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Les Quinze ouvrent le marché des fonds de pension privés
dimanche 18 avril 2004
Pendant que la France était paralysée par la grève contre la réforme des retraites, les ministres des finances des Quinze adoptaient définitivement, mardi 13 mai à Bruxelles, une loi européenne autorisant les fonds de pension privés à opérer dans toute l’Europe. Il n’y a pas eu de vraie discussion, gouvernements et Parlement européen s’étant entendus sur le texte final courant mars.
Le commissaire chargé du marché intérieur, Frits Bolkestein, a salué "une avancée majeure". Concrètement, les entreprises de fonds de pension privés vont devoir respecter un minimum de règles et recevoir un "passeport européen", qui leur permettra de vendre leurs produits aux entreprises - mais pas aux particuliers - dans toute l’Union. Le marché est considérable, puisque les institutions concernées - fonds de pensions et caisses de retraites privées - couvrent le quart de la population active européenne et gèrent quelque 2 500 milliards d’euros, soit 30 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Union.
"Le Royaume-Uni et les Pays-Bas gagnent un accès au marché continental qui leur était fermé", commente une source française,"mais en contrepartie, les règles prudentielles ont été renforcées au profit des épargnants". Les entreprises devraient y gagner. "Une multinationale présente dans les Quinze pays de l’Union pourra avoir recours à un seul fonds de pension et pas quinze, comme c’est le cas actuellement. Une compagnie comme British Petroleum économiserait 40 millions d’euros par an", a estimé M. Bolkestein.
Ce libéral néerlandais en a profité pour rappeler à Bruxelles ses convictions : "les fonds de pension sont un des moyens qui permettra de désamorcer en partie la bombe démographique en Europe". "Les retraites par répartition vont représenter un poids intolérable sur les finances publiques dans les pays où elles sont la règle", tandis que "l’expérience montre qu’à long terme, le coût des retraites basé sur les fonds de pension est beaucoup plus bas que celui des retraites par répartition", a-t-il déclaré, précisant que "des fonds de pension irlandais pourront aller chercher des clients en France".
Côté français, où le sujet est tabou, on rétorque que l’impact de la directive sera mineur. "Les entreprises françaises peuvent souscrire des fonds de pension étrangers pour leurs salariés si elles le veulent, mais cela ressemblera à de l’épargne d’entreprise. Elles ne sont nullement dispensées de financer la retraite par répartition pour tous".
Dans ce débat, Commission et Etats membres veillent à rappeler que les retraites sont du ressort exclusif des Etats membres, chacun étant libre de choisir entre répartition et capitalisation. En réalité, le sujet revient sans cesse à Bruxelles, soit au nom de la défense de la liberté de prestation de services, comme doit le permettre la loi européenne sur les fonds de pension adoptée mardi, soit parce que les Quinze ont tous à faire face aux mêmes défis. Avec l’allongement de l’espérance de vie et la chute de la natalité dans presque tous les pays - sauf la France, l’Irlande et le Royaume-Uni -, il n’y aura en 2050 que deux personnes en âge de travailler pour une personne de plus de 65 ans, contre quatre aujourd’hui. C’est pourquoi à Barcelone en mars 2002, les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé de repousser de cinq ans l’âge réel de départ réel en retraite, qui est de 59 ans en moyenne en Europe. L’initiative, prise presque en catimini, avait suscité de vives critiques en France.
A plus court terme, les Européens craignent que le coût des retraites ne menace l’euro. Les ministres des finances devisent pour savoir si les déficits de tel pays ont dépassé d’un dixième de points la limite des 3 % du produit intérieur brut (PIB) fixée par le pacte de stabilité, mais ils savent que le coût des retraites à venir, qui n’est comptabilisé nulle part, représente une menace sur les finances publiques beaucoup plus forte. "Il y a un lien direct entre la bonne santé des régimes de pension et celle de l’euro", affirme la Commission. Le poids des dépenses publiques consacrées aux pensions, qui représentaient 10,4 % du PIB en 2000, vont progresser d’un tiers d’ici à 2040 pour atteindre 13,6 % du PIB. Certes, cette part doit être "relativisée",selon la Commission, puisque les plus de 65 ans représentent aujourd’hui environ 16 % de la population totale et environ 28 % en 2040, mais elle risque de faire s’envoler la dette des Etats.
La situation est particulièrement alarmante pour les pays à démographie faible et dont le système repose essentiellement sur la répartition, comme la Grèce, où le poids des retraites doublerait d’ici à 2050 pour atteindre le quart du PIB. En revanche, la Grande-Bretagne, qui a choisi, tout comme l’Irlande, la capitalisation privée, a longtemps faite figure de modèle dans les couloirs de Bruxelles : le poids des retraites publiques est stable - 5 % du PIB par an environ. Toutefois, avec la chute des marchés financiers, le discours "tout fonds de pensions" qui prévalait à Bruxelles il y a deux ans a perdu de sa force.