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Des raisons d’être optimiste pour l’avenir de la liberté

samedi 22 avril 2006

Souvenez-vous qu’il y a à peine vingt ans, la presque totalité des gens lisaient tout au plus un quotidien par jour, peut-être aussi un magazine d’affaires publiques, et s’informait en écoutant l’un des quelques postes de télévision et de radio disponibles. Les débats dans les grands quotidiens offraient rarement autre chose que les lieux communs des principales factions politiques. Essayer de faire passer un point de vue différent de ce qui était perçu comme légitime dans l’un de ces médias était pratiquement chose impossible.

Quelques magazines difficiles à dénicher offraient bien des perspectives plus marginales, mais justement, il s’agissait de débats en vase clos au sein de groupuscules, qui n’atteignaient que rarement la masse des gens. Trouver un livre relativement rare n’était pas non plus chose facile, à moins d’avoir accès à une bibliothèque universitaire. Et encore. Les plus vieux se souviendront de la difficulté à trouver un livre sur un sujet précis en cherchant dans des tiroirs remplies de petites fiches dactylographiées.

Pendant mes études universitaires, je n’ai aucun souvenir d’un professeur qui ait parlé de l’École autrichienne ou de libertarianisme dans un cours de science politique ou d’économie. C’est en lisant un article du Financial Times de Londres au début des années 1990 que j’ai pour la première fois entendu parler de Ludwig von Mises. Ça a piqué ma curiosité. Heureusement, la bibliothèque de l’Université McGill possédait une copie de Human Action. Dès les premières pages, j’y ai découvert la perspective méthodologique individualiste et subjectiviste sur les phénomènes sociaux que j’essayais confusément de développer par moi-même depuis quelques années, sans savoir que d’autres l’avaient fait bien avant moi (voir « Durkeim’s Collective Conscience »). D’autres textes sur le sujet (livres ou magazines) étant difficiles à trouver et à obtenir, il m’a tout de même fallu encore quelques années avant de pouvoir vraiment me familiariser avec tous les aspects de cette pensée.

Lorsque j’ai pour la première fois rencontré d’autres libertariens québécois, il y a exactement dix ans, nous n’étions littéralement qu’une poignée qui connaissaient ces idées dans tous le Québec. Il n’existait aucun moyen rapide de savoir si d’autres pensaient comme nous. Dans un tel contexte, tenter de faire connaître une philosophie inconnue ou de mettre sur pied un nouveau mouvement politique s’avérait une entreprise ardue et de très longue haleine.

Le déferlement de l’extrême gauche

Il est vrai que les idées d’extrême gauche se sont répandues comme une traînée de poudre au Québec et ailleurs en Occident dans les années 1970. Mais cela a pu survenir en grande partie grâce à l’appui institutionnel procuré par les universités et les syndicats. Des dizaines de milliers d’étudiants en sciences sociales endoctrinés par des professeurs marxistes et se préparant à être embauchés dans la fonction publique constituaient de fait un terreau fertile pour de telles idées. Les syndicats, renforcés en nombre par la croissance rapide du fonctionnariat et en puissance par l’octroi de privilèges légaux toujours plus nombreux, ont naturellement fait la promotion d’une doctrine qui les avantageait.

Ce n’est bien sûr pas une coïncidence s’il s’agit là de deux créatures essentiellement étatiques, qui n’existeraient pas sous la même forme dans une société libre. Si nous avions un État minimal, la presque totalité des étudiants aspireraient à se trouver un emploi utile dans le secteur privé au lieu de rêver à une sinécure dans le secteur public.

De même, dans des universités privées où ils devraient payer le plein coût de leur formation, beaucoup moins d’étudiants perdraient leur temps à apprendre les secrets du marxisme, du keynésianisme, du structuralisme, du déconstructionnisme et de la perspective lesbienne féministe sur les contes populaires des paysannes du Guatemala. Des collèges et universités privés dynamiques, en concurrence les uns avec les autres, s’arrangeraient pour offrir des formations pertinentes et n’auraient sans doute pas engagé autant d’idéologues ignorants comme professeurs.

Dans un État minimal, il y aurait aussi évidemment beaucoup moins de fonctionnaires syndiqués. Dans le secteur privé, les associations volontaires d’employés (c’est-à-dire des syndicats dont les membres individuels seraient libres d’y adhérer ou non, au contraire de la mafia syndicale qui impose légalement ses diktats à tous en ce moment) s’occuperaient essentiellement de protéger les intérêts de leurs membres, et non de servir de courroie politique aux apparatchiks qui gèrent aujourd’hui ces organisations.

