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Éloge du « droit-de-l’hommisme »

mardi 18 avril 2006

A droite, des députés surenchérissent : un Droit de l’hommiste serait une sorte d’innocent, voire un pervers qui placerait le droit abstrait au dessus de la sécurité concrète de nos concitoyens. Un magistrat qui libère des migrants interpellés sans respect des procédures est, lui aussi, un Droit de l’hommiste. Le Droit de l’hommiste serait nécessairement un bourgeois, tendance gauche caviar, prompt à dispenser de la morale républicaine, mais étranger à la dure condition du peuple des « cités ».

Il est possible que pour une certaine gauche idéologiquement désoeuvrée l’invocation du droit, et plus particulièrement des Droits de l’homme, soit devenu un mantra tenant lieu de pensée. Mais abandonner les Droits de l’homme à la gauche pour des motifs aussi circonstanciels, conduirait la droite à un suicide philosophique d’abord, politique ensuite.

Souvenons-nous : la gauche depuis un siècle n’a eu de cesse d’incarner le droit, la justice, le progrès. La culture, et même l’intelligence, ne pouvaient se situer qu’à gauche.

La droite avait fini par l’accepter ; elle gouvernait tandis que la gauche moralisait. Ce qui conduisit la droite honteuse à faire une politique de gauche. Un partage des tâches symboliquement rompu par Valery Giscard d’Estaing lorsqu’en 1974 il dénia à François Mitterrand le monopole du coeur ; cette simple apostrophe lui apporta la victoire.

Vint François Mitterrand : lui démontra pendant quatorze ans comment la gauche pouvait incarner l’immoralité ; le Bien et le Vrai en furent équitablement redistribués.

Ceux qui, avec légèreté, accusent leurs adversaires de Droit de l’hommisme, semblent ignorer ce cheminement historique ; en renvoyant les Droits de l’homme dans le camp de la gauche, ils lui restituent maladroitement une vertu qu’elle avait égarée. On ne saurait donc depuis la droite rendre plus grand service à la gauche que de l’accuser de Droit de l’hommisme.

On m’objectera que le Droit de l’hommisme ne se confond pas avec les Droits de l’homme, et qu’il en serait plutôt la caricature. Mais cette nuance entre les Droits et leur abus est trop subtile pour être perçu par le grand nombre. On doutera aussi que cette nuance existe : dans l’esprit des procureurs du Droit de l’hommisme, il ne fait pas de doute que le Droit en soi passe après les droits de leurs clientèles. Ou, pour paraphraser Goethe, qu’il « vaudrait mieux commettre une injustice que tolérer le désordre ».

Ce dilemme est-il réel ? N’aurions-nous le choix qu’entre l’injustice et le désordre, entre les caïds et les bavures, entre les Droits de l’homme et le Droit de l’hommisme ? Il nous semble plutôt que le désordre s’instaure quand la loi est médiocre, quand elle ne repose pas sur une doctrine commune à la police et aux juges, quand elle ne prend pas en compte les causes socio-économiques de ce désordre. L’accusation absurde de Droit de l’hommisme, comme toujours l’injure en politique, révèle le désarroi de celui qui accuse ; c’est parce que quelques articles de loi ne peuvent à eux seuls rétablir l’ordre que leurs auteurs basculent dans l’invective. Quel cadeau à la gauche !

Cet abandon par la droite, en rase-banlieue, du meilleur de l’héritage français vaut aussi pour notre politique extérieure. Depuis fort longtemps, notre autorité dans le monde s’impose moins par nos armes qu’elle ne subsiste par nos valeurs. Mais que reste-t-il de celles-ci ? Si nous sommes encore perçus comme la nation des Droits de l’homme, c’est plus en fonction de l’idée que l’étranger se fait de la France qu’en raison de son action réelle ; nous rayonnons tel un astre mort.

Là encore, nous devons en grande partie à François Mitterrand d’avoir basculé dans le réalisme le plus trivial : souvenons-nous comment, en 1989, il se précipita au secours du pouvoir soviétique contre la réunification de l’Europe que symbolisait la destruction spontanée du mur de Berlin. Cette préférence pour la Realpolitik, la droite n’y a pas renoncé : en quel lieu soutient-elle les Droits de l’homme, c’est-à-dire les valeurs françaises, contre la tyrannie ? Au Tibet, en Tchétchénie, en Irak, en Iran, en Algérie ? Nulle part. La droite au pouvoir se comporte trop souvent comme si dans le vaste monde, aussi, elle préférait l’injustice au désordre.

Au nom du principe de réalité qui exige de négocier avec les pouvoirs existants ? Certes, mais à quoi bon une diplomatie française qui n’accompagnerait pas les peuples vers la liberté politique et le développement économique ?

Lorsque Jean-Jacques Aillagon devint ministre de la Culture, en juin dernier, il réunit chez lui, rue de Valois, des artistes et des créateurs qui n’y avaient jamais été conviés du temps de ses prédécesseurs socialistes ; il loua la diversité des expressions culturelles en rappelant que, dorénavant, la gauche n’aurait plus le monopole des commandes et du goût.

Eh bien, de même que la culture ne doit pas relever de l’esprit de parti, ce serait une folie que d’abandonner la défense et l’illustration de Droits de l’homme, au dedans comme au-dehors, à une gauche prétendument morale contre une droite qui ne saurait être qu’efficace. Si la droite politique, celle qui gouverne, sombrait dans le réalisme pur, que les penseurs qui se reconnaissent dans ce camp ne se laissent pas caporaliser ! Pour des clercs libéraux et progressistes, la seule posture qui vaille est évidemment celle du soutien critique.

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