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Les procédures d’attribution des licences de téléphonie mobile
Les licences UMTS : l’avantage de l’enchère
vendredi 16 novembre 2001
Cette procédure d’attribution du droit d’usage des fréquences hertziennes s’est trouvée contestée depuis une dizaine d’années, et plus particulièrement dans le cas de la téléphonie mobile. Suivant l’exemple des pays anglo-saxons (Etats-Unis, Nouvelle-Zélande et Australie), de nombreux pays (Allemagne, Guatemala, Mexique, Pays-Bas, Suisse, Italie, …) se sont tournés ou sont en train de se tourner vers une allocation de ces droits par l’intermédiaire d’enchères. Ce fut le cas récemment du Royaume-Uni, où les enchères pour l’attribution des licences pour la téléphonie mobile de la troisième génération, UMTS, ont permis au gouvernement de percevoir des sommes considérables (38,5 milliards d’euros).
Au printemps dernier, le gouvernement français, sur proposition de l’Agence de réglementation des télécommunications, a décidé d’attribuer les quatre licences de téléphonie mobile de norme UMTS (troisième génération permettant de transmettre voix, textes, images et d’accéder à l’Internet) par l’intermédiaire d’une sélection sur dossier – procédure parfois appelée « concours de beauté ». La France a connu à ce moment-là son premier débat sur les avantages et les inconvénients des enchères. Puisque le problème se reposera sans aucun doute dans un futur proche, nous voudrions expliquer ici comment les économistes analysent les avantages comparatifs des enchères et des procédures de sélection par dossier, en espérant ainsi que le prochain débat soit fondé sur des bases analytiques plus solides.
Nous expliciterons les objectifs fondamentaux poursuivis par l’allocation du spectre pour la téléphonie mobile à des opérateurs, en discutant les avantages et inconvénients essentiels des procédures d’enchères et des « concours de beauté ». Puis nous approfondirons les propriétés de ces procédures pour essayer d’éclairer le débat qui a eu lieu dans les médias français. Enfin nous décrirons plus en détail les types d’enchères possibles.
Objectifs fondamentaux
Toute procédure d’allocation du spectre hertzien doit résoudre deux problèmes fondamentaux : d’une part, sélectionner les entreprises qui développent le marché de la façon la plus efficace ; d’autre part, faire payer par ces entreprises l’utilisation d’un bien public qui appartient à la collectivité nationale. Ces deux objectifs méritent discussion.
Pour des raisons techniques, il n’est possible de partager la bande passante qu’entre un petit nombre de systèmes. Le gouvernement français a ainsi décidé d’offrir quatre licences UMTS, le gouvernement britannique avait décidé d’en offrir cinq, et le gouvernement allemand a laissé les entreprises enchérir sur deux ou trois bandes sur les douze disponibles. Ce choix de la structure du marché, que nous ne discuterons pas ici, est tout aussi stratégique que le choix du mode d’attribution.
Les entreprises sélectionnées devront investir à la fois pour mettre en place les infrastructures nécessaires et pour s’attirer une clientèle. Pour que les nouvelles technologies remplissent leurs promesses, la puissance publique doit choisir des opérateurs qui possèdent la technologie et le savoir-faire nécessaires pour construire et gérer leur réseau, mais qui possèdent aussi le sens du marché qui leur permet de choisir les services que désirent leurs clients. Il nous semble important de remarquer dès maintenant que, dans ce choix d’organisation de marché, l’Europe a décidé de faire confiance aux entreprises privées, et s’appuie sur leur capacité à choisir rationnellement le type et la taille des réseaux à mettre en place. Il serait étonnant que des entreprises capables de remplir des tâches aussi complexes se conduisent de façon irrationnelle pendant les procédures d’attribution des licences. Nous reviendrons sur ce point quand nous discuterons plus bas l’ « optimisme excessif » et la « malédiction du vainqueur » dans les enchères.
Puisqu’une ressource publique est mise à la disposition des opérateurs, il est parfaitement légitime et économiquement efficace que la collectivité en fasse payer l’utilisation. C’est parfaitement légitime car il n’y a aucune raison que des individus ou des entreprises privées profitent du patrimoine national sans contrepartie. C’est économiquement efficace car, si le prix est bien choisi, ce paiement est la manière la plus transparente d’allouer la ressource à ceux qui en feront la meilleure utilisation.
Le fait qu’il existe d’autres biens publics dont l’Etat ne fait pas payer l’utilisation n’est pas un contre-argument valable à cette légitimité. La théorie économique ne recommande de mettre des biens publics gratuitement à la disposition des utilisateurs que pour des motifs de redistribution du revenu, ou parce qu’il est soit impossible soit trop coûteux de faire payer les utilisateurs. Ni l’une ni l’autre de ces conditions ne sont remplies dans le cas présent.
De plus, le petit nombre de licences, dicté par des considérations techniques, crée une structure de marché oligopolistique, qui peut générer des surprofits élevés. De fait, le niveau élevé atteint par les enchères britanniques montre qu’au moins certaines entreprises pensent que cela sera le cas, et le succès de la filiale Internet mobile, NTT-DoCoMo, et de l’opérateur japonais NTT renforce cette opinion (1).Il est aussi parfaitement légitime de taxer ces profits, qui contrairement à d’autres profits de monopole ne sont pas la récompense d’une activité innovatrice. D’autre part, cette taxe est efficace dans la mesure où elle permet d’alléger les distorsions générées par le système fiscal.
Si l’on admet ces deux objectifs, efficacité et taxation, la solution semble simple : il suffit de demander au régulateur de choisir les entreprises les plus efficaces, et de faire à chacune d’elles l’offre d’une licence en échange d’un paiement égal au bénéfice qu’elle retirera de l’utilisation du bien public. Plus facile à dire qu’à faire : le régulateur n’a pas accès à toute l’information nécessaire pour prendre ces décisions, et le prix que devront payer les titulaires de licences françaises sera de loin inférieur au prix qu’ont payé, à la suite d’enchères, les titulaires de licences en Allemagne ou au Royaume-Uni.
