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L’égalité, source d’inégalités

dimanche 18 avril 2004

Il est satisfaisant que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 6 novembre dernier ne remette pas en cause la mise en oeuvre de cette convention. Si les critères de sélection et d’évaluation des élèves qui n’ont pas à passer le concours devront être précisés, la procédure permettant une admission simplifiée pour les élèves de ZEP n’est pas abandonnée : l’expérience pourra aller à son terme et devrait se poursuivre l’an prochain. Et c’est heureux !

En effet, en s’accrochant au dogme de l’égalité républicaine, les détracteurs de l’initiative de Richard Descoings (le directeur de Sciences-Po, ndlr) pointent du doigt les difficultés de la démocratie à concilier égalité de droit et égalité de fait. C’est une évidence que de rappeler que les étudiants issus des classes supérieures sont en surreprésentation à Sciences-Po. Jusqu’à quand devrions-nous l’accepter sans rien essayer ? Comment peut-on à la fois prétendre défendre l’égalité des chances et accepter ce constat ? Sous prétexte d’égalité, la situation actuelle, particulièrement déplorable, confirme les vieilles analyses sur l’existence d’une « reproduction sociale ». L’innovation de l’IEP de Paris a le mérite très clair d’indiquer que la paralysie n’est plus possible, sauf à accepter un véritable état de « ségrégation scolaire ».

Les élèves de banlieue qui réussissent à accéder à une classe préparatoire aux grandes écoles empruntant donc la voie classique sont « bernés » par le système scolaire qui est pourtant censé leur venir en aide : reconnus dans leur lycée d’origine comme étant ceux qui sont indiscutablement les plus aptes à suivre cette formation supérieure, ils se rendent compte très rapidement que les « autres » ont une avance considérable, non seulement en raison de leur atmosphère familiale plus favorable, mais parce qu’ils avaient bénéficié d’un enseignement plus approfondi et plus exigeant dans leur établissement ! Expliquer qu’il n’y a rien à changer, c’est considérer que le mal est imaginaire : en sommes-nous là ? Faut-il encore démontrer que certains ont plus de chance (et non pas de mérite) de réussir ? Le bilan 2002 de la convention éducation prioritaire révèle que les étudiants de Sciences-Po acceptés suivant ce principe venaient à 85 % des CSP « ouvriers », « employés » et « professions intermédiaires », contre à peine 11 % de ceux qui ont intégré l’IEP par les autres procédures d’admission. N’est-ce pas aller dans le bon sens ? Il ne s’agit donc pas de remettre en cause le modèle républicain mais de le renforcer en essayant de favoriser une égalité... réelle !

Bien sûr, la « discrimination positive » car, même s’il n’existe pas de quotas réservés, c’est bien de cela dont on parle, puisqu’il y a traitement différentiel en fonction de la situation de départ n’est pas sans écueils pour toutes les parties en présence. L’école elle-même peut entendre que son niveau a baissé et voir sa réputation mise à mal par une telle résolution. Les étudiants reçus grâce au concours ont le droit d’y voir une injustice. La stigmatisation des premiers élèves admis autrement s’est d’ailleurs d’une certaine manière développée : on les a tout de suite appelés les « ZEP » ! Enfin, ces derniers auront toujours un (très petit) doute : seraient-ils parvenus à accéder à l’IEP comme tout le monde ? Une certitude : les résultats des deux premières générations ayant bénéficié de cette entrée « parallèle » sont en tout point comparables à ceux de leurs camarades. Sans aucun doute, ont-ils dû travailler davantage... Mais ces inconvénients ne suffisent pas à justifier que l’on demeure dans une situation où l’égalité des chances, pilier extrêmement important de la démocratie, n’existe pas !

Au fond, la controverse suscitée par cette « affaire » Sciences-Po nous renvoie à un débat fondamental se menant autour de notre démocratie : l’égalité peut être source d’inégalités !

C’est la raison pour laquelle il serait temps de multiplier les mesures allant dans le sens de l’équité et, ainsi, de tenir compte des avantages et des handicaps des citoyens au départ au moment de leur appliquer une réforme. On doit cesser de considérer les individus d’une manière uniforme : il faut en faire davantage pour les plus défavorisés sous peine de renforcer les écarts d’origine. Une inégalité permettant de compenser d’autres inégalités n’est-elle pas juste ? N’est-elle pas républicaine ? Avons-nous oublié les conclusions de Rawls ? Il faut arrêter d’avoir peur de la « discrimination positive », car, finalement, il ne réside derrière cette notion qu’une méthode cherchant à aboutir à ce que nous souhaitons tous : l’égalité !

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