Accueil > Société > Environnement & écologie > Critique de Ma vérité sur la planète
Critique de Ma vérité sur la planète
Texte paru initialement dans les Mélanges en l’honneur du lauréat du Prix Wikibéral 2008
samedi 25 octobre 2008
Présentation
Claude Allègre, géophysicien, est une autorité scientifique reconnue. Il a remporté en 1986 le Prix Crafoord, l’équivalent du Nobel pour la géologie. En 1987, c’est la médaille Wollaston qui vient récompenser ses travaux. En 1994, il reçoit la médaille d’or du CNRS, la plus haute distinction scientifique française. Il est aussi dans le trio de tête des scientifiques français les plus publiés dans Science et Nature, les plus prestigieuses revues scientifiques. Il est membre des académies des sciences française, américaine et indienne, ainsi que de la Royal Society. Parallèlement à cette carrière scientifique, il mena une carrière politique qui l’amena au conseil national du Parti socialiste et au poste de ministre de l’éducation nationale entre 1997 et 2000.
Depuis plusieurs années, il fait également parler de lui par son refus du catastrophisme en matière environnementale et son appel à reconsidérer le dogme du réchauffement climatique, promu par une « secte verte » qui a tout intérêt à manier la peur. Cet ouvrage s’inscrit dans cette veine militante : « Ma vérité sur la planète a été écrit initialement pour réagir contre une écologie fondée sur l’irrationnel, sur le réactionnel et finalement dirigée contre la civilisation ». Première victime du plaidoyer de Claude Allègre, Nicolas Hulot et son « pacte écologique ». Également visés, les anti-OGM et, plus généralement, les adversaires du progrès scientifique de tout bord.
Avec une telle ligne directrice, le lecteur attaché à la liberté de pensée et à la confrontation des opinions ne peut qu’être intéressé. Le titre lui-même n’est-il pas révélateur ? Ma vérité sur la planète. Ce que je pense vrai au vu de mes connaissances scientifiques et de l’usage de ma raison. Pas une vérité d’essence supérieure, inspirée par une Nature divinisée et à imposer par la force comme l’entendent Al Gore, les tenants de l’éco-fascisme comme Pentti Linkola ou ceux voulant faire punir par la justice le « négationnisme » à propos du réchauffement climatique (sic). Claude Allègre entend apporter sa pierre au débat, non imposer sa version par la coercition au nom d’un idéal quelconque. La démarche est éminemment libérale comme l’ont montré les travaux épistémologiques de Karl Popper ou Michael Polanyi [1]. Claude Allègre revendique cette liberté de pensée dans le domaine écologique dans l’ouvrage et c’est heureux.
A l’opposé de cette défense de la liberté scientifique, il décrit en détail la « secte verte » et ses membres. Parmi les « gourous » figurent le « bon », Nicolas Hulot, la « brute », José Bové et le « truand », Al Gore, tous coupables de plus ou moins gros arrangements pour faire triompher leur foi [2]. Car, Allègre le souligne, cet écologisme extrême est une religion, voire une secte. Cette remarque est d’ailleurs faite sienne par Nicolas Hulot qui, parlant de l’écologie, n’hésite pas à la comparer à une religion, dans laquelle « il y a beaucoup de croyants et peu de pratiquants » [3]. Et les propos de Nicolas Hulot que cite Claude Allègre ne sont pas pour rassurer le lecteur sur sa modération [4] : « La modernité a profané la sphère du sacré », ou « le temps de l’information, du débat, des controverses est révolu ». Allègre ne se limite pas à Hulot, Bové ou Gore mais s’attaque pareillement aux scientifiques qui sont prêts à manier le catastrophisme pour faire parler d’eux et s’attirer des subventions.
En réponse à l’obscurantisme ou au catastrophisme des membres de la « secte verte », Claude Allègre propose une écologie fondée sur le progrès scientifique et le refus de la peur. Si l’on peut parfois s’interroger sur un certain flou dans ses propositions, les grandes lignes en sont plus séduisantes que le néo-luddisme des premiers. Allègre se fait par exemple l’avocat des OGM, seuls à même de réduire l’utilisation des engrais et d’économiser les ressources en eau. De même pour l’énergie nucléaire, que les écologistes cohérents devraient soutenir vus les rejets de CO2 qu’elle permet d’éviter. Il se fait aussi, malheureusement, l’avocat de grands plans aux noms pompeux pour des causes plus ou moins justes, voire techniquement peu viables comme les piles à hydrogène. Convaincu des bienfaits de la voiture hybride ou de la voiture électrique, il demande leur généralisation avec l’aide de l’Etat, alors que l’histoire nous montre que cette aide a rarement eu un effet positif. La voiture hybride n’a pas décollé avec l’intervention étatique mais par le jeu du marché, quand Toyota commercialisa la Prius. Claude Allègre l’oublie et reste prisonnier des schémas intellectuels étatistes, pourtant notoirement inefficaces. Des propositions bien peu libérales parfois donc.