Il nous faut faire ici une distinction entre deux types d’information. Certaines informations sont spécifiques à chaque entreprise, et sont utiles pour comparer les entreprises candidates les unes avec les autres. Par exemple, le régulateur ne sait pas quels sont les avantages comparatifs de la technologie possédée par ces différents candidats (coûts, types de produits), et il lui faut acquérir cette information d’une façon ou d’une autre avant de pouvoir choisir les entreprises les plus efficaces. D’autres informations portent sur des aspects du marché qui sont communs à tous les candidats, et ne sont utiles que pour déterminer les profits que les entreprises obtiendront en participant à ce marché. On peut penser, par exemple, à l’information sur le niveau général de la demande pour les nouveaux services que l’UMTS permettra d’offrir. Le régulateur a besoin de ce type d’information pour déterminer le niveau d’imposition.
Comparaisons préliminaires
Les « concours de beauté » et les enchères sont deux techniques différents pour obtenir ces informations. Dans la suite de cette section, nous discuterons les avantages et les inconvénients de chacune d’entre elles, en considérant un cas particulier pour chacune d’entre elles.
Examinons comment une enchère aurait pu être organisée pour allouer les quatre bandes UMTS françaises. C’est un problème relativement simple, comparé, par exemple, à certains cas américains où des centaines de licences locales étaient à allouer simultanément. Ces enchères pourraient se dérouler de la façon suivante. Le régulateur annonce un cahier des charges que devront respecter les entreprises retenues au terme de la procédure. Ce cahier des charges peut inclure à la fois des contraintes techniques (technologie à employer) ou de services (couverture du territoire). En même temps, le régulateur peut annoncer un certain nombre de critères que doivent satisfaire les participants (il peut par exemple vouloir éviter que deux entreprises qui ont des participations croisées trop importantes et entre lesquelles on peut craindre que la concurrence ne soit pas suffisamment vigoureuse ne puissent pas participer toutes les deux). Un examen préliminaire des dossiers peut permettre d’éliminer les entreprises qui ne remplissent pas ces critères.
Une fois le bien à vendre défini, grâce au cahier des charges, et les entreprises sélectionnées, l’enchère peut commencer. A chaque tour, les participants annoncent un prix pour l’une ou l’autre des bandes en vente (mais comme ils n’ont le droit d’en acheter qu’une, ils ne peuvent faire d’offre que pour une d’entre elles). L’expérience a montré que sans règles appropriées les enchères peuvent durer extrêmement longtemps. Il est donc recommandable d’imposer que toute nouvelle offre domine le prix le plus élevé déjà proposé d’un montant suffisant. Pour éviter que des entreprises attendent que les autres fassent monter les prix et ne se manifestent que tard dans le jeu, il est aussi habituel d’introduire une « règle d’activité ». Tout participant qui n’a pas soumis de nouvelle offre acceptable pendant un nombre prédéterminé de tours perd le droit de participer aux tours suivants.
Dans le cas français, les quatre bandes à allouer sont, à très peu de chose près, aussi désirables l’une que l’autre. Dans notre exemple d’enchères, le prix final des quatre bandes aurait donc été à peu près le même, et à peu près égal au prix auquel le dernier perdant estime qu’il ne vaut plus la peine de continuer à enchérir. Si, comme on peut le supposer, les entreprises sont rationnelles, à ce prix la dernière entreprise perdante, celle qui enchérit le plus longtemps, estime qu’elle ne peut pas faire de profit, alors que les quatre gagnantes estiment au contraire qu’elles peuvent en faire. Les bandes auront donc été allouées aux quatre entreprises qui, étant donné leur information privée sur leurs coûts et leur capacité à servir la clientèle, et les informations sur la profitabilité du marché que les enchères elles-mêmes génèrent, attendent les profits les plus élevés de leur participation à ce marché.
Sur quel raisonnement se fondent les économistes pour penser qu’une telle procédure est efficace ? Sous certaines conditions, il est possible de montrer que, dans les marchés oligopolistiques, tel celui des transmissions mobiles, les entreprises dont les coûts sont les plus faibles sont celles dont les profits seront les plus élevés. Ce sont donc elles qui devraient, toutes choses égales par ailleurs, gagner les enchères, et les services seront donc bien fournis au plus petit coût possible. Il est important de remarquer que plus les coûts sont faibles, plus les prix sont faibles, et les consommateurs profitent donc aussi de ce gain d’efficacité. De même, les entreprises qui peuvent offrir les produits les mieux adaptés à la demande des consommateurs sont capables d’en retirer des profits plus élevés, et devraient gagner les enchères.
Le raisonnement du paragraphe précédent appelle un certain nombre de caveats, dont nous allons discuter deux exemples. Un traitement complet dépasse de loin le cadre de ce document.
Un groupe d’entreprises qui ont l’habitude d’une collusion profitable sur d’autres marchés ou qui sont liées par des anticipations croisées pourraient penser qu’elles arriveront à s’entendre, s’attendraient à des profits élevés, et gagneraient donc l’enchère alors que leur victoire serait néfaste pour le marché. Deux remarques nous semblent importantes sur ce point. Tout d’abord, que l’on attribue les licences par l’intermédiaire d’enchères ou de "concours de beauté", il est indispensable de mettre en place une politique de la concurrence active, ainsi qu’une réglementation appropriée, en particulier pour ce qui concerne les tarifs d’interconnexion. Ensuite, les règles des enchères doivent être choisies de façon à limiter les possibilités de collusion pendant le processus d’attribution des licences.
