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la honte : une lacheté comme une autre
dimanche 18 avril 2004
Les « honteux » – nous appellerons ainsi par commodité ces « rentiers » de la honte- sont majoritaires, sinon dans le pays, du moins dans l’intelligentsia, une bonne partie de ce qui pense et écrit aujourd’hui a, aura, ou a eu honte. Notons bien vite que ces « honteux » n’ont jamais honte d’eux mémes (ce dont, d’ailleurs on ne peut que les féliciter) ; d’ailleurs ils estiment leur conduite irréprochable et méme exemplaire : hier ils étaient maoïstes ou staliniens, ou simplement jeunes militants de mouvements humanistes ou chrétiens ; aujourd’hui ils sont au service du Medef Ou cadre supérieur dans des société internationales, ou hommes ou femmes publiques- députés ou artistes ; enfin bref : ils ont réussi !
Les « honteux » ont en commun le sentiment que la France est devenue indigne, qu’elle a perdu son honneur, qu’elle ne maîtrise plus son destin. La faute en est à leurs compatriotes qu’une étonnante veulerie conduit à accepter, ou pire, à générer, cet état de fait.
Les « honteux » ne sont jamais coupables, jamais responsables.
La honte qu’ils exhibent c’est celle des autres, celle de leurs compatriotes qu’ils désignent comme la « masse » abrutie par la télé réalité, ou par le football ; c’est une « masse » amorphe et sans volonté . C’est aussi une « masse » dangereuse quand elle se rebiffe, quand elle va voter LePen ou manifester contre la réforme des retraites ; ou quand simplement ayant le sentiment d’être constamment prise pour une bille, elle se désintéresse du jeu qu’on veut lui faire jouer.
N’ayons peur des mots cette « honte » exhibée, cette posture tellement confortable, qui consiste à se replier sur soi en jetant l’anathème sur les autres ; cette pose geignarde et compassée, mais tellement imbue de ses auteurs et de leur secrète satisfaction d’avoir raison contre leurs compatriotes ; Bref cette honte est une lâcheté, la plus facile des lâchetés, qui dispense ses auteurs de tout travail puisque tout est dit : les « honteux » ont forcement raison. Et les cibles de leur honte ont forcement tort. Alors inutile de discuter, inutile de réfléchir plus avant, inutile de s’interroger sur les motivations de ceux qui nous font honte ; inutile de s’interroger sur nos propres motivations.
Mais ce n’est pas avec la lâcheté qu’on fait progresser, avancer la société ; à moins de vouloir la faire avancer de telle sorte qu’elle aille directement dans le mur.
Il est temps, largement temps de sortir de ces postures veules et improductives. A quoi bon avoir honte de son pays parce qu’une bande de lascars a fait régner la terreur dans un wagon du métro, sans qu’un passager intervienne pour stopper les coups qui se sont abattus sur une jeune femme qui a crié durant de longues minutes « au secours ! » en vain. Ce n’est pas de la honte qu’il faut avoir mais du courage. Il faut savoir se lever, parler, agir. Programme difficile, je le conçois mais c’est le seul qui vaille.
A l’identique quelle utilité d’avoir honte du vote LePen aux dernières élections ? On comprend que les « honteux » puissent en concevoir une sorte de délectation sordide, voire un plaisir pervers, mais enfin quelles perspectives positives cette honte peut elle ouvrir ? Aucune, c’est évident. Puisque cette honte n’est que l’expression du rejet de ceux « qui ne savent pas » par ceux « qui savent ».Pas de discussion possible. Mais regardons les choses objectivement : le constat, vous le ferez vous méme. Dans votre entourage combien de personnes déclarent elles voter pour Le Pen ? Ne cherchez pas : aucune, à part peut être un égaré inconscient.
Et pourtant 1 électeur sur 5 a voté LePen aux dernières élections.
De la méme manière les intentions de vote Le Pen relevées par les sondeurs sont systématiquement dérisoires par rapport aux votes enregistrés aux élections. Ce qui explique en bonne partie les erreurs récurrentes d’estimation du vote FN dans les sondages.
On ne discute plus, puisque toute discussion qui intéresse les électeurs de LePen (sécurité, immigration, …) est interdite et voue les demandeurs au mépris de la plupart de ceux qui pensent et écrivent dans ce pays.
Les électeurs de LePen n’ont pas honte, eux. Leur choix ils le gardent dans leur intimité pour se préserver du mépris des « honteux » et puis aussi il faut bien le dire , parfois pour préserver leur sécurité physique , la leur comme celle de leurs proches . Le plus grand danger de ce vote ne réside pas dans le risque d’un fascisme mythique dans lequel le pays risquerait de verser, ou du racisme qu’il exprimerait. Les quartiers où les plus forts taux de vote FN sont relevés sont aussi ceux où les unions entre Françaises et étrangers sont les plus nombreuses, sans que cela ne génère ni lynchage, ni même simples protestation. Aussi faisons confiance à nos concitoyens les préoccupations qu’ils veulent exprimer ressortent d’autres motivations que le racisme ou d’inclinations pour le fascisme. Arrêtons, ou plutôt : arrêtez, vous, messieurs et mesdames les « honteux » ils n’ont pas besoin de votre honte. Le danger il réside dans ce vote « secret », auquel nul ne répond, à l’absence de dialogue voire de simple écoute qu’il devrait susciter. A savoir si la République pourra survivre longtemps à cette politique de l’autruche « honteuse » que ses élites politiques et intellectuelles perpétuent imperturbablement depuis plus de 20 ans. Je doute fort que les efforts louables et forts solitaires de M. Sarkozy en matière de sécurité et d’intégration de l’Islam puissent désamorcer la bombe qui chaque année grossit et s’amorce. Ce ne sont que cautères sur jambes de bois, pour ne pas dire gesticulations superfétatoires.
La réponse c’est la société toute entière qui doit l’apporter ; des choix clairs doivent être offerts et un vaste débat portant aussi bien sur les vecteurs et facteurs d’insécurité que sur l’immigration doit être engagé. Tout enfin doit être mis sur la table. Un referendum pourrait par exemple être proposé pour déterminer les choix des prochaines décennies en ces matières.
Jetons la honte à la rivière. Il est temps, il est grand temps de remettre en valeur ce vieil outil qui ne sert plus guère (trop coûteux ! trop fatiguant !) : j’ai nommé le courage.
Vaste programme. Mais c’est le seul qui nous sauvera.