À moins d’être Conrad Black et d’avoir des centaines de millions à investir dans une chaîne de journaux, il est impossible d’avoir un tel impact au moyen d’institutions privées. Conrad Black a pu changer la tournure des débats au Canada anglais en achetant la chaîne de quotidiens Southam, en fondant le National Post et en imposant une ligne éditoriale correspondant à ses vues (plus libérales sur le plan économique mais aussi conservatrices sur les questions sociales et néoconservatrices sur les questions internationales) à ses nouveaux journaux.

L’effet Internet

L’arrivée d’Internet a toutefois tout changé. Aujourd’hui, tous les journaux, tous les magazines du monde sont disponibles en quelques clics de souris. Avec la numérisation des bibliothèques qui est en cours, c’est toute la connaissance de l’humanité qui sera bientôt sur le Web. En cherchant un peu, on peut rapidement découvrir tous les points de vue imaginables. On peut se familiariser avec une philosophie en une fin de semaine.

Les « barrières à l’entrée » sont de même spectaculairement plus basses pour ceux qui veulent disséminer leur point de vue. Plus besoin de capitaux importants, de contacts difficiles à établir, de réseaux de distributions coûteux à développer. Faire découvrir de nouvelles idées est maintenant relativement facile pour les entrepreneurs intellectuels qui s’en donnent la peine et qui sont capables de s’associer avec d’autres pour créer un produit de qualité.

Le QL est passé en sept ans d’un petit site animé par quelques amis à l’un des plus importants sites indépendants au Québec et dans la Francophonie(1). Il reçoit plus de 80 000 visiteurs uniques du monde entier chaque mois, compte des collaborateurs sur trois continents qui écrivent en deux langues, et son message de mise à jour est envoyé à plus de 1000 abonnés. Le « page ranking » très élevé que lui accorde Google (à cause du nombre important de liens en provenance d’autres sites) lui assure une visibilité extraordinaire sur le Web. Il est pratiquement impossible de faire des recherches sur des questions économiques, politique ou sociales sur le Web sans tomber régulièrement sur des articles du QL.

Des gens qui n’auraient sans doute jamais découvert la philosophie libertarienne sans le Web peuvent maintenant s’abreuver à cette source et à bien d’autres. Certains qui étaient en fait des libertariens sans le savoir s’en rendent compte en nous lisant. Nous recevons régulièrement des messages qui disent en gros : « Je suis tellement heureux d’avoir trouvé votre site et découvert la philosophie libertarienne. Ça fait longtemps que je pense comme vous, mais je croyais être seul à avoir ces idées. » La seule existence d’une alternative qui s’exprime change complètement la situation, en permettant de mettre en contact des individus jusqu’ici isolés et sans voix, sans aucune limite géographique.

La concurrence des idées

Maintenant que nous pouvons rivaliser plus directement avec les doctrines collectivistes et étatistes, en contournant les médias conventionnels qui parlent encore peu de nous (mais cela aussi change, les journalistes peuvent de moins en moins ignorer un courant d’idées qui semble de plus en plus influent), il y a toutes les raisons de croire que nos idées vont continuer à se répandre.

D’abord parce que lorsque les idées libertariennes se retrouvent sur le même pied que les autres sur le marché des idées, elles ont d’excellentes chances de s’imposer. Les explications libertariennes sont conformes à la raison et aux faits, alors que celles des étatistes sont fondées sur des mythes. Les illettrés économiques de gauche n’ont par exemple aucune explication logique des mécanismes économiques. Ils ne comprennent pas comment la croissance économique se produit, ne portent aucune attention à des notions telles la productivité, l’information contenue dans les prix ou les préférences temporelles, et sont trop obsédés à dénoncer l’horreur du profit pour en voir l’utilité économique (voir « À quoi sert le profit ? »).

Tous les modèles de planifications centralisée et d’interventionnisme étatique ont échoué. Dans notre société, l’économie privée se porte bien, alors que tous les secteurs étatisés comme la santé et l’éducation sont constamment en crise. Il devient de plus en plus difficile de nier que l’économie de marché est le seul système possible qui favorise la prospérité. Les gens intelligents qui sont enfin confrontés aux idées libertariennes vont s’en rendre compte de plus en plus.

