Accueil > International > Affaires étrangères > L’amour de la Liberté contre le fanatisme
L’amour de la Liberté contre le fanatisme
dimanche 16 septembre 2001
Il y a peu de temps encore, j’étais aux pieds des tours jumelles, assis sur un banc, le visage tourné vers le soleil. De mon banc, les sommets des tours me semblaient à portée de main. J’aurai cru pouvoir les toucher du bout des doigts. Quand je les ai vu s’effondrer en direct sur l’écran de mon téléviseur, j’ai ressenti un tressaillement d’effroi, aussitôt commué en horreur. Un étouffant sentiment de la nature à la fois tragique et absurde de la situation m’a aussitôt saisi. J’étais projeté en quelques secondes d’un monde tiède et repus à un univers d’incertitudes. Qui avait perpétré cette horreur et pourquoi ? Pourquoi cette violence, pourquoi cette barbarie sans nom ?
D’autres attentats ont déjà meurtri les démocraties. De tous, c’est celui là le pire par son ampleur et sa portée symbolique. Il frappe de toute sa cruauté au cœur de la Liberté, là où la douleur de ses partisans est la plus intense. New York n’est pas une ville comme les autres. Elle est le symbole de ces millions d’immigrants venus chercher la terre promise, de ce rêve américain de justice et de liberté, d’une nouvelle frontière qu’il faut toujours dépasser. New York est la ville des « Liberty Ships » partis vers l’Europe en 1944 pour vaincre l’oppression nazie. Alors quand la caméra a saisi Manhattan recouverte de fumée, plongée dans l’apocalypse de l’instant, avec au premier plan la statue de la Liberté inflexible, je suis certain que nombreux sont ceux dans le monde entier qui n’ont pu retenir leurs larmes.
Qui a perpétré ce crime ? Aux yeux de l’Histoire, peu importe... On devra trouver les coupables, certes, mais finalement leurs visages ou leurs noms n’ont pas d’importance. Peu importe leur nationalité, leur religion ou leur conviction politique, rien ne justifiera jamais de tels actes. Qu’ils soient chrétiens, juifs, musulmans ou laïques n’est qu’un détail. Ils sont avant tout des fanatiques, prêts à porter la mort et à détruire la Liberté au nom de leurs dogmes. Le fanatisme n’a pas de visage sauf celui d’une violence aveugle par nature. Il est l’ennemi universel de l’émancipation de l’Homme. Il combat par la haine et la terreur, usant de procédés lâches qui ne méritent que le mépris. Non, ce n’est pas Pearl Harbor : ici ce ne sont pas des militaires mais des civils qui sont morts, assassinés par un agresseur anonyme qui peut se terrer partout sur la planète. Ces événements font tragiquement écho à l’attentat mené l’avant-veille contre le commandant Massoud, dernier et unique espoir dans la lutte contre un fanatisme bien identifié, celui des talibans en Afghanistan, que nous avions déjà eu l’occasion de dénoncer dans ces colonnes.
Dans ces circonstances tragiques, il convient de rester digne et de ne céder en rien. Il faut nous jouer de la peur que veulent nous inculquer nos adversaires. Offrons aux bourreaux de la Liberté un visage lisse. Ne leur laissons pas croire qu’ils peuvent nous impressionner par leur sauvagerie. Ces hommes là ne savent pas le prix d’une vie humaine. Ils ne comprennent pas l’idée de la Liberté, son caractère tellement humain, chevillé au creux de nos aspirations les plus profondes. Ils nient l’Homme et n’aspirent qu’à la mort. « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence, est sûr de mériter la mort en vous égorgeant ? » Voltaire (Dictionnaire Philosophique, article « Fanatisme », 1764)
Oui, il faut trouver les coupables et les châtier. Mais l’ultime bataille contre le fanatisme ne se gagnera pas sur les champs de bataille ni dans les bureaux des services spéciaux. Elle se jouera dans les consciences de ces kamikazes, de ces forcenés aveugles, de ces hommes de la déraison. Les défenseurs de la Liberté doivent poursuivre leur combat jusqu’au cœur du fanatisme, ils doivent à leur tour faire tomber ses symboles et marquer les esprits. Leurs armes ne sauraient être la terreur ou la haine, mais la justice et la raison. Je ne connais rien de plus puissant que la plume pour combattre le glaive. Elle sera notre premier arsenal contre ce nouveau péril.
Ces actes de sauvagerie ne doivent pas recouvrir de leur ombre le soleil des peuples et des religions, des cultures et des nations : la Liberté. Aux terroristes sans frontières, enragés du chaos ou de la tyrannie, nous devons présenter un front commun et uni. C’est dans cette union de tous les peuples que nous forgerons demain l’espoir d’un monde sans fanatisme.