Alors que les enchères sélectionnent les entreprises pour lesquelles les profits sont les plus élevés, en raison de l’hétérogénéité des entreprises, cela ne veut pas nécessairement dire qu’elles sélectionnent toujours celles qui maximiseront le bien-être social. Il faudrait pour ceci concevoir des enchères asymétriques ou multicritères ; par exemple, on pourrait annoncer qu’un engagement à déployer la technologie plus rapidement est équivalent à une augmentation du prix proposé. Cela pose des problèmes très complexes, que nous ne discuterons pas ici. Les enchères multidimensionnelles n’ont jamais, autant que nous le sachions, été utilisées dans l’allocation du spectre hertzien.
Un argument souvent entendu contre les enchères est que le vainqueur paiera une somme trop élevée. Ce point repose sur une double confusion. La première confusion est associée à la crainte que les entreprises, emportées par une bulle d’optimisme sur la valorisation future des licences, fassent des enchères beaucoup plus élevées que les profits qu’elles peuvent espérer. Il nous semble incompatible de prôner à la fois la libéralisation du marché et la protection des entreprises contre leurs erreurs durant le processus d’enchères. Si elles sont assez responsables et bien gérées pour déployer leurs actifs de façon efficace dans ce marché en pleine effervescence, il semble inconcevable qu’elles ne soient pas capables d’estimer, certainement mieux que ne pourraient le faire les pouvoirs publics, les profits qu’elles peuvent espérer en tirer (ce qui n’implique pas qu’il n’y ait pas de risques résiduels, mais elles doivent aussi être capables de les gérer par les instruments d’assurance appropriés).
La deuxième confusion correspond à ce que l’on appelle la « malédiction du vainqueur ». Dans les circonstances les plus favorables à l’apparition de ce phénomène, les participants à l’enchère ont tous les mêmes compétences, mais des informations différentes sur le marché. Les économistes appellent ce type d’enchères une enchère « à valeur commune », car le bien en vente – dans notre cas la bande passante – a la même valeur pour tous les participants, quoiqu’ils possèdent des informations différentes sur cette valeur. Dans ce cas extrême, l’enchère ne servirait plus à sélectionner les firmes les plus efficaces : par définition, elles le sont toutes autant les unes que les autres. Elle sélectionnerait les entreprises qui ont l’information la plus optimiste sur le marché. Cela ne veut pas dire qu’elle soit inutile. Si le premier objectif des procédures d’allocation, celui d’efficacité, n’a plus lieu d’être dans ce cas où il suffit de choisir une entreprise au hasard, l’enchère sert à remplir le second, celui de la taxation.
Pour bien comprendre la malédiction du vainqueur, considérons une enchère pour une seule licence où les profits seront de 100 (bien que les participants ne le sachent pas). Il y a cinq participants à l’enchère, dont les experts ont prévu respectivement des profits de 80, 90, 100, 110, 120. Si on organise une enchère ascendante, la licence sera attribuée au participant dont les experts ont prévu un profit de 120, et paiera un prix de 110 ; le gagnant paye donc plus que la valeur des profits sur ce marché !
Bien que ce raisonnement soit très séduisant, il est faux, et suppose implicitement que les participants à l’enchère sont irrationnels. En effet, l’entreprise gagnante tiendra compte dans sa stratégie du fait que, si elle gagne l’enchère, c’est que ses experts ont vraisemblablement surestimé la valeur des profits, et qu’elle peut en attendre moins de 120. La théorie des enchères montre que, si les participants tiennent compte de ce phénomène, comme ils doivent rationnellement le faire, la malédiction du vainqueur disparaît, et le vainqueur obtient, en moyenne, le bien à un prix inférieur à sa vraie valeur.
Ce résultat théorique a été confirmé empiriquement. Il existe beaucoup d’autres marchés dans lesquels les participants se sont plaint de la malédiction du vainqueur. A notre connaissance, malgré de nombreuses études économétriques et expérimentales, ce phénomène n’a jamais pu être mis en évidence. De façon plus précise, quand les données permettent de calculer les profits du vainqueur de l’enchère, on trouve que le prix qu’il paye est inférieur au profit qu’il retire en moyenne de l’acquisition du bien.
Nous avons construit notre analyse en supposant que les enchères se faisaient sur la base de quatre enchères « ascendantes simultanées ». D’autres techniques d’enchères, que nous discuterons plus loin, existent. L’analyse que nous avons conduite jusqu’à présent s’appliquerait, avec des modifications mineures, à toutes les formes d’enchères raisonnables. Il est cependant important de remarquer que la construction d’une enchère et le choix du détail des règles sont une entreprise délicate et qu’il est important d’y consacrer les ressources nécessaires. Une fois l’enchère commencée, il est impossible de revenir en arrière !
Examinons maintenant le fonctionnement d’une sélection sur dossiers sans droit d’entrée. Dans ce cadre, la première tâche du décideur est d’annoncer les critères de sélection qu’il emploiera, et de donner une idée de leur importance relative. Il n’a pas besoin d’être aussi précis que dans le cas des enchères, car il peut, dans une certaine mesure, se laisser la possibilité de réviser ses objectifs en fonction des informations qu’il recevra. A la vue de ces critères, les entreprises soumettent des dossiers qui fournissent au sélectionneur l’information sur laquelle il fondera son choix. Une question délicate se pose à ce moment : déterminer ce qui est crédible et ce qui ne l’est pas dans cette information.
Une partie de l’information fournie par les entreprises est ce que les économistes appellent « vérifiable », c’est-à-dire que celles-ci peuvent prouver les faits qu’elles annoncent. Par exemple, une capacité technique peut être prouvée en exhibant un brevet ou le résultat d’expériences conduites dans les laboratoires de l’entreprise, une capacité commerciale en montrant les performances dans d’autres marchés. Sur d’autres types d’informations, l’entreprise ne peut produire de preuves ; par exemple, il lui sera difficile de prouver que ses coûts de déploiement du réseau sont raisonnables. Dans certains cas, mais sûrement pas dans tous, elle peut contourner cette difficulté en prenant des engagements qui ont valeur contractuelle et qui seraient trop coûteux à tenir si l’information n’était pas véridique. Par exemple, elle peut prouver que ses coûts de déploiement sont faibles en s’engageant sur un accroissement rapide de sa couverture. Toutefois, il n’en reste pas moins beaucoup de place pour des manipulations d’information, et on peut en particulier s’interroger sur la crédibilité des business plans qui sont présentés lors de ces procédures.
