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Lettre ouverte aux pseudo-libéraux
dimanche 18 avril 2004
Sur quoi s’appuie l’argumentation de M. Laurier ? Sur l’idée bien étrange selon laquelle il ne faudrait pas croire le leader de l’extrême-droite française lorsqu’il s’attaque au libéralisme. Qu’il faudrait par contre lui faire aveuglément confiance pour réformer la France. Et sur un autre argument, que l’on pourrait qualifier de "révolutionnaire" : seul le front national serait à même de provoquer l’électrochoc susceptible de ramener la France vers des politiques libérales. Or ces deux idées sont non seulement fausses mais dangereuses, et portent en elles le germe de la mort du libéralisme comme famille de pensée.
Laurier commence par présenter le parti de J.M. Lepen comme un rempart de protection pour les juifs de France contre une classe politique de gouvernement antisémite. Lepen ne serait selon lui, pas plus antisémite que le reste de la classe politique ; et en voulant s’attaquer à l’immigration maghrébine, il aurait pour effet de protéger les juifs de leurs principaux agresseurs actuels. Face à ce genre d’argument, on ne sait par où commencer. Tout d’abord, si la classe politique française fait certainement aujourd’hui preuve de pusillanimité et de poltronnerie à l’égard des inacceptables agressions dont sont victimes les juifs de France, ce n’est pas par antisémitisme mais par ignorance et par lâcheté. De même, l’hostilité envers le gouvernement Sharon ne relève pas d’antisémitisme, mais d’un énième avatar de la politique arabe de la France, initiée par le général de Gaulle (qui certes avait qualifié les juifs de peuple "sûr de lui et dominateur", ce qui comme l’a montré Alain Peyrefitte était dans son esprit un compliment et une marque d’admiration, et pas une critique).
A l’inverse, les calembours antisémistes de J.M. Lepen ont toujours été des appels du pied envers les derniers rogatons de l’antisémitisme intellectuel Français, héritiers de Drumont et de Gringoire. La presse d’extrême-droite (notamment le dessinateur de Présent) ne s’est jamais privée de se livrer à d’ignobles caricatures antisémites dignes des années 30 envers les dirigeants politiques français d’origine juive. Par ailleurs le Front National a toujours soutenu la "politique arabe de la France" : rappelons que si l’extrême-droite française n’aime pas les musulmans et les arabes en France, elle les apprécie infiniment à l’étranger, de préférence d’ailleurs lorsqu’ils sont dirigés par un "homme à poigne" comme Saddam Hussein. Il n’est pas innocent ni surprenant de trouver sur des sites antisémites comme "radio Islam" du fanatique Ahmed Rami des propos de gens issus de l’extrême-droite française. Dans ces conditions, faire confiance à Lepen pour aider les juifs de France relève au mieux de l’aveuglement, au pire de la manipulation. Certes, l’arrivée de Lepen au pouvoir ne remettrait pas en place le statut Vichyssois des juifs. Piètre consolation.
Laurier poursuit en expliquant que "seul Lepen admire Reagan, que les libéraux vénèrent" , tout comme les libéraux vénèrent George Bush pour sa politique étrangère et sa politique fiscale. Que Lepen, comme Bush, s’oppose aux institutions internationales (Européennes pour l’un, onusiennes pour l’autre). Que Lepen veut baisser les impôts et dépenser plus dans les domaines de sécurité et de défense, comme Bush.
Ce passage contient tellement d’erreurs que là encore, on ne sait par où commencer. Tout d’abord, si Lepen a certes tenté à une époque de se présenter comme un Reagan français, il n’a pas été le seul : Jacques Chirac se présentait de même en 1986. Surtout, ce sont les idées politiques qui comptent, pas les assimilations autoproclamées : un observateur même modérément attentif de la vie politique n’a pas manqué de constater que Lepen était contre la première et la seconde guerre du golfe, fervent soutien de Saddam Hussein (par l’intermédiaire notamment de l’association "SOS enfants d’Irak, présidée par Mme Lepen), favorable à Milosevic lors de la guerre du Kosovo. A côté de Lepen, Hubert Védrine est un faucon néo-conservateur. Si l’on en est pas convaincu, il suffit d’aller lire la rageuse prose anti-américaine qui sert de programme au FN en politique étrangère.
Laurier, par ailleurs, s’exprime bien rapidement en considérant que "tous les libéraux" sont pro-Bush, admirateurs de Reagan et hostiles aux institutions internationales. Les libéraux ne constituent pas un bloc politique caporalisé à la pensée uniforme, mais un courant de pensée dans lequel les opinions sont diverses. De nombreux libéraux sont mal à l’aise ou hostiles face aux politiques de Bush ; considèrent que l’interventionnisme en politique étrangère est dangereux et nuisible ; que baisser les impôts en augmentant les dépenses publiques, ce n’est pas du libéralisme, mais du clientélisme financé sur le dos des contribuables futurs ; et que les institutions internationales, la construction européenne parmi celles-ci, sont utiles. Le paradoxe d’ailleurs, c’est que même les libéraux hostiles à la politique des conservateurs américains ne se retrouvent pas dans l’antiaméricanisme lepéniste. On se demande donc bien ou, à part dans ses fantasmes, Laurier peut voir en la matière une convergence entre les libéraux et Lepen dans le philo-américanisme favorable aux conservateurs du parti républicain.