Cela relativise l’intérêt du message pour un prix libéral, d’’autant plus quand des passages résolument antilibéraux jalonnent le livre de façon un peu incongrue. Ainsi, Claude Allègre ne rechigne pas à écrire : « Que les écologistes de tous bords sachent bien que le premier produit qui pollue la planète c’est l’argent ! En écologie comme ailleurs » [5]. Dur de voir dans ce combat la moindre once de libéralisme !
Malgré ce dernier point, Allègre nous donne un livre enlevé, plein de détermination. C’est le revers du titre que nous venons de saluer ; ma vérité est très tranchée, ne laisse que peu de place à certaines préoccupations pourtant juste du mouvement écologiste. La question du recyclage par exemple, qu’Allègre soutient, n’est traité que bien tardivement et succinctement. De même, certaines exagérations, si elles sont utiles pour une œuvre polémique, peuvent nuire au sérieux général de l’ouvrage.
Pourquoi nominer Ma vérité sur la planète ?
Même si Claude Allègre n’a pas remporté, cette année du moins, le prix Wikibéral, on pourrait se demander pourquoi un prix du livre libéral devrait récompenser un travail sur l’environnement. Parmi les nominés figurait en outre C’est trop tard pour la terre de Cécile Philippe de l’Institut Economique Molinari [6], preuve d’un tropisme libéral pour les questions environnementales.
La volonté de promouvoir la liberté de pensée dans le champ scientifique face aux dogmes religieux ou apparentés ne suffit pas à expliquer cet attrait. Si la question écologique intéresse et parfois inquiète les libéraux, c’est que leur sensibilité aux menaces sur la liberté leur fait voir avec plus d’acuité que d’autres combien les mesures les plus extrêmes des écologistes mettent en péril les fondements de nos démocraties libérales.
Il faut se garder de tout catastrophisme et ne pas faire de n’importe quel amoureux de la nature un totalitaire en puissance. Cependant, l’environnement peut être le prétexte à une nouvelle augmentation du pouvoir et à des dérives dangereuses de la part des personnes les plus assoiffées de puissance. Même les personnes les mieux intentionnées ne sauraient très probablement pas gérer les pouvoirs immenses dont certains écologistes voudraient voir dotés les gardiens l’écologiquement correct. Souvenons-nous de Lord Acton : « le pouvoir absolu corrompt absolument ». Si Nicolas Hulot exprime son admiration pour Olivier Besancenot [7], ce n’est pas par hasard. Si l’extrême droite avec en particulier le GRECE d’Alain de Benoist a fait de la décroissance son cheval de bataille , ce n’est pas un hasard. En conférant à l’État des pouvoirs sans limites au nom de la protection de l’environnement, on ne fait qu’attirer ceux qui veulent plus de pouvoir personnel pour appliquer leurs idéologies liberticides et mortifères.
Claude Allègre est malheureusement trop discret sur ce point, et c’est l’un des manques essentiels de son ouvrage. Il cantonne généralement la question à l’économie, écrivant ainsi : « Le pacte de Nicolas Hulot conduirait la France à régresser d’un demi-siècle. Ce catastrophisme éclairé [...] créerait chaque année plusieurs centaines de milliers de chômeurs et conduirait à mettre en place un système de rationnement comme nous n’en avons pas connu depuis l’occupation allemande ». De même, les mesures prônées par le conseiller de Hulot Jean-Marc Jancovici (limitation à un voyage en avion par an, limitation des distances autorisées en voiture, etc.) ne sont attaquées que sur leurs conséquences économiques néfastes. Mais quid du véritable assignement à résidence qu’elles représentent ? Face à ce qui est une introduction du passeport intérieur, l’argument économique est bien insuffisant ! L’argumentation de Claude Allègre oublie l’essentiel et surtout est très facilement parable par des arguments économiques flous. A l’inverse, la menace sur les libertés essentielles que sont la liberté de circulation ou la liberté de pensée est, elle, avérée et souvent revendiquée. Claude Allègre ne les mets en avant qu’en passant [8] et c’est regrettable, étant donné le risque réel que des idéologies comme la décroissance ou l’éco-fascisme font peser sur nos libertés individuelles. Le président tchèque Václav Klaus l’a fait de façon autrement plus claire lors de la remise du prix Nobel de la paix à Al Gore : Quand Claude Allègre pointait les approximations de l’ancien vice-président, Klaus déclarait : « Qu’Al Gore mette en doute les piliers de la civilisation actuelle n’apporte pas trop à la paix » [9].
Allègre, un libéral ?
Cette critique de Ma vérité sur la planète est l’occasion de se pencher plus en détails sur le « cas Allègre » et sur l’aura qu’il a acquis dans les cercles libéraux. Après tout, n’a-t-il pas été nominé pour le prix liberaux.org et pour le prix Wikibéral ? Alors Allègre, un libéral qui s’ignore ?
