Accueil > Argumentaires > Édito > Défense de la mondialisation
Défense de la mondialisation
vendredi 18 avril 2008
Je pense que le soudain débat sur la globalisation, et notamment les protestations dirigées contre elle, auquel nous assistons depuis quelques années, est lié à une redécouverte nécessaire de la pauvreté, de la misère qui existe dans de larges parties du monde, et aux erreurs d’interprétation dont cette pauvreté fait l’objet.
La misère est une situation terrible, que dans nos pays riches nous ne pouvons vraiment pas comprendre. Dans un pays pauvre, l’individu moyen travaille 12 à 13 heures par jour, six jours par semaine, dans des conditions de travail épouvantables de santé et de danger. Des paysans, des sociétés entières vivent dans la crainte d’une mauvaise récolte, parce que cela signifie littéralement la faim et la mort par la faim. Les parents sont bien contents si leurs enfants survivent à leur première année, mais alors même il ne se passe guère de temps qu’ils ne les mettent au travail, pour maintenir en vie l’ensemble de la famille. Presque personne ne reçoit une instruction digne de ce nom. Les villes sont des foyers majeurs d’infection, où de vilaines maladies règnent incontrôlées, les gens jettent dans les rues ordures et excréments. Bien peu sont ceux qui atteignent ce que nous appelons l’âge mûr.
Ceci pourrait être la description d’un pays africain, ou d’un pays pauvre d’Asie. Mais ce n’en est pas une. Elle décrit mon propre pays, la Suède, il n’y a guère plus de 130 années. A cette époque, la Suède connaissait de mauvaise récoltes, on avait faim, et les gens étaient forcés de mélanger de l’écorce à leur pain, pour ne pas mourir de faim. La Suède était un pays "en développement", et recevait de l’aide extérieure de la part de pays "riches" comme l’Angleterre et la France !
Cependant, ce n’est pas la redistribution qui a sauvé cette pauvre vieille Suède. Même si vous aviez écrasé toutes les différences de patrimoine au milieu du XIXème siècle, cela aurait condamné tout le monde à une vie d’absolue pauvreté. Non, ce qui a sauvé la Suède c’est la libéralisation.
En quelques décennies, deux ou trois hommes politiques libéraux ont donné à la Suède la liberté de religion, le Droit de libre expression, et le Droit de faire ce qu’on veut avec ce que l’on a, de telle manière que les gens puissent créer leu propre entreprise et vendre librement sur les marchés. La liberté des échanges a permis aux Suédois de se spécialiser dans ce qu’ils savaient faire le mieux, comme le bois et le fer, et l’échanger contre ce qu’ils savaient moins bien faire, comme la nourriture et les machines. C’est cette production accrue qui a donné aux Suédois la possibilité de se nourrir. Elle nous a apporté la croissance économique et rendu possible d’accroître le niveau de vie et d’investir dans l’éducation et la santé.
C’est beaucoup plus tard, dans les années 1950, qu’est venu l’Etat-providence, lorsque les politiciens se sont mis à redistribuer la richesse que le peuple et le libéralisme avaient créée. Mes aïeux, ce sont l’échange et le capitalisme qui les ont sauvés.
Une des erreurs logiques les plus graves du débat sur la mondialisation consiste à supposer que la pauvreté serait quelque chose de nouveau. Une bonne partie du débat semble venir de l’idée suivant laquelle les choses vont plus mal aujourd’hui qu’elles ne l’ont jamais fait, tout se dégradant continuellement. En 1013, l’Archevêque Wulfstan de York avertissait : "Le monde se hâte et va vers sa perte [5]." Quelque mille ans plus tard, son collègue suédois K. G. Hammar [6], lui faisait écho : "Le monde déraille, et il n’y a pas de signal d’alarme à tirer." Comme si la pauvreté n’avait pas toujours existé !
