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Un palmarès de la richesse met la France en queue de peloton

lundi 14 janvier 2002

Douzième sur quinze ! Dans l’avion qui le transporte vers Stockholm, pour un sommet européen, en mars 2001, Jacques Chirac n’en croit pas ses yeux : dans l’Union, seuls les Grecs, les Portugais et les Espagnols produisent moins de richesse par habitant que les Français. C’est ce qu’indiquent les statistiques de l’agence européenne Eurostat, qui a classé les pays en fonction du produit intérieur brut (PIB) par habitant, ajusté en fonction des standards de pouvoir d’achat. Médusé, le président français demande à Bercy de faire une étude sur le sujet, s’en entretient avec le commissaire européen Michel Barnier (RPR), qui a pris conscience du phénomène fin 2000, en travaillant sur les aides aux régions.

M. Chirac évoque bien l’affaire le 14 juillet, mais il faut attendre le début de la campagne électorale et l’arrivée de l’euro, qui facilite les comparaisons, pour que les statistiques européennes fassent leur entrée en force dans le discours politique français. "En termes de PIB par habitant, (...) nous avons reculé au cours des dernières années. Il existe donc une perception collective inexacte de la place de la France", déclare, début janvier, Valéry Giscard d’Estaing.

L’association patronale de Paul Dubrule, Entreprise et progrès, veut lancer, mercredi 16 janvier, un "cri d’alarme" sur le recul de la France en termes de PIB par habitant et demande "une réforme de l’Etat", alors que la France n’est dépassée que par la Belgique et la Scandinavie pour le taux de ses prélèvements obligatoires. "On vit dans un discours un peu irréel et euphorique et la réalité ne correspond pas à cela. L’euro va favoriser la perception politique des comparaisons", affirme au Monde Michel Barnier, qui déplore que "ce ne soit pas une habitude française de regarder ce qui se passe ailleurs". Mais, précise-t-il, "je ne souhaite pas qu’on utilise ces chiffres de manière partisane. Ils sont à mettre au débit de plusieurs gouvernements".

En dessous de la moyenne

Le déclin relatif remonte aux années 1990. Selon Eurostat, en 1992, la France et l’Allemagne réunifiée affichent toutes deux un PIB par habitant de 108,8, pour une moyenne de 100 en Europe : elles ne sont alors devancées que par le Luxembourg et la Belgique. En 2001, l’Allemagne se retrouve au septième rang (104,4) en Europe, tandis que la France est à la douzième place, en dessous de la moyenne européenne (99,6). Le Royaume-Uni, resté au dixième rang selon les chiffres d’Eurostat, est toutefois passé de 97,7 à 102. L’Irlande, tête de pont des investissements américains en Europe grâce à sa fiscalité attractive, s’est envolée de la douzième (80) à la troisième place (121,2).

Matignon renvoyait, dimanche 13 janvier, sur Bercy pour avoir des explications. "On pourrait se lancer dans une bataille de chiffres – l’OCDE classe mieux la France – mais le sujet n’est pas celui-là", reconnaît-on à Bercy, où l’on estime que "les gens qui s’inquiètent du déclin ont raison". Sauf que celui-ci a eu lieu avant l’arrivée de Lionel Jospin au pouvoir, la France ayant atteint dès 1997, sous le gouvernement d’Alain Juppé, la douzième place du classement. Cette mauvaise position peut paraître paradoxale : "La France a un PIB par personne occupée parmi les plus élevés du monde industrialisé", explique-t-on à Bercy. Sauf qu’en France, comme dans les pays latins, peu de personnes travaillent. Selon Eurostat, en 2000, 61,7 % seulement de la population de 15 à 64 ans avaient un emploi, ce qui situe la France au onzième rang, derrière le Royaume-Uni (71,2 %) et l’Allemagne (65,3). "Le peu (de Français) qui travaillent bossent pour les autres, ce qui fait une moyenne par habitant faible", résume crûment un fonctionnaire de la Commission. A l’opposé, le Royaume-Uni, avec une main-d’œuvre peu productive mais un taux d’activité élevé, parvient à être mieux classé.

Jusqu’en 1997, le PIB par habitant a été affecté par la baisse du taux d’emploi – c’est l’époque de la course aux licenciements pour faire des gains de productivité, qui entraîne la hausse du chômage des jeunes et le recours aux préretraites – et la faible croissance.

Depuis le retournement conjoncturel et le changement de gouvernement, la France stagne au classement. Selon Eurostat, le PIB par habitant devrait passer d’un taux de 99,1 en 1997 à 99,6 % en 2001. Si le résultat n’est pas meilleur, en dépit du retour de la croissance et des 1,5 million d’emplois créés, selon Bercy, dans les entreprises depuis 1997, c’est que les partenaires de la France ont fait plutôt mieux. Selon les prévisions d’Eurostat, la France devrait en 2001 être encore au onzième rang européen du chômage. Et il aura fallu attendre cette même année pour qu’elle remonte au sixième rang de la croissance en Europe : elle est aujourd’hui devant l’Allemagne et l’Italie, au coude-à-coude avec la Grande-Bretagne.

La question de la remontée britannique depuis dix ans reste taboue, alors que son PIB a dépassé celui de la France en valeur absolue lors du passage à l’euro, qui s’est accompagné d’une remontée de la livre. Un haut fonctionnaire insiste sur la difficulté qu’il y a à comparer le PIB par habitant avec un pays dont la devise est jugée durablement surévaluée. Pourtant, affirme en privé un très grand commis de l’Etat, "les Britanniques encaissent les dividendes de la politique qu’ils ont menée avec détermination". Michel Barnier, lui, estime que "la remontée du Royaume-Uni s’explique par un encouragement systématique à l’entreprise, à l’innovation, avec moins de règles et moins de charges". Mais, affirme un proche de l’Elysée, "on ne se positionnera jamais vis-à-vis des Anglais".


LE MONDE | 14.01.02 | 13h35

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