoncent.
Victoire de la sagesse ? Allons donc ! Victoire d’un Saddam Hussein rayonnant et triomphant. Formidable soutien aux dictatures du Moyen-Orient et au moral des terroristes.
Il serait difficile d’y voir une victoire du droit, si ce n’est celui d’opprimer les peuples en paix.
Sauver Saddam, c’est encourager Saddam et ses semblables. C’est prendre une lourde responsabilité vis-à-vis de l’Histoire. Heureusement, un tel scénario est impossible. Il est temps de s’en apercevoir.