C’est la richesse qu’il y a lieu d’expliquer. C’est pourquoi je pense que ces jérémiades d’évêques sont dangereuses : vous ne remarquez une situation désastreuse que si elle apparaît en contraste avec quelque chose d’autre. Lorsque tout le monde est pauvre, vous ne considérez pas la pauvreté comme un problème à régler, mais comme une situation naturelle, un destin qu’il faudrait supporter. C’est seulement lorsque vous commencez à vous libérer de la pauvreté que vous commencez à remarquer ceux qui sont restés dedans. C’est alors que leur situation devient un problème.
Nous avons assisté à cette réaction lorsque la révolution industrielle a amélioré les niveaux de vie. Nous pouvons l’observer aujourd’hui, et si nous pouvons l’observer c’est parce que la pauvreté, en fait, est en train de diminuer.
Bonnes nouvelles de la croissance
Au cours des cinquante dernières années, la pauvreté a davantage régressé dans le monde plus vite qu’elle ne l’avait fait pendant l’ensemble des 500 années antérieures. Au cours des trente dernières, le revenu a doublé dans les pays en développement. Au cours des deux dernières décennies, la proportion des gens vivant dans la pauvreté absolue - c’est-à-dire ceux qui gagnent moins d’un dollar par jour a baissé de 31 % à 20 % - c’est-à-dire quelque 200 millions de gens.
D’autres indicateurs du niveau de vie dans le tiers monde traduisent la même évolution, ce qui n’est pas surprenant. Peut-être que l’argent ne fait pas le bonheur, mais le niveau de vie, il y contribue.
Au cours des cinquante dernières année, l’analphabétisme chez ceux qui avaient atteint l’âge adulte est descendu de 70 à 25 %. La mortalité infantile est passée de 18 à 8 %. L’espérance de vie est passée de 46 à 64 ans. Et depuis trente ans, la malnutrition chronique est passée de 37 à 18 %. Ce que cela signifie, c’est que ces indicateurs-là sont meilleurs dans les pays en développement aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a cent ans dans les pays les plus riches. La plus importante chose au monde est d’expliquer pourquoi ce processus a eu lieu parce que si nous apprenons cela, nous pourrons reproduire cette croissance ailleurs.
Ma réponse est que c’est la conséquence du fait que certains éléments qui dans le passé étaient une propriété exclusive des pays occidentaux, tels que le patrimoine, les investissements, les sociétés commerciales, les idées, les moyens de communication, la science, les techniques, la médecine, l’aide internationale, etc. ont commencé à se répandre partout dans le monde. Ce qui est drôle c’est que cela, c’est exactement ce que, avec un certain manque de rigueur, l’on appelle aujourd’hui la globalisation.
Dès les années 1990’s, lorsque l’écrivain suédois Lasse Berg et le cinéaste Stig Karlsson retournèrent dans les pays asiatiques où il s avaient voyagé trente ans plus tôt [7] , ils ne pouvaient pas croire à quel point ils se trompaient en repartant désespérés par la pauvreté, la misère abjecte et l’impression d’une catastrophe imminente qu’ils y avaient trouvées. De même que bon nombre d’autres voyageurs de ces mêmes contrées, ils ne pouvaient pas se résoudre à croire en un avenir d’espoir, et croyaient que la révolution socialiste était éventuellement la seule porte de sortie.
Revenus dans des pays tels que l’Inde et la Chine, ils voient de plus en plus de personnes qui se sortent de la pauvreté, de la faim et de l’insalubrité. Le plus grand changement se trouve dans les idées et les rêves : la télévision, les journaux, apportent idées et impressions de l’autre côté du globe, élargissant l’idée que les gens se font de ce qui est possible. Ce changement n’est pas le produit d’une révolution socialiste mais, bien au contraire, du passage au cours des quelques lustres écoulés à une liberté économique, voire personnelle plus grande.
Les échanges internationaux et la liberté du choix se sont développés ; les investissements et l’assistance au développement ont opéré le transfert des idées et des ressources. On a tiré profit des connaissances, des richesses et des inventions des autres pays.
