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Comment aider l’Afrique : aide ou ouverture des marchés ?
vendredi 18 avril 2008
Pourtant l’aide internationale, surtout à l’Afrique, est de nouveau à l’ordre du jour. Les chefs d’État du G8 viennent d’adopter un plan d’action qui promet une assistance accrue, dont 6 milliards $ pour l’Afrique, en échange de l’adoption par les pays bénéficiaires de politiques économiques et gouvernementales saines. Les dernières promesses du G8 ne sont qu’une phase supplémentaire de la grande mission que s’assignent les organismes internationaux, depuis le FMI qui a totalement modifié sa mission initiale pour s’insérer dans l’industrie de la pauvreté, en passant par la Conférence de l’ONU de mars dernier à Monterrey, jusqu’à la Banque Mondiale (l’Association internationale de Développement) qui réclame 100 milliards de plus à ajouter aux 200 qu’elle distribue déjà.
Ce qui frappe au premier coup d’oeil dans ces mesures, c’est que cette nouvelle générosité des riches ne s’accompagne d’aucune mention de la suppression du protectionnisme agricole, obstacle premier au progrès des pays pauvres, ni de leur engagement dans la voie de l’expansion du commerce international mondial. On sait pourtant que la combinaison honteuse de tarifs prohibitifs et de subventions non moins scandaleuses en faveur de l’agriculture représente plus de 25% de la valeur de la production aux É.-U., 40% en Europe et 63% au Japon. Le Canada fait un peu meilleure figure avec ses 18%.
À Monterrey, le Président des États-Unis engageait son pays à se montrer plus généreux, à condition que les bénéficiaires satisfassent à une mesure objective et impartiale d’efficacité dans l’usage de cette prodigalité, dont l’abaissement de la pauvreté. Ce qui ne l’a pas retenu de signer le Farm Bill, quelques semaines plus tard, qui offrait près de 200 milliards de plus par année aux agriculteurs américains et qui par la même occasion fermait davantage la porte aux importations agricoles d’Afrique.
L’échec des programmes passés
On notera que toutes ces initiatives ne sont que l’admission de la faillite totale des 50 dernières années de programmes d’aide. L’appareillage politico-bureaucratique en place confirme l’échec des programmes passés, mais ne nous invite pas moins à lui renouveler notre confiance, étant entendu que, la prochaine fois, grâce aux nouvelles stratégies et aux nouvelles injections de fonds publics, ça va marcher. (Dans notre jugement défavorable sur l’aide, nous excluons l’aide humanitaire occasionnelle qui n’a de bienfait que de courte durée et qui ne saurait déterminer la croissance à long terme et mettre fin à la dépendance.)
Le fait est que depuis 50 ans, on observe une relation négative entre la valeur de l’aide internationale reçue par un pays et son taux de croissance. Dans les années 90, de tous les pays qui ont reçu de l’aide, on en compte autant qui ont connu une croissance négative que positive. De 1970 à 1999, 17 pays du sub-Sahara ont reçu plus de 100 milliards d’assistance de la Banque Mondiale. Et pourtant leur PNB/habitant y a diminué. En 50 ans, les Américains ont donné 500 milliards $ aux pays pauvres, sans qu’on observe de progrès du niveau de vie ; nombre de ces pays ont connu une baisse de leur revenu par habitant. De 1987 à 1998, l’incidence de la pauvreté s’est accrue en Afrique. La moitié de la population y gagne moins d’un dollar par jour ; le taux de mortalité infantile s’inscrit à un sur sept. En contrepartie, de 1980 à 1990, la Chine et l’Inde n’ont bénéficié que d’une infime portion d’aide internationale, 4% et 7% de leur PIB respectif. Ça ne les a pas empêché de jouir d’un taux de croissance fulgurant de leur économie.
Il n’y a donc guère de progrès à attendre de l’aide internationale. Contrairement à l’enseignement d’une certaine doctrine économique inspirée du keynésianisme et qui avait cours jusqu’à ce que le Lauréat du Prix Friedman, Peter Bauer (décédé il y a quelques semaines), la dénonce, l’accumulation de capital et l’implantation factice d’une infrastructure physique et sociale dans les pays pauvres ne garantissent pas la croissance à long terme.
