Accueil > Économie > Économie générale > Gouvernement d’entreprise : ne légiférez pas !
Gouvernement d’entreprise : ne légiférez pas !
A propos de la récente présentation du rapport Bouton
dimanche 18 avril 2004
Ce rapport, commandé par le Medef et l’Afep, entend restaurer la confiance des acteurs économiques et s’attache à mesurer l’efficacité des recommandations des précédents rapports Viénot de 1995 et 1999. En réalité, il se contente de proposer des attitudes peu innovantes - voire infondées - qu’il convient de dénoncer.
Le postulat de réflexion du groupe de travail est, avant tout, regrettable. Les deux premières phrases du rapport, censées donner le ton et la philosophie du document, établissent un lien logique entre le constat de la supériorité du système capitaliste comme mode d’organisation économique et la nécessité de créer des mécanismes de régulation efficaces. Ce corollaire est pourtant erroné.
Le capitalisme est, en effet, fondé sur un mécanisme d’autorégulation permanente. La propriété privée et la libre circulation des biens, des connaissances et des personnes en sont les piliers. Si le droit doit avoir une ambition dans ce domaine, ce ne peut donc, à aucun moment, être celle de la régulation. Car toute tentative de régulation se solde irrémédiablement par une réglementation étatique contraignante. Or la contrainte publique est l’ennemi de la liberté. La contrainte publique est un grain de sable exogène qui vicie le système d’auto-orchestration capitaliste.
L’histoire économique enseigne d’ailleurs que l’intervention étatique n’a jamais empêché les échecs. Au contraire, elle est davantage la mère nourricière d’enfants terribles (et terriblement chers pour le contribuable) tels que le Crédit lyonnais ou, plus récemment, France Télécom. Les déficits publics actuels en disent d’ailleurs assez long sur la capacité des hommes de l’Etat à bien gérer.
La réglementation, sous couvert de noble régulation, est donc à proscrire tant elle entretient l’économie de notre pays dans un modèle aux vieilles consonances dirigistes. Il faut aussi se garder de renforcer l’autorité d’organismes comme la COB qui sont devenus d’énormes machines productrices de paperasses et d’invectives tatillonnes et stériles. Leur emprise freine la circulation des richesses et la réalisation rapide des opérations économiques. Elles sont, de plus, faillibles et finissent, dans ce cas, par induire en erreur les actionnaires.
L’autorégulation aurait été un bien meilleur postulat pour ce rapport qui aurait alors pu proposer des réformes originales et créatives. Ses rédacteurs auraient, en effet, été mieux inspirés de commencer par faire table rase des réflexes anciens pour tenter de coller à la réalité de l’économie capitaliste. Malheureusement, ils n’ont fait que pousser un peu plus loin des propositions anciennes sans analyser la légitimité de celles-ci.
On se félicitera que ce rapport n’ait pas appelé à la rédaction d’un nouveau projet de loi. Il n’utilise que la forme des recommandations. Ses rédacteurs ont-ils compris que la véritable régulation se fait plus dans les entreprises que dans les couloirs des ministères ? Le souvenir, encore frais, de la mauvaise loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) a dû freiner toute volonté législative. On pouvait tout de même craindre qu’un parlementaire en mal de reconnaissance médiatique n’hésiterait pas à s’inspirer de ce rapport pour rédiger une proposition de loi. Et c’est Francis Mer lui-même qui vient d’annoncer qu’il entendait rédiger un projet de loi sur le gouvernement d’entreprise : il faut désamorcer cette tentation au plus vite !
Les recommandations du rapport Bouton en appellent, dans un premier temps, à plus de transparence. Certes. Mais ce culte de la transparence imposée n’a pas de sens. On constate, en effet, aujourd’hui que la plupart des sociétés cotées se sont lancées spontanément dans la conquête de ce nouvel eldorado. Et ce n’est pas la conséquence d’une injonction publique ou d’une collection de savants rapports. C’est parce que les dirigeants ont intérêt à satisfaire les propriétaires de leurs entreprises. A la suite des fameux « ratés » d’Enron ou de Vivendi, la préoccupation des actionnaires a bien été de clarifier les situations comptables et d’éviter la reproduction des erreurs passées.
Ce mécanisme intuitif de réajustement est le produit de la mécanique d’autorégulation du capitalisme. C’est cette loi naturelle, fondée sur la matrice « propriété-responsabilité » qui, depuis toujours, a permis la rectification des erreurs et le développement de l’économie et du bien-être. Au lieu d’ordonner un comportement, et de risquer de nuire aux mécanismes d’autorégulation en imposant des procédures coercitives de contrôle, il est préférable de laisser les actionnaires, en qualité de propriétaires, adopter librement les mesures les plus efficaces et les plus adaptées à leur entreprise (comme la nomination, de plus en plus fréquente, d’un déontologue au sein de l’entreprise). On peut leur faire confiance, car c’est bien plus leur intérêt que celui du rédacteur d’un rapport ou d’un texte de loi.
Autre proposition condamnable : le renforcement de la notion d’administrateur indépendant. L’idée du rapport Bouton est de donner à ces administrateurs, détachés de tout lien avec l’entreprise, une part significative au sein du conseil d’administration. Cette idée est une illusion. Avant la chute de Messier, treize sur les dix-neuf administrateurs de Vivendi étaient indépendants... Il faut, au contraire, responsabiliser davantage les membres des conseils d’administration. Or nul n’est plus responsable d’une chose que son propriétaire. Nul ne sera plus incité à gérer au mieux un bien que celui qui a sur lui un titre de propriété. C’est une règle fondamentale de l’économie capitaliste.
Pourtant, on nous propose de donner aux administrateurs indépendants un poids plus conséquent. Mais c’est oublier que ces administrateurs dits indépendants sont, en réalité, dépendants de la personne qui les nomme. C’est aussi - personne ne le dit - une création prometteuse pour l’aristocratie des grands dirigeants français, qui ont fait une partie de leur fortune en jouant d’entente avec leurs frères de promotion des grands corps de l’Etat. Ces postes « indépendants » sont une aubaine pour ceux qui entendent se retirer de la vie des affaires avec les honneurs, une sorte de Sénat pour grands patrons à la préretraite. N’est-il pas tentant de jouer ainsi les sages « indépendants » tout en touchant les jetons de présence en juste rémunération de leur clairvoyance ?
Les intentions du rapport Bouton ne sont pas mauvaises mais elles s’inscrivent, une fois de plus, dans une logique décalée de la réalité du fonctionnement capitaliste. Le capitalisme ne peut être révisé comme on le ferait d’une Constitution ! Surtout, ne légiférez pas ! Les vrais capitalistes, ceux qui sont propriétaires de leur entreprise, petite, moyenne ou grande, et qui se battent quotidiennement pour la faire progresser, malgré le flot incessant des contraintes et le poids insupportable de la fiscalité, aspirent à autre chose. Ils ont soif de flexibilité et de souplesse. Ils ont soif de confiance et de respect. Ils ont tout simplement soif de liberté.