Lorsque la globalisation arrive à la porte de Bhagant, vieux travailleur agricole Intouchable du village de Saijani, cela veut dire que l’on construit des maisons en brique et non plus en terre séchée, que les gens ont des chaussures aux pieds et sur le dos des vêtements propres et non plus des haillons. Dehors, les rues ont désormais des rigoles, et le parfum de la terre cultivée a remplacé la puanteur des ordures. Il y a trente ans, Bhagant ne savait pas qu’il vivait en Inde. Aujourd’hui, il regarde les nouvelles du monde à la télévision.
Dans la génération de Bhagant, tout le monde était illettré. Dans celle de ses enfants, il n’y en a eu que quelques-uns qui ont pu aller à l’école, et dans celle de ses petits-enfants, tout le monde va à l’école. Bhagant trouve que les choses vont mieux. La liberté, la prospérité sont plus grandes. Aujourd’hui, ce sont les enfants qui posent le grand problème. Quand il était jeune, les enfants étaient obéissants et aidaient à la maison. Aujourd’hui, ils sont devenus terriblement indépendants, ils gagnent leur propre argent. Cela peut causer des tensions, mais ce n’est pas la même chose que de craindre de les voir mourir, ou d’être obligé de les vendre à un usurier clandestin.
La position que vous et moi, et les autres personnes du monde privilégié nous prenons sur la question brûlante de la globalisation peut déterminer s’il y aura plus de monde à prendre sa part au développement qui s’est produit au village de Bhagant ou si ce progrès-là se transformera en régression.
La plus grande erreur conceptuelle dans le débat sur la globalisation porte sur la cause de la pauvreté. La plupart de ceux qui protestent contre ce qu’ils appellent la "mondialisation néo-libérale" semblent croire que l’économie serait un jeu à somme nulle. Si vous y gagnez, alors il faut qu’un autre perde [8] S’ils ne le croyaient pas, vous ne pourriez pas expliquer pourquoi ils semblent bien plus indignés par le succès et l’abondance que par la pauvreté et la misère.
Or, la production et le croissance engendrent davantage de richesses, et le capitalisme encourage une production toujours meilleure et plus efficace, sous peine de faillite, il encourage et récompense l’investissement à long terme dans des productions encore améliorées. L’échange libre est celui qui est juste, presque par définition, parce qu’un échange ne se fait pas si les deux parties ne pensent pas y gagner quelque chose.
Liberté = prospérité
Il existe une surabondance de preuves du lien entre le capitalisme et la prospérité. Plus élevé est le degré de liberté économique d’un pays, et plus il a de chances de prospérer, de se développer, de mieux vivre, etc.
Si nous divisons le monde en cinq groupes selon leur degré de liberté économique, comme l’a fait le Fraser Institute au Canada, nous voyons que les pays les plus riches sont dix fois plus riches que pendant les années 1990 tandis que les moins libres en avaient un de 1.5 %.
Plus intéressant encore, les habitants des pays les plus libres vivaient en moyenne 24 années de plus que dans les pays les moins libres. Ces données nous permettent aussi de comprendre la valeur de la liberté économique pour la démocratie. Les populations qui se voient reconnaître le Droit d’échanger avec des non-résidents ont quatre fois plus de chances de vivre dans une démocratie que ceux qui se voient refuser ce Droit.
Cependant, ce que j’aime le plus dans le concept de liberté économique n’est pas le mot "économique" mais le mot "liberté" . C’est la liberté en soi, la liberté de choisir, avec la dignité et les chances que cela apporte. Et la "mondialisation", en bousculant les anciennes frontières et les vieilles interdictions accroît cette liberté-là, chose dont parfois nous ne tenons pas compte quand nous nous concentrons sur les "taux de croissance". En voici trois exemples simples.
En Amérique Latine, les pauvres travailleurs agricoles avaient toujours été totalement dépendants des seuls employeurs qu’il y eût, les grands propriétaires terriens. Même lorsqu’ils avaient la liberté de voter, ils étaient forcés de le faire comme l’exigeaient leurs propriétaires, sous peine de se retrouver à la rue sans moyens de subsistance. Aujourd’hui, après un peu de "mondialisation", d’autres entreprises peuvent entrer sur le marché et leur offrir un travail ; avec la libéralisation ils peuvent monter leur propre entreprise. Ils s’émancipent.