Les pays pauvres ne sont pas pauvres par la faute de la richesse des riches. La pauvreté et la faim n’ont rien à voir avec la redistribution du revenu mondial. Elles découlent l’une et l’autre de l’ineptie et de la malice des gouvernements en place. Par la faute des gouvernements locaux, l’aide suscite la dépendance généralisée ; elle aboutit en bonne partie dans les comptes suisses des despotes locaux et camoufle le protectionnisme des pays donateurs qui imposent souvent l’affectation de cette aide à l’achat par les bénéficiaires de biens et services en provenance des pays donateur. C’est en fait une sorte de subventions aux compagnies qui vendront des biens et services dans les pays.
Liberté de commerce
Le pessimisme ne doit pas pour autant nous paralyser. Il existe une recette infaillible pour susciter le progrès du revenu des pays pauvres et qui ne coûterait rien : l’octroi aux gens de ces pays d’un cadre légal et institutionnel qui confère la liberté de commercer et le respect des droits de propriété. Pour les pays riches, la contrepartie consisterait à ouvrir leur économie aux importations des pays pauvres, surtout en matière de biens agricoles, de textile et de vêtement.
La source contemporaine reconnue sur le rôle du libre-échange et en général de la liberté dans la prospérité des pays est l’Annual Index of Economic Freedom, publié chaque année par la Heritage Foundation et le Wall Street Journal (voir LES ÉCONOMIES LIBRES SONT LES PLUS PROSPÈRES, le QL, no 93). L’examen comparatif d’une centaine de pays sur une période de 20 ans établit que les économies fermement vouées à la protection des libertés économiques et commerciales s’enrichissent et jouissent d’un taux de croissance supérieur. Aucun des pays cotés libres sur une longue période n’a manqué d’atteindre un haut niveau de vie et les 15 pays marqués d’un déclin de la liberté ont tous connu une chute de la richesse par habitant. Les pays où le marché est le plus libre et les droits individuels les mieux protégés sont aussi ceux qui atteignent à la plus grande richesse.
S’il est vrai qu’en moyenne les pays pauvres ne progressent pas plus vite que les économies déjà industrialisées et riches, il est aussi vrai que les sous-groupes de pays retardataires qui adoptent les aménagements politiques et institutionnels favorables gagnent progressivement du terrain sur les riches. C’est le cas récemment de l’Afrique du Sud, de l’Île Maurice (taux de croissance de 5%) et du Bostwana (revenu multiplié par 10 en 35 ans).
En les exposant à la concurrence, la mondialisation menace les élites locales (crony capitalism) qui écrasent les paysans via les offices agricoles de mise en marché. Les investisseurs étrangers imposent transparence et ouverture de la part des gouvernements nationaux. Quatre-vingt pour cent des investissements directs des Américains à l’étranger vont aux pays qui se classent aux premiers rangs en matière de protection des droits de propriété (à l’Index of Economic Freedom). Pour un continent (l’Afrique) qui n’attire que 1% des investissements directs étrangers, la leçon est nette. La mondialisation suscite aussi l’avènement d’une classe moyenne, mieux formée, et garante d’institutions démocratiques plus stables.
Corollaires pour les pays riches
Le corollaires plus spécifiques à dégager de cette vision est que l’abolition du protectionnisme agricole et textile des pays riches s’impose. Selon la Banque Mondiale, la valeur des exportations des pays pauvres s’élève déjà à plus de 6 fois la valeur de l’aide internationale au développement, même si l’Afrique ne compte que pour 2% du commerce mondial ; l’ouverture au commerce agricole ferait décroître de 2,8 milliards à 1,8 en 2015 le nombre de personnes qui vivent avec moins de 2$ par jour. L’initiative ferait grimper de 30 milliards le PIB des pays pauvres.
Reconnaissons que le Canada amorçait à la fin de juin une timide initiative dans ce sens en s’engageant à abolir ses droits d’importation et ses quotas sur les biens provenant de 48 pays pauvres (pour une valeur de 300 millions $). La bataille n’est pas définitivement gagnée ; la Fédération canadienne du vêtement a immédiatement exprimé son opposition inconditionnelle à cette libéralisation.
Mieux encore que l’abaissement préférentiel du protectionnisme envers les seuls pays pauvres, la consigne à donner aux pays industrialisés serait de favoriser la libéralisation supplémentaire et généralisée du commerce mondial. La simple libéralisation préférentielle, même en faveur des pays pauvres, comporte un danger : celui de favoriser la diversion coûteuse du commerce en même temps que son expansion (voir J. Bahgwati, Free Trade Today, Princeton University Press, 2001). Le beau côté de cette initiative serait qu’elle susciterait une hausse remarquable du niveau de vie non seulement des pays pauvres, mais de tous les consommateurs du monde industrialisé.