Une fois les dossiers rendus, la tâche du sélectionneur est ardue. Il doit peser les différents aspects des dossiers et les agréger. Cela lui demande à la fois d’être capable d’évaluer la qualité de l’information fournie par les candidats, mais aussi d’avoir une idée claire de la « fonction d’utilité sociale » à maximiser.
Les critiques des procédures sur dossier se concentrent sur la capacité d’un décideur public à bien comprendre les dossiers et à faire le bon choix, ainsi que sur ses incitations. Pour évaluer la qualité des propositions, le sélectionneur doit comparer des business plans extrêmement complexes dans un environnement incertain, avec de l’information fournie par des candidats qui ont tout intérêt à ne présenter que l’aspect positif de leur dossier. Il doit d’autre part peser de façon subtile les avantages et inconvénients des différentes techniques. La tâche semble très ardue.
Dans l’organisation des procédures sur dossier, il est aussi nécessaire de s’assurer que le sélectionneur a les bonnes incitations. Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme politique ou d’une agence indépendante, il sera soumis à de nombreuses pressions, parmi lesquelles on peut craindre que celles des utilisateurs futurs des services seront bien faibles ! En particulier, on peut craindre qu’une place trop importante soit donnée à l’origine nationale des entreprises candidates.
Entre les deux formules présentées, enchère avec cahier des charges et « concours de beauté » sans paiement, il y a de nombreuses solutions intermédiaires, en particulier sur l’aspect taxation – on peut demander une taxe de participation au « concours de beauté », on peut combiner l’enchère avec une imposition supplémentaire sur les profits. Nous discuterons ces variantes ultérieurement.
Transparence et flexibilité
Il est indiscutable que les « concours de beauté », comme toutes les formes administratives de sélection, manquent de transparence. Au contraire, une enchère demande à ce que toutes les règles soient explicitées à l’avance, et doit donc être parfaitement transparente. Il reste à savoir si la transparence est une bonne chose. La position du régulateur français suggère que ce n’est pas nécessairement le cas :
« Les enchères sont un processus non maîtrisable, non contrôlable. On ne sait pas ce qui peut en sortir, ce sont les participants eux-mêmes qui le déterminent » (Les Echos, 12 mai 2000).
Une règle non transparente donne de la discrétion au décideur. Cela encourage les parties prenantes à utiliser toutes sortes de techniques pour influencer le décideur. Cette « capture » par des intérêts particuliers peut avoir des implications redistributives fâcheuses, mais aussi mener à des choix inefficaces si par exemple une entreprise moins efficace mais plus influente est sélectionnée. De plus, la seule suspicion de capture, et donc d’iniquité dans la procédure, peut décourager la participation de certains candidats potentiels, et engendrer une inefficacité supplémentaire.
D’un autre côté, la discrétion du décideur peut être utile pour tenir compte d’informations arrivées après l’annonce des règles de la procédure, et sur ce point les procédures sur dossier ont un avantage. Dans le cadre des enchères, on peut se prévenir contre les mauvaises surprises en introduisant une certaine flexibilité, par exemple par des clauses échappatoires (le décideur garde l’option d’éliminer un gagnant de l’enchère qui s’avère ex post lié à la mafia), et en effectuant une présélection sur dossiers. Il est important de réfléchir posément et précisément aux règles avant le début de l’enchère, ce qui a l’avantage annexe de forcer les pouvoir publics à bien expliciter leur politique.
Pour le problème qui nous occupe, une enchère relativement simple, l’allocation de bandes de spectres identiques, il est difficile d’invoquer les événements imprévisibles pour préférer la non-transparence, d’autant plus que dans l’organisation des enchères la France aurait pu s’appuyer sur l’expérience acquise grâce aux enchères étrangères. Enfin, les enchères auraient été moins sensibles au coup de froid qui a atteint le secteur des télécommunications que ne l’a été le « concours de beauté » français.
Nous en concluons que les arguments de transparence et de flexibilité favorisent incontestablement ici l’enchère sur le « concours de beauté ».
Collusion
Nous avons discuté plus haut de la nécessité de s’assurer que les entreprises qui sont sélectionnées n’auront pas un comportement collusif, une fois qu’elles ont obtenu leurs licences. Dans le choix d’une procédure, il faut aussi se prémunir contre la collusion pendant la phase de sélection.
Des indices de présence de collusion ont été mis en évidence dans certaines des enchères organisées aux Etats-Unis. Il nous semble que la collusion aurait été beaucoup plus difficile dans les enchères françaises, à cause de la simplicité des biens mis en vente. Cela dit, il est vrai que la transparence des règles peut empêcher le décideur de réagir à des comportements collusifs qu’il observe au cours des enchères. Il faut donc en choisir les règles pour limiter ces comportements, peut-être par des prix de réserve (enchère minimale), et en limitant l’information générée dans le déroulement de l’enchère (par exemple en cachant l’identité du plus haut enchérisseur du moment).
Pour lutter contre le risque de collusion ex post, le décideur qui a une confiance limitée dans la politique de la concurrence peut vouloir conserver des degrés de liberté. Il peut vouloir assurer une licence à un opérateur dont il sait qu’il ne sera pas partie prenante dans la collusion. Pour cela, il peut garder une licence en réserve et la proposer ex post au prix obtenu dans l’enchère à l’entreprise qui offre les meilleures perspectives pour la compétitivité du marché. Toutes ces techniques sont dangereuses car elles génèrent des risques de favoritisme et de choix maladroits par des bureaucrates qui connaissent mal l’industrie.
Remarquons enfin, que les procédures de sélection sur dossiers ne sont pas non plus libres de tout risque de collusion, par exemple, par échange d’informations entre participants avant la remise des dossiers.