Nous sommes à l’aube d’une ère de dynamisme économique sans précédent dans l’histoire de l’humanité avec la mondialisation capitaliste qui prend de l’ampleur et l’intégration de la Chine et de l’Inde dans ce grand marché global. Il y a une génération, l’Asie était encore affligée par les famines. Aujourd’hui, des centaines de millions d’Asiatiques accèdent à une vie confortable grâce à l’ouverture des marchés et au retrait graduel de la planification étatique. Seule l’Afrique, encore largement à l’écart des réseaux de l’économie mondiale et dominée par des tyrans liberticides, n’a pas encore compris la recette du développement.

Parce qu’elles sont fondées sur des mythes, les idées collectivistes ont également besoin d’unanimité, de consensus. Toute la logique collectiviste dépend d’une « conscientisation » des masses, d’une mobilisation collective en vue d’atteindre des buts abstraits et inatteignables. Cette mobilisation est très coûteuse sur le plan humain, difficile à maintenir longtemps, et il est de toute façon impossible d’atteindre l’utopie visée. Lorsque ces mouvements réussissent à atteindre en partie leurs objectifs politiques, il y a d’ailleurs toujours des effets pervers à l’interventionnisme étatique, qui font que les structures créées n’atteignent jamais les objectifs désirés, sont constamment en crise et sur le bord de la faillite. Il faut soit les renflouer avec des fonds publics, soit imposer de nouvelles mesures coercitives, au risque de les voir s’effondrer, comme c’est arrivé à l’URSS et au bloc communiste. C’est pourquoi les militants étatistes trouvent constamment des raisons d’être déprimés, comme on peut le constater en lisant leurs blogs et leurs magazines.

Au contraire, pour marquer des points, les libertariens n’ont qu’à expliquer la logique de l’action humaine dans un contexte de liberté et de coopération volontaire et montrer à quel point la civilisation dans laquelle nous vivons s’appuie sur ces notions et en dépend pour se perpétuer. Aucun besoin d’appel à l’action collective et à la mobilisation. Un citoyen ordinaire qui croit à l’idéal libertarien peut faire un tas de choses utiles tout seul chez lui. Cesser de se laisser manipuler par la propagande étatiste des politiciens et des groupes de pression. Rester indifférent lorsque la prochaine fausse crise nécessitant une intervention urgente de l’État fera la manchette des journaux. Se désengager de tout mouvement qui s’appuie sur ces mythes collectivistes. Refuser de participer à toute action qui vise à augmenter le pouvoir coercitif de l’État. S’organiser le plus possible sans faire appel à l’État et toujours recourir à une alternative privée lorsqu’il y en a une.

Chaque fois que quelqu’un, dans sa vie quotidienne, se prend ainsi en charge, se met à l’écart des mouvements collectivistes et, dans la mesure du possible, hors de portée de la pieuvre étatique, notre mouvement avance. Chaque fois qu’un individu de plus exerce sa souveraineté individuelle, l’État et les mouvements collectivistes reculent. Toutes ces petites actions ont l’effet d’un acide qui dissout les pseudo consensus et la fausse unanimité sur lesquels comptent nos adversaires pour faire avancer la tyrannie. L’utopie (généralement sanglante lorsqu’elle est poussée à l’extrême) des collectivistes ne peut se maintenir sans un appui enthousiaste d’une proportion significative de la population. Simplement en leur refusant cet appui, nous leur mettons des bâtons dans les roues. Et grâce à Internet, nous sommes de plus en plus nombreux à le faire consciemment et délibérément.

Conditions objectives

Ce n’est sans doute pas demain que nous pourrons vivre dans une société véritablement libérée des diktats des apparatchiks qui cherchent par tous les moyens à contrôler notre travail, notre éducation, notre santé, notre culture, notre alimentation, et pratiquement tous les autres aspects de nos vies. Les États n’ont pas cessé de grossir au 20e siècle, et ce n’est que très récemment que cette croissance a ralenti. Mais il y a tout lieu d’être optimiste pour le 21e siècle. Pour employer un jargon marxiste, les « conditions objectives » sont là pour que nous assistions à une renaissance et à une radicalisation de la grande tradition libérale qui a permis l’émergence de la civilisation.

Notes

1. Le site DixRank, un répertoire qui mesure le trafic et l’audience par le biais d’outils de recherche et de barres d’outils, place le QL au 177e rang parmi 33 000 sites francophones répertoriés

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