Certes, quelques mesures peuvent parler aux libéraux : lutter contre l’isolement de l’université française et permettre un rapprochement du système éducatif du reste de la société, en particulier des entreprises. De même sa phrase célèbre sur la nécessité de « dégraisser le mammouth » montra des préoccupations de meilleure gestion de l’Etat. Mais était-ce la meilleure façon de faire ou une bravade qui, à l’inverse, a bloqué la situation ?
L’image de libéral qu’on associe parfois à Allègre ne tient en effet pas longtemps face à l’analyse des faits. Prenons quelques exemples récents : le 5 mai 2008, il défend lors d’un débat sur France 2 un grand « plan mondial » pour l’agriculture. On peut se demander si le recours à la planification par un gouvernement mondial fait vraiment partie du canon libéral. De même, lors d’un débat face à Nicolas Baverez [10] pour le journal L’Express, il déclare que « le keynésianisme triomphe partout où il est appliqué » (sic), se fait l’avocat d’un marché « encadré » au niveau mondial et d’une banque centrale qui ne se concentre pas uniquement sur l’inflation [11]. Là encore, on est bien loin des idées libérales…
Certes, Claude Allègre a des positions plus proches des positions libérales sur certains sujets que Jean-Luc Mélenchon. Mais faire légèrement mieux que le niveau moyen du PS ou de l’UMP en matière de libéralisme, est-ce vraiment un exploit ? Surement pas un exploit suffisant en tout cas. Les mots ont un sens et dire de Claude Allègre qu’il est libéral participe du même genre de perversion du langage que quand Nicolas Sarkozy ou Bertrand Delanoë se disent libéraux. C’est se montrer complice du même mouvement qui a perverti le sens originel de liberal dans la langue anglaise. Sauf à vouloir être associé aux conséquences néfastes de l’interventionnisme socialisme, les libéraux devraient donc réfléchir à deux fois avant de faire de Claude Allègre un des leurs. Son combat contre l’obscurantisme soit disant écologique rejoint notre combat pour la liberté, c’est déjà bien, mais n’en faisons pas le nouveau héraut du libéralisme !
Pour aller plus loin
* Sylvie Brunel, A qui profite le développement durable ?, Larousse, 2008, ISBN 2035839726
* Laurent Cabrol, Climat : et si la Terre s’en sortait toute seule ?, Le Cherche Midi, 2008, 141 pages, ISBN 274911196X
* Michael Crichton, Etat d’urgence, Pocket, 2007, ISBN 2266165747
* Christian Gérondeau, Ecologie, la grande arnaque, Albin Michel, 2007, 277 pages, ISBN 2226179399
* Jean de Kervasdoué, Les prêcheurs de l’apocalypse, Plon, 2007, 254 pages, ISBN 2259204384
* Václav Klaus, Modrá, nikoli zelená planeta, Dokořán, 2007, 164 pages
* Pierre Kohler, L’imposture verte : Sevezo, ozone, amiante, dioxine, pluies acides, Albin Michel, 2002, 280 pages, ISBN 2226132767
* Sophie Lepault, Il faut désobéir à Bové, La Martinière, 2005, 233 pages, ISBN 2846751617
* Bjørn Lomborg, L’écologiste sceptique, Le Cherche Midi, 2004, 742 pages, ISBN 2749101840
* Cécile Philippe, C’est trop tard pour la terre, JC Lattès, 2007, ISBN 2709629104
* Guy Sorman, Le progrès et ses ennemis, Fayard, 2001, ISBN 221361007X
* Recueil d’articles du National Post canadien, « The Deniers » : http://www.nationalpost.com/story.html?id=22003a0d-37cc-4399-8bcc-39cd20bed2f6&k=0
Ma vérité sur la planète, de Claude Allègre, Plon, 237 pages, 2007.
Illustration sous licence Creative Commons : Global Warming. The Earth became the newest Waterworld.
[1] En particulier dans La logique de la liberté, dont on trouvera une présentation sur l’encyclopédie Wikibéral
[2] Allègre, 2007, p.41 de l’édition ebook
[3] Hulot : "C’en est fini du libéralisme" », Le Journal du Dimanche, 30 mars 2008
[4] Allègre, 2007, p.32-33 de l’édition ebook
[5] Allègre, 2007, p.44 de l’édition ebook
[6] Cécile Philippe, C’est trop tard pour la terre, JC Lattès, 2007, ISBN 2709629104
[7] « Hulot : "C’en est fini du libéralisme" », Le Journal du Dimanche, 30 mars 2008
[8] Page 33 de l’édition ebook par exemple, il écrit, dans une incise, « La démocratie, la liberté de parole auraient-elles fait leur temps ? »
[9] « Le prix Nobel de la Paix ne fait pas l’unanimité », site du Nouvel Observateur, 13 octobre 2007
[10] Le simple fait de l’opposer à Nicolas Baverez, figure associée au libéralisme par les journaux, montre que le journaliste ne range pas Allègre dans cette catégorie.
[11] Réguler le libéralisme ? », L’Express, débat entre Nicolas Baverez et Claude Allègre, 22 juin 2006
Messages
1. Critique de Ma v, 31 octobre 2008, 11:02, par Copeau
Excellente critique, merci Lexington.