Lorsqu’en Inde un paysan avait besoin de capital pour envoyer ses enfants à l’école, il était forcé de s’adresser à un usurier, qui se payait avec le travail futur de l’enfant. le joug de l’usure, qui tenait en servitude des villages entiers, s’évanouit lorsqu’arrivent les marchés financiers, et permettent d’emprunter de l’argent à une banque.
Les chances d’amélioration du sort des femmes sont étroitement liées à leur capacité à recevoir un revenu indépendant. Une femme battue par son mari, la loi est (on l’espère) censée la protéger. Mais ira-t-elle vraiment porter plainte contre lui ? Sûrement pas, si cela veut dire qu’elle se retrouverait sans moyens d’existence. C’est seulement dans de nouveaux marchés en expansion, dans l’économie monétaire, qu’elle a la possibilité de se trouver un travail à elle, ou de menacer de le faire, et c’est alors qu’elle est moins dépendante de la conduite de son mari.
La machine à libérer
Maintenant, l’un des plus importants moteurs de cette machine à libérer représente l’aspect de l’économie moderne que l’on dénonce et déteste le plus : les grandes entreprises, les sociétés multinationales.
Certains d’entre vous, s’ils ne l’ont pas lu, ont peut-être entendu parler de No Logo , livre de Naomi Klein , qui prétend que des multinationales telles que Nike multiplieraient dans le tiers monde des emplois quasi-serviles, pour un salaire de misère. La seule "preuve", ou presque, consiste dans des articles qu’elle a ramassés en quelques années sur les mauvaises conditions d’embauche dans les pays pauvres. Vous m’en direz tant ! Montrer que les conditions sont mauvaises dans les pays pauvres, et voilà qui suffit à faire de Naomi Klein un gourou du mouvement "anti-mondialisation".
Il en est parmi nous pour qui ce n’est pas là une nouvelle bouleversante. C’est une chose qui tient à la faiblesse de la productivité ; si un travailleur ne peut pas produire beaucoup, eh bien il ne peut pas gagner beaucoup. Et si son "salaire" était beaucoup plus élevé, personne n’aurait les moyens de l’embaucher. Cela n’a donc aucun sens de comparer ses conditions de travail avec celles qui règnent dans les pays développés, parce que notre productivité à nous est beaucoup plus élevée.
Ce qui est intéressant, c’est de comparer les conditions faites à ceux qui travaillent dans les sociétés multinationales dans les pays pauvres aux autres possibilités qu’ils ont, avec les autres travailleurs du même pays. C’est ce que j’ai fait et, à ma surprise, j’ai découvert que dans les pays les moins développés, ces multinationales payaient leurs salariés deux fois autant que les employeurs locaux dans le même domaine d’activité. Et encore, nous devons nous rappeler que dans tous les pays du monde, les travailleurs qui produisent pour l’exportation sont ceux dont les salaires sont les plus élevés. Ceux qui travaillent pour une société américaine dans les pays les moins développés reçoivent 8 fois le salaire moyen du pays en question ! Pourquoi ?
La réponse est simple : avec leurs investissements, ces multinationales avec tous leurs logos et leurs marques, apportent aux pays pauvres de nouvelles machines, une meilleure technique, de nouvelles idées sur la manière de gérer et de produire, un marché élargi, une formation professionnelle, etc. et c’est tout cela qui accroît la productivité et les salaires. Et c’est pour cela qu’au cours des 40 dernières années, les salaires sont passés de 10 % à 30% du salaire industriel moyen aux Etats-Unis.