Les libéraux, selon Laurier, ne pourraient plus faire confiance à la droite de gouvernement (l’UMP) parce que celle-ci a laissé s’affadir l’espoir créé par les "Madelin, Villiers, Millon et Pasqua". L’énoncé de cette liste de soi-disant "espoirs libéraux" en dit long sur le libéralisme de Laurier. A part un Madelin bien seul pour tenter de poursuivre la tradition libérale française, on voit mal en quoi les autres membres de ce quatuor ont pu représenter en quelque façon que ce soit le libéralisme. Qu’ils aient représenté une droite nationaliste et traditionnaliste, qui a toute sa place dans l’échiquier politique français, soit : mais en faire des héraults du libéralisme à la française prête au mieux à sourire. Avec de tels représentants, le libéralisme français n’a pas besoin d’adversaires...
Il est vrai que Lepen, héritier politique de Poujade et Tixier-Vignancourt, peut éventuellement incarner les espoirs de cette droite traditionnaliste et nationaliste : pas ceux de la tradition libérale française des Bastiat, Tocqueville, Aron et Rueff.
Lepen, Laurier dixit, ne croirait pas à l’impôt contrairement à la droite et à la gauche de gouvernement. Bigre. Il est vrai que le programme du Front national est prolixe en promesses de baisses d’impôts tendance "on rase gratis". Mais rappelons que Lepen s’est présenté lui-même lors de la dernière présidentielle comme "économiquement de droite et socialement de gauche" ce qui ne le rend pas différent des partis français de gouvernement, qui affirment tous pouvoir simultanément baisser les impôts et augmenter les dépenses sociales. Lepen prétend financer sa propre démagogie par les soi-disant somptueuses économiques qui résulteraient de l’expulsion d’immigrés, mais ces économies ne sont qu’une fumisterie maintes fois démontée. Lepen dans le même temps est violemment protectionniste, hostile aux grandes entreprises (le "capital apatride" qui écrase les petits).
De même, Lepen partagerait de nombreuses "convictions libérales", car il est contre l’euro et l’Union Européenne. Si l’on suit ce raisonnement, la Ligue Communiste révolutionnaire, Arlette Laguiller et le PCF partagent aussi de nombreuses "convictions libérales"...
Tout comme Berlusconi en Italie n’est pas Mussolini, Lepen n’est pas Hitler : c’est exact. Il est vrai que la diabolisation de Lepen par la classe politique relève le plus souvent de la caricature grotesque, de la médiocrité et de la paresse intellectuelle. Mais poussons le parallèle un peu plus loin : Berlusconi est-il libéral ? Si tel était le cas, l’hebdomadaire libéral anglais the Economist n’aurait pas titré l’année dernière "pourquoi Berlusconi est indigne de diriger l’Italie". Berlusconi est corrompu, clientéliste, et profite de son passage au pouvoir pour s’auto-amnistier : le bel exemple de libéralisme que voilà. Si c’est à ce genre d’individu que les libéraux doivent se vouer, ils peuvent d’ores et déjà annoncer le suicide de la pensée libérale. Dénoncer les outrances des attaques envers Berlusconi est une chose : en faire un parangon de libéralisme est par contre un jeu fort dangereux.
Laurier entame ensuite la seconde phase de son argumentation : le vote Lepen serait un vote "révolutionnaire" susceptible de provoquer l’électrochoc dont le pays a besoin pour sortir du marasme. Le catastrophisme et l’angoisse de la déchéance, deux vieilles idées fort peu libérales mais qui depuis toujours font le miel des réactionnaires. La France serait submergée par les musulmans, autre antienne qui tient plus du fantasme que de l’appréciation sérieuse. Que le fondamentalisme islamique soit un danger est certain : ce n’est pas une raison pour abreuver les gens de chiffres fantaisistes comme celui des "10 millions de musulmans en France" (anéanti récemment par Michèle Tribalat, qui n’est pas suspecte de sympathie envers l’Islamisme) voire des âneries complètes comme le fait que les immigrants entrant "votent pour les islamistes". Il faudrait rappeler à M. Laurier que les immigrés, a fortiori lorsqu’ils sont clandestins, ne votent pas en France. Selon Laurier, voter Lepen serait éviter à la France de sombrer. Magnifique illustration du proverbe "nous sommes au bord du gouffre, faisons un grand pas en avant".
Car les libéraux ne doivent en aucun cas se laisser aller à ce genre de discours mortifère et désespéré. Le libéralisme français a toujours privilégié la réforme, le pouvoir de conviction des idées, contre l’esprit révolutionnaire et la politique du pire. Laurier affirme clairement que voter FN est la seule alternative à l’autre vote révolutionnaire, à savoir les partis trotskistes. Si l’on poussait vraiment sa logique, après tout, pour vacciner définitivement les français contre le socialisme, rien de tel que d’espérer l’arrivée au pouvoir du PCF et des trotskistes. Le chaos qui s’ensuivrait serait probablement prophylactique. Voilà le genre de raisonnement auquel conduit la haine et le désespoir face à la société contemporaine.
Les libéraux français se savent peu nombreux ; mais ils ont fait le choix de convaincre, de montrer que leurs idées sont bonnes en participant au débat public, par le biais d’associations comme Liberté Chérie, en cherchant à faire progresser la société française de l’intérieur. Si cette stratégie n’est pas sûre de réussir, elle est la seule qui respecte les valeurs fondamentales auxquelles tous les libéraux sont férocement attachés, les valeurs de liberté et de respect des autres.
Avant tout, les libéraux sont libres de leurs choix en matière électorale. M. Laurier veut voter pour le Front national ? Qu’il le fasse ! mais qu’il n’assimile pas de cette manière scandaleuse la famille des libéraux à ses choix politiques.
Nous, les libéraux, revendiquons notre liberté d’esprit, et la primauté de nos valeurs face à cette incarnation de l’étatisme corporatiste qu’est le Front National. Monsieur Laurier ne votera pas Front National en notre nom.