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Etats-Unis : qu’est-ce qui coince ?
lundi 19 avril 2004
Alors même que les Etats-Unis sont arrivés au faîte de leur puissance et de leur rayonnement, la présidence traverse une crise grave depuis le début des années quatre-vingt-dix. Deux présidents minoritaires (Clinton, puis Bush) se sont succédés à la Maison-Blanche et, ce qui n’arrange rien, deux présidents dont la personnalité et le style ont fortement divisé l’opinion.
Quand Clinton arrive au pouvoir en 1993, il devient immédiatement la bête noire des Républicains et de la droite en général. Son programme, jugé trop à gauche, suscite l’ire des reaganiens et des conservateurs, tandis que ses frasques et son attitude "cool" le fait mal voir des religieux. La campagne électorale de 1996, jugée peu passionnante par les médias français, est en fait un tournant. Clinton bat en effet Dole en occupant le centre avec un programme presqu’aussi républicain que le roi, et entame ensuite une série de réformes qui auraient fait la joie du vieux Ronnie. Comme l’avait bien vu Alexandre Adler à l’époque, la campagne de 1996 marque le dernier tour de piste du Parti Républicain "old school" qui, marqué au centre par Clinton, n’a d’autre choix que de se radicaliser et de s’allier à la droite religieuse.
C’est donc un Parti Républicain plus à droite, voire droitier, idéalement représenté par Bush, qui conquiert la Maison Blanche en 2000. Diabolisé et ridiculisé avant même son entrée à la Maison-Blanche, Bush aggrave son cas par une victoire extrêmement controversée et, en malgré sa volonté affichée d’être "le président de tous les Américains" et le recentrage qu’il opère (n’oublions pas que le programme de Bush tel qu’exprimé en 2000 n’a jamais été appliqué) il ne parviendra jamais , sinon à conquérir, du moins à obtenir l’indulgence de la moitié du pays qui n’a pas voté pour lui. Les Démocrates ne digèrent pas une défaite considérée comme injuste et les liberals critiquent la religiosité à leurs yeux excessive du nouveau président et ses liens avec les fondamentalistes, tandis que la "gauche de la gauche", semant les graines d’une rhétorique qui fleurira deux ans plus tard, se met à crier au coup d’état et au fascisme rampant.
Les attentats du 11 septembre, la guerre en Afghanistan et la brève communion internationale avec les Etats-Unis génèrent un bref état de grâce, mais, tout comme Clinton avait fait un cadeau en or à la droite religieuse avec le Monicagate, Bush fournit un merveilleux bélier à ses ennemis : la guerre en Irak, et la polémique qui s’ensuit sur les armes de destruction massive, ou plutôt sur l’absence d’armes de destruction massive.
Le mouvement anti-Bush prend rapidement de l’importance, dans la mesure où il bénéficie de relais dans les médias majoritairement de gauche, que des républicains à l’ancienne comme John McCain ne se gênent pas non plus pour critiquer l’action présidentielle et que l’après-guerre en Irak (notamment les actes de torture commis dans la prison d’Abu-Ghraib) apporte de l’eau à son moulin. La jonction avec les Democrates classiques ne tarde pas à s’opérer, comme en témoignent l’étoile filante Howard Dean ou certains spots de campagne de John Kerry. La récupération de l’anti-bushisme s’accompagne également d’une surenchère "sociale" bien incarnée dans le discours très "classe contre classe" du candidat à la vice-présidence, John Edwards, et destinée à récupérer les liberals en froid avec le Parti depuis la dérive "droitière" de Clinton.
On peut craindre qu’une victoire de John Kerry, si elle restaure dans un premier temps l’image des Etats-Unis à l’étranger, ne s’avère finalement plus nuisible encore au niveau intérieur. Otage d’un parti fortement gauchi, Kerry devra composer avec ses radicaux tout comme Bush doit composer avec les siens. Or, la dernière chose dont les Etats-Unis aient besoin en ce moment est d’un président trop à gauche - ou trop à droite, d’ailleurs. Le prochain locataire de la Maison-Blanche, s’il veut ne pas être le dernier, devra s’appuyer sur les plus petits dénominateurs communs, quitte à perdre l’appui des "durs" de son parti. Ce n’est pas gagné d’avance. Mais ce n’est pas perdu non plus.