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La liberté de penser en danger
dimanche 18 avril 2004
De quoi s’agit-il ? Comme il le fait tous les deux ans, le ministre de l’Education a désigné un président de jury d’agrégation d’économie en respectant un ensemble de règles légales et coutumières : alternance d’un professeur de Paris et d’un professeur de province ; choix à l’ancienneté n’éliminant que ceux qui, ayant privilégié leur activité d’enseignement, n’ont pas une oeuvre scientifique suffisante. Ce président, qui répond amplement et au-delà au seul critère qui vaille, le critère scientifique, n’a pas eu l’heur de plaire à quelques économistes marxistes ou interventionnistes qui lui reprochent d’appartenir à un courant de pensée libérale. Rappelons-leur que, si le ministre avait éliminé pour ce motif Pascal Salin dont c’était le tour, il se serait rendu coupable du délit de l’article 437.2 du Code pénal (discrimination pour raison politique par un dépositaire de l’autorité publique). Le président désigné a, alors, constitué son jury, comme de coutume parmi des personnes avec lesquelles il s’entend bien car c’est préférable quand on doit vivre ensemble, la plupart du temps, pendant plusieurs mois. Là-dessus, le Conseil national des universités, chargé de gérer la carrière des universitaires à l’exception de ce qui concerne le concours, a émis une motion défavorable à ce jury, c’est-à-dire qu’il est clairement sorti de sa compétence.
Le jury procède à sa première élimination au résultat de laquelle il reste, parmi quarante autres candidats, six concurrents que nos détracteurs situent dans le même courant de pensée, par eux honni, que le président du jury, ce qui déclenche une vague de protestation Internet et journalistique. On a bien lu : six libéraux sur quarante. Là les choses se corsent car il faut décrypter la réaction. Si nos protestataires le sont pour la première fois, c’est parce que les jurys de l’agrégation d’économie antérieurs n’ont pas comporté et depuis longtemps de membre appartenant à l’école libérale, ce qui pour tout esprit libre est intolérable. Si six candidats libéraux sur quarante leur paraissent une proportion insupportable, c’est parce que ces jurys précédents intégralement interventionnistes ou marxistes n’ont même pas eu, eux-mêmes, l’honnêteté intellectuelle élémentaire d’agréger des candidats qui ne l’étaient pas, car six sur quarante devraient être la proportion minimale de candidats libéraux retenus par un jury qui ne le serait pas pour rester digne de l’Université d’un pays libre. Quant au jury présent, s’il n’a retenu, au stade où il en est, que six candidats libéraux sur quarante, c’est probablement parce qu’il s’est autocensuré de crainte des piailleries que pourtant il essuie, si bien que, s’il faut lui faire un reproche, c’est celui-là.
Est-il réellement ridicule de vouloir espérer avoir, dans ce pays, une pensée libre en vertu de laquelle on jugerait les individus sur leurs seules qualités intellectuelles sans vulgaires considérations politiciennes, ou devons-nous nous résoudre à vivre en France avec un mur de Berlin tombé partout ailleurs ? Et la question ne concerne pas cette seule épreuve élitiste que sont les agrégations de l’enseignement supérieur mais toutes les épreuves de contrôle de connaissances de toute nature se déroulant partout en France.
A un moment où certains défilent et pétitionnent pour exiger des moyens pour la recherche, ils feraient bien de s’aviser qu’il est de peu d’intérêt d’avoir les moyens de chercher si l’on n’est pas autorisé à penser. Il y a bien matière à mobilisation, mais pas où elle est.