Discrimination
Un avantage important des enchères est que toute forme de discrimination entre participants doit être explicitée dans les règles de l’enchère, et qu’elles rendent ainsi beaucoup plus difficiles les discriminations non justifiées par l’intérêt général.
Ainsi, on peut, si on le souhaite, avantager les petites entreprises, par l’intermédiaire d’une enchère asymétrique, qui par exemple ajoute une prime de x % à l’enchère des petites entreprises. De cette façon, une prime de 30 % conduira à faire gagner une petite entreprise qui enchérit 100 (implicitement 100 + 30) lorsque la grande entreprise concurrente enchérit moins de 130. Un décideur qui aurait des idées claires sur le favoritisme qu’il voudrait ainsi mettre en œuvre pourrait le faire aussi bien avec des enchères. Cela ne veut pas dire que c’est souhaitable.
Le fait que l’on puisse techniquement favoriser les petites entreprises n’implique pas que ce soit une bonne idée, et nous pensons même que cela pourrait être nuisible. La concurrence sur les mobiles en Europe va forcément être une affaire de grands groupes et il serait ruineux d’essayer d’y maintenir des entreprises de petite taille qui finiront par échouer ou se feront racheter, comme l’a montré l’expérience allemande de GSM.
"Le régulateur allemand avait tout fait pour protéger les pauvres petits nouveaux entrants, et aujourd’hui il n’y en a plus un seul : Mannesmann est passé sous le contrôle du britannique Vodaphone, VIA-Interkom est filiale de BT, France Télécom a pris 30 % de Mobilcom et E-Plus est dans le giron du néerlandais KPN allié au japonais NTT-DoCoMo" (Ron Sommer, Président de Deutsche Telekom).
L’expérience américaine récente montre aussi que les plus grosses entreprises peuvent contourner les règles qui favorisent les petites.
La seule voie réaliste est de favoriser des alliances pour que ces petites entreprises, dans la mesure où elles ont des actifs valables — comme leur base de consommateurs ou leur expertise technique —, les fassent fructifier par des stratégies de partenariat.
La théorie des enchères fournit d’autres arguments pour la discrimination. Par exemple, si l’on cherche à maximiser le profit du vendeur, il est bon de subventionner le participant le plus "faible", et certains auteurs ont affirmé que la discrimination en faveur des PME et des entreprises possédées par des minorités raciales ou des femmes dans les enchères américaines avaient augmenté les revenus de l’Etat. Mais le fait que cette discrimination soit on non désirable dépend de l’objectif du vendeur. Par exemple, dans les mêmes circonstances, un vendeur qui cherche à maximiser l’efficacité ne fera pas forcément de la discrimination. On peut aussi construire des exemples où une discrimination en faveur des entreprises qui ont le plus de chances d’être en concurrence directe les unes avec les autres est recommandée quand on cherche à maximiser l’efficacité, mais pas quand on cherche à maximiser le profit du vendeur. Dans l’attribution des licences de téléphonie, l’objectif du vendeur est une pondération de l’efficacité et du revenu, et la situation devient très complexe. C’est pourquoi il semble préférable de s’en tenir à des enchères non discriminatoires, ou au minimum de limiter la discrimination à très peu de dimensions.
Reste le favoritisme national qui pourrait passer inaperçu dans un "concours de beauté’" et ne serait pas possible dans une enchère, eu égard aux règles communautaires de concurrence. Le favoritisme national est inacceptable dans le cadre des institutions européennes, et la diffusion européenne de l’actionnariat, les participations croisées entre entreprises européennes rendent la notion d’entreprise nationale de plus en plus caduque.
Par ailleurs, il est important de remarquer qu’un "concours de beauté" revient en général à subventionner les entreprises gagnantes. Comme il sera pratiquement impossible au sélectionneur de ne pas prendre au moins une entreprise étrangère, cela revient à un transfert des contribuables français vers les actionnaires étrangers de cette entreprise. Au contraire, dans une enchère, le contribuable fait payer à l’entreprise la vraie valeur (ou, pour être tout à fait précis, un peu moins que la vraie valeur) du bien public qu’il met à la disposition de celle-ci.
Rapidité et coût de la procédure
Une chère est une méthode rapide pour extraire de l’information décentralisée de façon incitative. Le "concours de beauté" s’apparente à une procédure d’audit pour découvrir les entreprises les plus efficaces, et est coûteux pour le décideur et plus lent, sauf si les enchères sont très mal conçues. Certes, l’enchère peut générer des coûts pour les participants qui peuvent être plus importants que ceux de la soumission d’un dossier.
Dans le cas du spectre pour le mobile de troisième génération avec quatre licences équivalentes, nous pensons toutefois que rapidité et coût de la procédure militent en faveur des enchères.
Défense des intérêts acquis
Comme nous l’avons vu plus haut, Les "concours de beauté" laissent de la discrétion au sélectionneur, qu’il n’utilisera pas toujours dans le sens de l’intérêt général. Souvent, il aura tendance à favoriser les entreprises en place, et ainsi à défendre les intérêts acquis. Cela est souvent perçu comme un des gros désavantages des "concours de beauté".
Il nous semble que ce point nécessite une réflexion un peu plus équilibrée. Il faut bien reconnaître que le passage d’un régime de licences gratuites attribuées à des opérateurs nationaux à un système d’enchères ouvertes à la concurrence internationale constitue un changement de régulation important, et on peut se demander s’il ne crée pas un problème d’"actifs échoués" (2) : c’est-à-dire d’actifs qui ont été acquis par des entreprises dans le cadre d’une politique publique et qui perdent leur valeur à la suite d’un changement de cette politique. Ainsi, un opérateur GSM qui anticipait que si sa performance était satisfaisante, il pourrait obtenir gratuitement une licence troisième génération a peut-être investi pour se construire une base de consommateurs qu’il pensait pouvoir faire migrer vers la nouvelle technologie alors que ses investissements auraient été moins importants s’il avait su que les nouvelles licences seraient attribuées par des enchères. De façon générale, compenser les entreprises pour les surcoûts créés par des changements non annoncés de politique maintient la réputation de l’Etat qu’il ne spoliera pas les investisseurs par des changements de régulation opportunistes et encourage ainsi les investissements.