La même différence s’applique aux conditions de travail. L’Organisation Internationale du Travail a montré que ce sont les multinationales qui ouvrent la voie vers de meilleures conditions de travail, particulièrement dans les industries du vêtement et de la chaussure. - c’est-à-dire dans les sociétés telles que Nike ! L’avocat chinois Zhou Latai a souligné que Nike et Reebok, du fait de leurs conditions de travail, font pression sur les sociétés chinoises pour qu’elles-mêmes rendent leurs usines plus saines et plus sûres, faute de quoi elles n’auront pas les employés qu’elles veulent. "Si Nike [9] et Reebok s’en allaient", rappelle Latai, ce qui pourrait bien arriver en cas de boycotts et de protectionnisme, "cette pression disparaîtrait. C’est évident [10]."
Les critiques reprochent à la "globalisation" d’établir la domination des sociétés commerciales. La sottise inspire ce slogan. C’est dans les sociétés fermées, que les sociétés capitalistes ont le plus de pouvoir, là où les tarifs douaniers et autres privilèges de monopole empêchent les entrepreneurs de leur faire concurrence et les consommateurs de choisir. C’est dans ces sociétés-là - comme l’Amérique latine après la Seconde guerre mondiale que les sociétés peuvent se permettre de vendre hors de prix des mauvais produits - que les gens sont de toutes façons forcés d’aller chez elles et d’y travailler.
Le développement du libre-échange est un moyen de donner aux sociétés plus de liberté pour échanger et investir mais en même temps de leur donner moins de pouvoir. Sur un marché libre, les entreprises sont comme le serveur du restaurant : elles peuvent bien vous présenter le menu, mais s’il ne vous plaît pas, vous pouvez aller ailleurs. Et la liberté des échanges, cela veut dire que d’autre serveurs, y compris étrangers, peuvent venir vous présenter des menus concurrents ! Le patron, c’est vous.
Il se peut que ce soient les sociétés et les banques qui transportent les produits et le capital à travers les frontières, mais s’il n’y avait pas de demande populaire pour qu’elles le fassent, elles ne le feraient pas.
La "globalisation", c’est nous, le peuple, qui la contrôlons !
Ceux qui ont le capitalisme s’enrichissent. Ceux qui ne l’ont pas restent pauvres.
Ce monde est bel est bien un monde d’inégalité. Le facteur qui détermine le plus le niveau de vie d’un individu est la latitude à laquelle il se trouve être né. 20 % de la population du monde consomme 80 % de ses ressources.
Cependant, cela ne signifie pas que ces ressources, nous les prendrions, nous du Nord, au reste du monde. Non : nous créons 80 % du produit, des ressources qui se renouvellent tous les jours. Et cela n’a rien à voir avec le fait d’être plus malin ou plus travailleurs que les autres. Cela tient au fait que nous avons la liberté d’employer notre intelligence comme nous le jugeons bon, et que nous sommes libres de travailler pour notre propre compte - libertés que les gens du Sud possèdent à un bien moindre degré.
La distribution statistique des biens et du capital est inégale dans le monde ; mais c’est parce que le capitalisme y est inégalement réparti. Ceux qui ont le capitalisme s’enrichissent. Ceux qui ne l’ont pas restent pauvres.
Ce sont souvent les politiques nationales qui détruisent les marchés et la libertés ; cependant, lorsque vous redressez ces politiques-là, presque tout est possible et c’est en fait bien plus possible à notre époque d’ouverture des frontières, que cela l’a jamais été. Pour les pays en développement, ce n’est pas un "problème", comme semble le prétendre le mouvement "antiglobalisation" ; c’est au contraire une occasion incomparable.
Il y a 130 ans, la Suède avait été aidée par le fait que des pays tels que l’Angleterre et la France étaient beaucoup plus riches et industrialisées. Cela voulait dire qu’elle pouvait employer directement leurs idées et leurs techniques, qui coûtent du temps et de l’argent à développer à partir de zéro. Nous avons pu emprunter et investir leur capital pour développer notre production et notre infrastructure, nous pouvions leur vendre davantage de produits, et acheter en échange davantage de produits avancés. Et comment les avons-nous remboursés ? En ayant des taux de croissance beaucoup plus élevés !
