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Sur la crise des subprimes
L’échec d’un Etat pas assez libéral
mercredi 15 octobre 2008
La cause essentielle de cette crise provient en effet de l’extraordinaire variabilité de la politique monétaire américaine au cours des années récentes. Or celle-ci est bien évidemment décidée par des autorités publiques et non déterminée par le marché. C’est ainsi que la Fed est passée d’un taux d’intérêt de 6,5 % en 2000 à un taux de 1 % en 2003. Il y eut ensuite une lente remontée à partir de 2004 jusqu’à atteindre 4,5 % en 2006. Pendant toute la période de bas taux d’intérêt et de crédit facile, le monde a été submergé de liquidités. Afin de profiter de cette magnifique occasion de profits faciles, les établissements financiers ont accordé des crédits à des emprunteurs de moins en moins fiables, comme l’a montré la crise des « subprimes ». Lorsque l’on est revenu à des taux d’intérêt plus normaux, les excès du passé sont apparus au grand jour. C’est l’éclatement de la « bulle financière ».
Or les conséquences néfastes de cette politique ont été aggravées par plusieurs phénomènes. Tout d’abord, le sens de la responsabilité à l’égard du risque est émoussé parce qu’il est implicitement admis que les autorités publiques ne laisseraient pas se produire des faillites importantes en cas de difficultés (ce que confirme en partie le comportement actuel des autorités américaines). En particulier, les deux grands pourvoyeurs de crédits « subprime », Fannie May et Freddie Mac - initialement créés par l’Etat américain - bénéficiaient de garanties étatiques privilégiées qui les ont conduits à prendre des risques très excessifs.
Par ailleurs, la réglementation financière elle-même est la source d’effets pervers. Il en est ainsi de l’obligation imposée aux banques par l’accord de Bâle II de maintenir un ratio de fonds propres égal à 8 % de leurs avoirs. Devant les opportunités de gain formidables créées par la politique de bas taux d’intérêt de la Fed, les banques ont voulu développer au maximum leurs crédits, tout en maintenant le ratio imposé par la réglementation. Dans ce dessein, elles ont cherché à contourner la réglementation - comme cela est toujours le cas - en se débarrassant d’une partie de leurs encours vers d’autres organismes, par exemple fonds d’investissement et SIV (Special Investment Vehicles). Une partie des crédits accordés par les banques ont ainsi disparu de leurs bilans, leur permettant d’accroître leurs prêts dans le respect apparent de la réglementation.
Certes, on peut considérer comme souhaitable que les fonds propres soient « suffisants » par rapport aux fonds prêtés. D’ailleurs, au XIXe siècle, les fonds propres des banques représentaient le plus souvent 60 à 80 % de leur bilan : les banquiers prêtaient les fonds qui appartenaient à leurs actionnaires et le ratio élevé (et désiré) de fonds propres constituait une garantie formidable de stabilité pour les actionnaires comme pour les clients des banques. Les banquiers étaient alors de vrais capitalistes - c’est-à-dire des propriétaires de capital. Ils étaient responsables en tant que tels.
A notre époque, on a cru possible de fonder le développement économique sur le crédit et non pas sur les fonds propres. Par ailleurs, une grande partie du crédit provient d’une création ex nihilo, à savoir la politique monétaire expansionniste, et non d’une épargne volontaire. Simultanément, le dépérissement du capitalisme - résultant lui-même bien souvent de l’interventionnisme étatique - a fait en sorte que les grandes banques ne sont plus dirigées par des capitalistes, propriétaires du capital, mais par des managers qui, ne supportant pas eux-mêmes les risques de l’actionnaire, sont tentés de maximiser les profits à court terme.
Dans le monde capitaliste du XIXe siècle, plus stable que le monde financier actuel, le crédit bancaire résultait des décisions des actionnaires des banques. Dans l’univers étatisé de notre époque, c’est le contraire qui se passe. On impose arbitrairement un ratio de fonds propres qui ne fait que mimer un vrai monde capitaliste, mais cela conduit à l’apparition de bulles financières. Les établissements de crédit maximisent le montant de leurs crédits et essaient ensuite par des manipulations de présenter un ratio de fonds propres conforme à la réglementation. Une réglementation qui impose un résultat ne remplacera jamais le libre jeu des décisions d’êtres humains responsables (c’est-à-dire capitalistes). C’est pourquoi les appels constants lancés de nos jours en faveur d’une plus forte réglementation des marchés financiers ne sont pas fondés.
Certes, on peut reprocher aux établissements financiers de n’avoir pas été plus prudents. Cela résulte des structures institutionnelles de notre époque que nous avons rappelées. Mais cela reflète aussi le fait que l’information ne peut jamais être parfaite : un système capitaliste n’est pas parfaitement stable, mais il est plus stable qu’un système centralisé et étatique. C’est pourquoi, au lieu de stigmatiser une prétendue instabilité du capitalisme financier, on devrait stigmatiser l’extraordinaire imperfection de la politique monétaire. On peut regretter que les managers des grandes banques n’aient pas été plus lucides et n’aient pas mieux évalué les risques qu’ils prenaient dans un monde où la politique monétaire est fondamentalement déstabilisatrice. Mais c’est précisément et surtout ce caractère déstabilisant de la politique monétaire que l’on doit déplorer. Arrêtons donc les procès faits à tort au capitalisme et recherchons au contraire le moyen de libérer les marchés financiers de l’emprise étatique.
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Article initialement paru dans Les Echos, le mercredi 15 octobre 2008.