C’est le sens que nous donnons au point de vue de Martin Bouygues :
"Aucun des trois opérateurs français [de GSM] ne peut afficher aujourd’hui de résultat net cumulé positif. C’est un investissement de long terme. Il n’y a pas d’alternative entre la poursuite du GSM et le passage de l’UMTS. Ce dernier sera obligatoire […] Et la vitesse d’adoption de la nouvelle norme ne permettra pas à la licence GSM de Bouygues Telecom d’être exploitée jusqu’à son terme fixé à quinze ans. Dans ces conditions, quelle est la durée réelle de validité d’une licence dans ces métiers ?" (Martin Bouygues, Le Monde, 20 mai 2000).
Nous pensons qu’effectivement, si l’Etat avait promis de façon implicite ou explicite que le monde de régulation resterait constant, il serait légitime de réparer les torts que cette promesse a causés. Cette réparation ne doit pas se faire en renonçant à une réforme du mode d’attribution des licences, mais pas une indemnisation des opérateurs qui auraient été spoliés.
Toutefois, il faut insister sur le fait que deux conditions doivent être satisfaites pour qu’une telle indemnisation soit justifiée. Tout d’abord, il faut qu’effectivement une promesse implicite ou explicite ait été faite. Deuxièmement, il faut calculer avec soin le préjudice subi, en tenant compte du fait que ces opérateurs vont avoir un avantage, en ayant développé le GSM (base de consommateurs, expertise locale, …), dans une enchère symétrique. Si, à l’issue de ces calculs, une compensation s’avérait équitable, elle pourrait prendre la forme de subventions qui remettraient les comptes à zéro. De plus, il resterait à vérifier qu’une telle démarché est acceptable par les autorités de la concurrence.
Une autre solution, plus nationaliste, consisterait à donner une licence UMTS à chaque détenteur d’une licence GSM, et à mettre la quatrième licence aux enchères. Chaque entreprise en place devrait alors acquitter le prix de l’enchère moins la subvention de compensation. L’enchère devrait identifier un remplaçant pour tout opérateur GSM qui refuserait la licence au prix auquel elle lui est proposée.
Efficacité
Si l’objectif du décideur est avant tout l’efficacité, et si les entreprises diffèrent dans leurs niveaux d’efficacité, l’enchère est le moyen le plus rapide et le moins cher pour acquérir l’information qui lui permettra d’allouer le spectre de façon efficace.
Les critiques des enchères soulèvent une autre forme d’inefficacité : ils soutiennent que les paiements effectués par les entreprises se répercuteront sur les prix du téléphone mobile et de l’accès à l’Internet et en freineront donc le développement :
"Un coût élevé de la licence induira donc une moindre qualité des réseaux et des prix élevés sur les zones couvertes" (Laurent Benzoni)
"Difficile que le consommateur ne soit pas affecté" (Le Régulateur)
"Si on détruit de la valeur pour les actionnaires, cela finira par se répercuter sur le client" (David de Rothschild).
Il s’agit là d’un point important qui mérite plus de discussion.
A un niveau économique élémentaire, il s’agit d’une confusion sur le rôle des coûts fixes. Un coût fixe est un coût qu’une entreprise doit encourir avant de pouvoir produire, et qu’elle ne peut pas récupérer si elle ne produit pas. En première approximation, un coût fixe n’affecte pas les décisions des entreprises : elle ont fait cette dépense dans le passé, et rien de ce qu’elles font ne pourra faire changer cette somme ; elles doivent donc choisir les produits à mettre sur le marché et leurs prix en fonction de la situation présente. Ainsi, la physionomie du marché des télécommunications ne devrait en rien être affectés par les paiements réalisés dans les enchères.
Toutefois, il existe des arguments plus subtils qui créent un lien entre le niveau des paiements dans l’enchère et les prix sur les marchés. Tout d’abord, les imperfections des marchés des capitaux font qu’une entreprise qui se serait endettée de façon excessive pour payer l’enchère peut voir à l’avenir le prix du capital augmenter par rapport à une situation où le spectre serait alloué gratuitement ; elle sera donc amenée à restreindre son offre, et il s’ensuivra une augmentation des prix.
Remarquons tout d’abord que cette augmentation devrait être assez faible, de l’ordre de l’augmentation du coût du capital pour les entreprises en question, et donc que l’augmentation du revenu des opérateurs qu’elle générera sera de loin inférieure au montant de l’enchère. Dit autrement, même si l’enchère n’amenait pas une meilleure sélection des entreprises que la procédure sur dossier, son coût pour le consommateur français serait très inférieur à son bénéfice pour le contribuable. L’importance des groupes participant aux enchères, qui achètent du spectre dans toute l’Europe, limite encore plus la force de cet argument.
Ces phrases ont été écrites avant que la procédure ne soit effectivement mise en place, et donc avant qu’il ne s’avère que certaines entreprises trouvent le droit d’entrée excessif. Ces événements ne remettent pas en cause le raisonnement, et, au contraire, de façon peut-être paradoxale, le confortent. En effet, ils montrent que le « concours de beauté » ne protège pas le gouvernement contre une chute de l’estimation par les entreprises de la valeur d’une licence. Par contre, si cette estimation s’était accrue, le « concours de beauté » aurait laissé des surprofits encore plus importants aux entreprises alors que les enchères auraient fourni un mécanisme d’ajustement automatique.