Les statistiques montrent clairement que les pays pauvres et ouverts croissent plus vite que les pays riches et ouverts. La liberté des échanges enrichit les riches - et les pauvres - mais les riches n’en profitent pas autant que les pauvres ! La possibilité d’une croissance rapide pour les pays pauvres est d’autant plus grande que le reste du monde est plus évolué.
Lorsqu’en 1780 l’Angleterre a commencé à doubler sa richesse, cela lui a pris 58 ans : lorsque le Japon a commencé à faire de même il y a cent ans, cela ne lui a pris que 34 ans, an et quand la Corée du Sud l’a fait cent ans plus tard, cela ne lui a pris que 11 ans. Lorsque les pays sont liés entre eux par des mouvements de biens et de capitaux, il semble que ce soient les pauvres qui en profitent le plus.
Où les vaches européennes voyagent en première classe...
Et c’est là que nous en venons à ce qui devrait nous ennuyer le plus de la part des pays occidentaux. Ce n’est pas qu’ils seraient en train d’essayer d’attirer les pays en développement vers une sorte de piège "néo-libéral" de la "globalisation", c’est qu’ils les empêchent d’y participer.
Au cours des cinquante dernières années, nous avons libéralisé le commerce international sur tout l’éventail des produits, à deux exceptions près : le textile et l’habillement, et les produits de l’agriculture. Et les produits que l’Union Européenne n’empêche pas d’entrer à coups de "droits" de douane et de quotas, de règlements anti-dumping", des règles bureaucratiques sur l’origine, de "principe de précaution", de prétextes "écologiques", etc. L’aspect le plus bizarre de tout cela est le mal que nous nous faisons à nous-mêmes avec ces politiques.
L’économiste français Patrick Messerlin a montré que les quelques emplois que nous protégeons à coups de protectionnisme coûtent quelque 1.400.000 francs par emploi [et par an], ce qui représente dix fois le salaire moyen dans ces branches d’activité. Nous pourrions tout aussi bien donner une Rolls-Royce à chaque ouvrier, tous les ans. La charge totale du protectionnisme européen représente 5 à 7 % du PIB de l’Union Européenne, ce qui fait trois fois celui de la Suède (tous les ans) - et si timides que soient les Suédois, si courts que soient nos étés, si élevés que soient nos impôts, qui pourrait cracher sur une Suède par an ?
Après la chute de l’Union Soviétique, et les réformes économiques en Chine, il n’y a plus que trois économies au monde qui soient encore soumises à la planification centrale, la Corée du Nord, Cuba - et la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne. Non seulement la PAC tient les exportateurs du monde à l’écart de son marché avec force "droits" de douane et quotas, et des milliards de dollars pour les propriétaires fonciers agricoles de l’UE, mais en vendant le surplus subventionné, sur les marchés internationaux, l’Union Européenne les écrase dans le tiers monde aussi.
Les calculs les plus récents montrent qu’aux consommateurs et contribuables des 29 membres de l’OCDE les barrières douanières et subventions à l’agriculture (et l’horticulture) infligent une charge de 360 milliards de dollars par an. Une telle masse d’argent est difficile à appréhender, alors disons qu’elle est assez énorme pour payer un voyage autour du monde en première classe à chacune des 56 millions de vaches de ces pays, et chacune pourrait encore avoir 2.800 dollars d’argent de poche pour ses escales aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. Et elles pourraient faire ce genre de voyage chaque jour. Et tout cela, nous le dépensons pour détruire la liberté des échanges, et la possibilité pour les pays pauvres de développer leurs propres économies.
Et cela ce trouve être ma raison d’intituler mon livre comme je l’ai fait. Nous avons une espèce de capitalisme dans notre partie à nous du monde, dans la mesure où nous avons la liberté de posséder, de rivaliser et d’échanger sans intervention des hommes de l’Etat. Mais nous n’aurons un capitalisme mondial que lorsque le reste du monde bénéficiera des mêmes libertés.
(traduction de François Guillaumat).
NOTICE BIOGRAPHIQUE
N