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Assurance-maladie, la politique du pire
samedi 18 octobre 2003
Nul ne conteste que la mauvaise conjoncture a sa part dans le creusement des déficits. Les deux tiers de l’"abîme" de 2003 et de 2004 lui sont imputables, selon la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) et le ministère de la santé.
Le tiers restant, qui représente quand même 2,9 milliards en 2003 et 3,7 milliards en 2004, s’explique par le décrochage des dépenses d’assurance-maladie, dont la progression est, dans tous les pays industrialisés, plus rapide que celle de la richesse nationale. Toutefois, depuis deux ans, le gouvernement a chargé la barque et renoncé à toute régulation du système, ce qui est autrement plus grave.
Peu après sa nomination, en mai 2002, M. Mattei avait donné le la en pesant de tout son poids en faveur de l’augmentation des honoraires des généralistes. Ce n’est pas tant le coût de cette revalorisation tarifaire (690 millions d’euros en année pleine) qui est en cause que le signal fort ainsi adressé par le ministre en matière de dépenses.
Tout à la célébration de ses "retrouvailles" avec une profession qui n’avait pas pardonné à la droite le plan Juppé de 1996, M. Mattei, lui-même professeur de médecine, ouvrait, en septembre 2002, une nouvelle piste : celle d’une plus grande "souplesse" dans les règles de rémunération des spécialistes. Il faisait ainsi écho à la revendication de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) d’un "espace de liberté tarifaire". En septembre 2003, malgré l’échec des négociations sur la convention médicale, il décidait de majorer les honoraires de quelque 35 000 spécialistes.
Là aussi, ce qui pose problème est moins le coût de cette majoration - 66 millions d’euros - que le moment, très symbolique, choisi pour le faire, deux jours après l’annonce de mesures d’économies pour 2004 pesant essentiellement sur les patients (hausse du forfait hospitalier, durcissement des conditions de prise en charge à 100 %, etc.).
Au nom du rétablissement de la " confiance" avec les médecins, M. Mattei a poussé plus loin la sollicitude à l’égard de ses anciens collègues. Il a réorienté les missions des praticiens-conseils - ces bêtes noires des médecins libéraux -, supprimé les comités médicaux régionaux (CMR) créés par le gouvernement Juppé pour traquer les prescriptions abusives, en particulier les arrêts de travail. Et mis fin aux "lettres-clés flottantes", un système de maîtrise des dépenses introduit en 2000, qui n’a jamais fonctionné. Le message adressé au corps médical est clair : l’époque des sanctions et de la culpabilisation est révolue.
Tout en détricotant la " régulation comptable" et en allégeant les contrôles sur ses pairs, le ministre de la santé a officiellement donné son aval à la détérioration des comptes. En annonçant à deux reprises, en septembre 2002 puis douze mois plus tard, un déficit aggravé du régime général (3,9 milliards puis 11,2 milliards), ce qui ne s’était jamais vu.
Quant à l’idée d’une "maîtrise médicalisée"des dépenses, officiellement défendue par M. Mattei, elle n’a guère connu depuis deux ans de traduction concrète. Hormis la signature de plusieurs accords de bon usage des soins (Acbus) entre les caisses et les syndicats médicaux, à l’image de celui conclu sur la prescription d’antibiotiques.
EMBALLEMENT DU SYSTÈME
A l’hôpital, M. Mattei a engagé la tarification à l’activité, mais cet instrument d’amélioration de la gestion hospitalière ne peut donner de résultats qu’à moyen terme. Pour le reste, il a renvoyé à plus tard - et à la réforme de 2004 - toute velléité de régulation d’ensemble du système de santé. L’idée des agences régionales de santé (ARS), censées renforcer les liens entre les agences régionales d’hospitalisation (ARH) et les unions régionales des caisses d’assurance-maladie (Urcam) et favoriser la coopération entre l’hôpital et la médecine de ville, est ainsi restée lettre morte.
De même, les pouvoirs publics n’ont guère poussé les gestionnaires des caisses à rationaliser leur organisation territoriale. Or, comme l’a pointé le dernier rapport de la Cour des comptes, à quoi bon garder, dans une même région, une Urcam et une caisse régionale d’assurance-maladie (CRAM) ? Et ce ne sont là que quelques pistes de rationalisation possibles parmi d’autres...
En septembre 2003, inquiet de l’emballement du système, le secrétaire général de la commission des comptes de la Sécurité sociale, François Monier, avait tiré la sonnette d’alarme : "L’importance des déficits et le rythme auquel ils se creusent créent des risques importants : celui d’une dérive financière et d’une perte durable de la maîtrise du système ; celui aussi d’être contraint, si d’autres solutions n’étaient pas rapidement mises en œuvre, à des hausses de prélèvements qui seraient d’autant plus massives qu’elles auraient été différées", écrivait-il dans son rapport.
Or le gouvernement s’apprête à présenter un projet de budget de la Sécurité sociale que ses critiques les plus amènes jugent "bancal", et qui, étant fait de bric et de broc, est mal ficelé. Avec ses 3,1 milliards de mesures supplémentaires, qui ne suffisent pas à contenir le déficit, il n’est pas à la hauteur d’une Sécurité sociale en quasi-faillite.