Si l’augmentation du coût du capital liée aux enchères françaises aurait sans doute été faible, il n’en sera pas forcément de même pour les entreprises qui auront acheté du spectre dans de nombreux pays. En conséquence, si après examen de dossier on retient en France des entreprises endettées par des enchères dans d’autres pays européens, le consommateur français paiera le coût de l’accroissement du coût de capital sans que le contribuable français n’en retire de bénéfices sous forme de droit de licence. Subventionner l’industrie quand le reste de l’Europe taxe l’accès au spectre n’a que des inconvénients.
Nous ne reprenons pas ici ce que nous avons dit plus haut sur la collusion et les précautions à prendre pour en atténuer sinon éviter les problèmes. Ajoutons simplement que l’on peut craindre aussi que ces entreprises collusives anticipent des renégociations une fois qu’elles seront entrées sur le marché. En Amérique du Sud, les renégociations peu de temps après les enchères de services publics sont devenues très courantes et problématiques. Il est donc important de spécifier à l’avance les règles à suivre si une entreprise cherche à renégocier avec les pouvoirs publics, à vendre sa bande de spectre ou à se faire racheter. Par exemple, on s’engagera à rouvrir une enchère pour une bande de spectre en question quand un opérateur fait faillite, de façon à ne pas se retrouver piégé dans une relation bilatérale entre régulateur et entreprise.
Faire payer un droit d’usage
La rareté du spectre crée ce que les économistes appellent une « rente » que nous avons décomposée en une rente pure liée à la rareté du spectre et une rente oligopolistique due à la nécessité technique de n’attribuer qu’un petit nombre de licences. Dans un « concours de beauté », cette rente est laissée entre les mains des entreprises sous forme de profits, et comme elle provient de l’utilisation d’une ressource publique, il est sûrement contraire à tout sentiment de justice sociale de la laisser sans contrepartie et sans justification entre les mains d’intérêts privés. Le sentiment de légitimité d’un droit d’usage est largement partagé :
« Je pense qu’il est normal que l’Etat fasse payer cher le prix d’un bien public » (Jean Peyrelevade)
« Je propose une autre solution : instaurer une redevance initiale comme en Espagne […] et, ensuite seulement, taxer les bénéfices quand ils apparaîtront » (Martin Bouygues)
« Je pense qu’il est dans l’intérêt de tous que l’Etat prélève son impôt a posteriori sur une valeur créée, c’est-à-dire une fois le marché lancé » (David de Rothschild).
Une fois admise la nécessité de faire payer l’utilisation du spectre, il reste à trouver la meilleure technique pour déterminer le niveau de la redevance. Le grand intérêt de l’enchère est de faire annoncer les profits qu’ils espèrent par les acteurs eux-mêmes et de leur faire payer la redevance dès l’attribution de la licence. Ces taxes sont des coûts échoués qui ne créent que peu ou pas de distorsions dans le fonctionnement du marché (voir les caveats ci-dessus).
D’autres méthodes de paiement ont été proposées. La solution de paiements échelonnés crée plus de problèmes qu’elle n’en résout. En première approximation, elle ne fait que remplacer une dette vis-à-vis du secteur bancaire par une dette vis-à-vis de l’Etat, mais le décideur s’expose au risque de coûteuses tentatives de renégociations.
L’imposition d’un droit d’entrée, favorisée par certains défenseurs des « concours de beauté » et qui a finalement été retenue en France, suppose que les pouvoirs publics ont l’information qui permet d’évaluer son niveau approprié. Pour la France, l’évaluation du montant total des enchères varient de 20 à 50 milliards d’euros, soit 5 à 10 milliards d’euros par licence, traduisant à la fois l’incertitude existante et la dépendance des résultats aux détails des mécanismes d’enchères. Un sélectionneur qui doit décider sans information supplémentaire du niveau du droit d’entrée choisira un montant à la limite inférieure de cet intervalle, pour s’assurer de la participation d’un nombre suffisant de candidats, et effectivement le montant choisi en France a été de moins de 5 milliards d’euros (3). Adopter un tel droit d’entrée revient à subventionner les entreprises. Clairement, c’est l’industrie qui possède le plus d’information, et l’enchère a la vertu d’obtenir cette information de façon incitative en n’abandonnant qu’un minimum de rente aux entreprises détentrices d’information.
Certains proposent une taxation sur les profits ex post qui s’ajouterait au taux de taxation habituel. Cette solution aurait l’avantage d’être assise sur des vrais profits et non pas des anticipations de profits, mais serait plus distorsive en réduisant les incitations ex post (les opérateurs ne conservant qu’une partie des profits feraient moins d’efforts pour développer le marché). De plus, elle pose des problèmes comptables délicats, car il faut pouvoir isoler, dans les comptes des entreprises, les profits correspondant à l’activité mobile. Cela favoriserait les grands groupes qui ont de plus grandes facilités de manipulations comptables. Si, malgré ces désavantages, on insistait pour imposer les profits, notons qu’une telle idée peut être combinée à une enchère. Il suffit de prévoir dans le cahier des charges qu’une surtaxe de x% sera prélevée sur les profits. Cela a l’avantage de diminuer les montants des enchères tout en préservant leurs propriétés d’efficacité.
Une critique des enchères déjà évoquée est la soi-disant incapacité des opérateurs à évaluer correctement les profits futurs :
« Il semble que ce soient les enchères anglaises qui ont produit un résultat indéniable que nous avions anticipé : la malédiction du vainqueur […]. Les techniques des enchères favorisent l’envolée des offres. Se profile derrière la spéculation financière sur tout ce qui touche aux technologies de l’information » (Laurent Benzoni).
« Comme nous sommes déjà dans une bulle d’optimisme, celui qui va gagner sera le plus optimiste dans une bulle d’optimisme, ce qui veut dire qu’il y a derrière un réel risque d’effondrement » (Jean Peyrelevade).
Nous avons déjà expliqué que la malédiction du vainqueur a été empiriquement démentie et que le propre d’une économie de marché est de laisser les investisseurs évaluer eux-mêmes les risques qu’ils prennent.
