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après les élections européennes de 1999
Faut-il sauver la droite ? (1)
« La révolution libérale rend l’opposition schizophrène »
jeudi 8 juillet 1999
T rois défaites électorales en trois ans ! Confrontée à sa plus grave crise depuis la naissance de la Ve République, comment la droite peut-elle se refaire ? La réponse de Jean-Louis Bourlanges, député européen (élu sur la liste UDF de François Bayrou) qui plaide pour « une pluralité organisée » de la droite en vue de l’élection présidentielle de 2002.
D’où vient cette crise identitaire dans laquelle s’enfonce la droite scrutin après scrutin ?
Sans aucun doute de l’évanouissement de l’exception française, de la remise en cause de l’idéologie jacobine. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, trois certitudes dominent la conscience politique : la confiance dans le progrès et les lendemains qui chantent, l’identification « hugolienne » du destin de la nation au salut de l’humanité et enfin la confiance dans les vertus de l’Etat et d’une conduite volontariste des affaires publiques. Or, paradoxalement la remise en cause très rapide de cette idéologie qui a structuré le discours de la gauche, pénalise surtout la droite.
Pourquoi la droite ne réussit-elle pas à s’adapter à cette mutation ?
Parce que le gaullisme a très fortement investi le champ idéologique du jacobinisme, ce qui a d’ailleurs permis à la droite, minoritaire au début du XXe siècle, de disposer pendant longtemps d’une majorité populaire, large et solide. Or, ce qui fut dans les années soixante une synthèse entre Louis XIV et Rousseau, entre le nationalisme et l’acceptation de la concurrence internationale, entre le capitalisme et la Sécurité sociale ne fonctionne plus. Le libéralisme emporte avec lui tous les modes de régulation stato-centrés, les frontières protégées, l’héroïsme modernisateur auquel le gaullisme a identifié les droites. Ce libéralisme est à la fois irrécusable par la droite et très difficilement gérable par elle dans la mesure où il brouille ses repères idéologiques, brise le pacte gaulliste traditionnel entre catégories dirigeantes et populaires et ruine la confiance des Français dans cette variante actuelle de la noblesse d’Etat qu’est la technocratie. Bref, la révolution libérale rend plus difficile à la droite d’assumer sa vocation conservatrice et la plonge donc dans une véritable schizophrénie. Alain Madelin qui préconise la libéralisation des drogues douces et la mobilité transnationale des travailleurs devant des parterres de charcutiers à chiens policiers illustre à la perfection cette contradiction.
Le 13 juin, avec Pasqua, c’est la tentation nostalgique qui l’a emportée ?
Le dérèglement des droites remonte à la campagne présidentielle de 1995 quand a été récusée la synthèse balladurienne entre libéralisme et conservatisme. Le discours de Chirac a été présenté comme un discours de rupture et de progrès, une volonté de changement, alors que c’était une formidable régression jacobine. C’était un discours fondamentalement nostalgique qui promettait de restaurer le paradis perdu, c’est-à-dire la croissance sans les réformes, le développement indéfini de l’Etat providence, la désinvolture à l’égard des déficits, l’exaltation de l’indépendance nucléaire, et plus généralement la confiance dans les vertus miraculeuses d’un choix politique « comme en 1958 » pour faire repartir le pays de l’avant. C’est ce mensonge fondateur qui n’en finit pas de produire ses effets ravageurs et de désarticuler le septennat chiraquien. Pasqua qui jouait à contre-emploi aux côtés de Balladur en 1995 est devenu le refuge naturel de ceux qui ont pris au sérieux la campagne présidentielle chiraquienne.
Est-ce à dire que le gaullisme est mort ?
Le modèle gaulliste, c’est le despotisme éclairé, c’est-à-dire la modernisation d’un pays dirigé d’en haut par un monarque élu. Or, nous sommes arrivés à un moment où, sous l’effet de la révolution libérale, il y a contradiction entre ce modèle et la modernisation. Le parti gaulliste avec ses structures autoritaires, son idéologie nationaliste et son ambition modernisatrice, ne parvient pas à sortir de cette contradiction que Juppé, avec son libéralisme consulaire, a porté jusqu’à ses limites extrêmes. Il a voulu libérer, moderniser, européaniser la société française, mais il a choisi pour le faire un discours, une méthode, un style, stato-centrés. Son échec laisse le choix entre la nostalgie souverainiste, Pasqua et Villiers - l’association de la chouannerie et du jacobinisme dans un même passéisme - ou la banalisation démocratique, ce qui était en fait le schéma de Balladur. Le problème de la droite, c’est de savoir où va tomber le RPR.
Par-delà les projets, c’est aussi une crise des appareils partisans ?
Il y a un problème spécifique à la droite française liée à une conception transpartisane du leadership : son incapacité ravageuse à mettre en place un mode d’organisation à peu près civilisé de la compétition politique. Même s’il a failli se dérégler au congrès de Rennes, le système socialiste fonctionne : des procédures relativement démocratiques ont permis d’arbitrer en faveur de Jospin en 1995. A droite, la culture gaulliste interdit d’imaginer que le chef puisse naître d’un choix partisan. Tel de Gaulle, le 18 juin, il doit naître de l’Histoire, surgir d’une rencontre miraculeuse entre un homme et un peuple. Dès lors que les partis ne jouent aucun rôle clairement défini dans la sélection des candidats légitimes, les droites sont condamnées pour assurer la transmission du pouvoir à pratiquer le « modèle antonin » de dévolution de l’Empire par adoption : de Gaulle adopte Pompidou, qui adopte Chirac, etc. Une logique de sérail qui oblige à recruter le calife parmi les vizirs se substitue à une logique de compétition démocratique. Dès lors, toutefois que la droite perd le pouvoir, l’adoubement est impossible et le fil de la transmission légitime du pouvoir est brisé. La droite ressemble alors à une confrontation chaotique entre grands féodaux qui arrivent à la campagne présidentielle comme la chevalerie française à Azincourt. (1)
La droite a donc besoin de se démocratiser ?
Elle a besoin de démocratie, c’est-à-dire de pluralité organisée. Quelle que soit la façon dont on qualifie l’organisation souhaitable de l’opposition - parti unique, primaires, parti commun, fédération ou je ne sais quoi -, il faut inventer quelque chose qui permette aux centaines de milliers de sympathisants de la droite et du centre de choisir sereinement celui ou celle d’entre eux qui portera au premier tour les couleurs de 30 à 40 % des Français. De ce point de vue, l’idée d’un « parti du Président » est la négation de ce qu’il faut faire puisque cette idée vise à fermer le jeu pour 2002 au lieu de l’ouvrir. Ce qui n’interdit pas de construire un grand ensemble démocratique et pluraliste, commun à ceux qui veulent construire un équilibre nouveau entre la France et l’Europe, le libéralisme et la solidarité, l’ordre et le changement.
Libération, jeudi 8 juillet 1999
(1) A la bataille d’Azincourt en 1415, pendant la guerre de Cent-ans, la chevalerie fran