Une nécessaire coordination européenne
La concurrence dans le téléphone mobile sera de plus en plus une concurrence européenne. L’allocation séparée par pays du spectre hertzien ne donnera certainement pas lieu à une allocation optimale. Il aurait été souhaitable de penser à des enchères au niveau européen qui auraient été analogues à celles organisées aux Etats-Unis. Certes, il existe des marchés ex post du spectre, des possibilités de partenariat et d’OPA qui peuvent rectifier ces allocations initiales, mais cela avec des coûts de transaction certainement supérieurs à ceux d’une enchère bien conçue.
D’autre part, le fait que des opérateurs, comme Telefonica en Espagne, puissent bénéficier de licences gratuites dans leur pays alors que d’autres doivent participer à une enchère dans leur propre pays pose un problème d’équité qui devrait être également réglé au niveau européen.
« En revanche Telefonica, qui a obtenu se licence en Espagne pour rien, a les moyens de venir maintenant surenchérir en Allemagne […]. Il est en effet absolument impensable que France Telecom obtienne une licence gratuitement en France et puisse concourir librement à une licence en Allemagne » (Ron Sommer, président de Deutsche Telekom).
Enchères et politique industrielle
Le fait de ne pas subventionner les opérateurs est présenté par certains comme une erreur de politique industrielle :
« Je ne peux laisser commettre l’assassinat d’une technologie porteuse d’un grand avenir » (Martin Bouygues)
« L’Internet mobile constitue l’opportunité de se relancer dans la révolution Internet […]. Cette perspective mérite une prise de risque, une vision de l’Etat, celui-ci doit accepter de renoncer, à court terme, à sa gabelle » (Laurent Benzoni)
« Risque de compromettre le développement de l’UMTS » (Le Régulateur)
L’opportunité de soutenir le développement de l’Internet mobile est à apprécier par les ministères de l’Industrie et des Finances. Ce n’est pas par des subventions du contribuable sans contrepartie à des opérateurs français et étrangers que l’on atteindra cet objectif. Cela ne ferait qu’enrichir les actionnaires de ces entreprises comme le reconnaissent a contrario les partisans des « concours de beauté » :
« Si celui-ci s’appauvrit en payant un prix exorbitant pour sa licence UMTS, son cours de Bourse en pâtira et son principal actionnaire perdra de la valeur » (David de Rothschild).
Quelques propositions
Il existe toutes sortes d’enchères, avec des propriétés différentes. Il ne s’agit pas ici de faire une comparaison systématique de toutes les variantes qui ont été proposées, mais plutôt d’identifier les formes d’enchères pertinentes pour le cas français.
Enchères combinatoires
Ces enchères, très discutées aujourd’hui dans les milieux académiques, sont pertinentes lorsqu’on veut laisser les acteurs déterminer la structure du marché. Par exemple, on crée des licences locales et on laisse les acteurs agréger ces licences locales comme ils le souhaitent. De telles préoccupations n’existent pas s’il s’agit d’allouer quatre licences nationales essentiellement équivalentes.
Enchères séquentielles
On met les licences aux enchères l’une après l’autre. Il peut s’agir d’enchère orale ou sous pli fermé (ce type d’enchère a été utilisé au Brésil, aux Etats-Unis et en Suisse). Un inconvénient de ce type d’enchère est qu’elle peut conduire à des prix très différents pour des biens similaires.
Enchères simultanées sous pli fermé
Il existe deux variantes de ces enchères. Dans la première, on fait payer aux quatre participants qui ont fait les annonces les plus élevées le prix qu’ils ont effectivement annoncé (enchère dite au premier prix). Dans la deuxième, on leur fait payer le prix annoncé par le premier perdant, c’est-à-dire le cinquième enchérisseur (enchère dite au second prix utilisée en Nouvelle-Zélande).
Enchères simultanées montantes avec des règles d’activité et d’arrêt pour en limiter la durée
C’est la formule la plus courante (Australie, Canada, Guatemala, Mexique, Etats-Unis, Royaume-Uni) et celle que nous avons décrite plus haut. Ce type d’enchère a la vertu de faire révéler de l’information aux participants, ce qui dans le contexte de valeur commune atténue leur crainte de la malédiction du vainqueur et les fait enchérir plus haut. En autorisant diverses formes de retraits, ce type d’enchère favorise l’agrégation efficace de licences. Cette deuxième vertu est non pertinente ici et la première perd de son intérêt étant donné l’expérience accumulée dans les autres pays.
Ces enchères doivent s’accompagner de cahiers des charges concernant la régulation de l’interconnexion, la qualité, la couverture, la vitesse de déploiement des réseaux, etc. On peut également imaginer des enchères multidimensionnelles où on laisse, après l’annonce d’une formule d’agrégation bien spécifiée, les entreprises s’engager sur des niveaux de qualité, couverture, etc., que l’on combine avec le prix offert pour la licence.
Si l’on s’en tient à l’attribution de quatre licences égales, nous donnons ci-dessous à titre d’exemple deux types d’enchères qui peuvent être envisagées après avoir bien spécifié les règles de fonctionnement du marché des mobiles (interconnexion, revente, qualité ainsi que des contraintes de couverture du territoire).
Enchères 1
Une mise aux enchères sous pli fermé au plus haut prix de la quatrième licence est proposée à un sous-ensemble de candidats sélectionnés sur des critères de qualité, financiers, etc. Les trois titulaires de la licence GSM s’acquittent aussi de ce plus haut prix pour acquérir la licence UMTS. S’ils refusent, une autre enchère est organisée avec les licences abandonnées.
Enchères 2
Une mise aux enchères montantes simultanées des quatre licences est organisée. L’organisateur garde le contrôle de l’accroissement du prix unique et s’arrête lorsqu’il n’y a plus que quatre participants. Bien sûr, dans ce cas, comme dans le précédent, de nombreux détails supplémentaires seraient à préciser.
Jacques Crémer et Jean-Jacques Laffont
Commentaire n°93
1 : Pour l