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Exemples d’absolu axiomatique
Un article du blog de Copeau
vendredi 28 avril 2006
Un absolu axiomatique, c’est le fait de juger une situation de manière binaire, en bien et en mal, sans tenir compte des circonstances d’espèce, mais aussi sans tenir compte des solutions relatives qui s’appliquent, ou s’appliqueraient, en cas d’absence d’occurrence de la situation. Dire que la situation 1 est néfaste, que la 2 est pire encore, et qu’il faut les combattre, est une excellente chose, à la condition de tenir compte de toutes les autres possibilités, et notamment du fait qu’en l’absence de situation 1 ou 2, c’est la situation 0 qui s’applique. Si 0 est pire que 1 et 2, il faut sérieusement s’interroger sur l’opportunité de refuser 1, sinon 2.
Je pourrais citer une multitude d’exemples, en voici seulement deux.
Le CPE, c’est la précarité. Oui, c’est vrai. Il est incontestablement la promesse d’un statut plus précaire que celui de salarié en CDD, lequel est plus précaire que celui de salarié en CDI, lequel est plus précaire que celui d’agent public, lequel enfin est plus précaire que celui de fonctionnaire.
Pour autant, il s’agit d’un parfait immobilisme axiomatique, un absolu même.
Pourquoi ? Parce qu’on raisonne en vase clos, sans tenir le moindre compte de la face cachée de la lune, ce que Fréderic nommait « ce qu’on ne voit pas ». Comme si on vous soutenait que la coke c’est génial, sans vous préciser que vous risquez l’overdose si vous appuyez un peu trop fort sur l’accélérateur.
Ce qu’on ne voit pas en matière de précarité, c’est le chômage des « encore plus précaires » que les gentils étudiants bien blancs qui après un peu d’intérim sinon quelques contrats de courte durée, finiront bien par trouver un emploi stable et plutôt bien payé. Ces « encore plus précaires » (EPP pour faire simple), ce sont les jeunes souvent moins blancs, aux noms exotiques, demeurant dans des quartiers fort peu résidentiels, et qui eux, quand bien même voudraient-ils travailler, ne le peuvent pas. Sauf à considérer que vigile au carouf du coin est un projet professionnel d’envergure notable. Pour ceux-là, un statut type CPE aurait indubitablement représenté un mieux, il vaut mieux un petit boulot temporaire à la zone permanente. C’est tout simplement plus valorisant, plus structurant et apporte plus de fierté.
Ils n’en bénéficieront donc pas, et c’est bien dommage pour eux. La question n’est pas de savoir si les entreprises allaient en abuser, si elles allaient profiter des failles du projet, car il est évident que le risque était immense. La question, c’est que, objectivement, personne ne s’est posé ce genre de question. On ne raisonnait que dans l’absolu, par absolu axiomatique. La précarité c’est mal, l’absence de précarité c’est bien. Peu importe si l’absence de précarité n’existe pas et ne peut exister. Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
Autre exemple, plus ancien, la limitation de la taille minimale des appartements disponibles à la location, afin d’empêcher que des étudiants ne puissent louer des apparts de 9 m², car on considère qu’on ne peut pas vivre décemment dans une si petite surface. C’est vrai, on ne peut pas y vivre décemment. Mais se pose-t-on la question de savoir si les titulaires de tels logements y auraient vraiment vécu ? Ou seulement dormi ? Est-ce nécessairement mieux de voyager en RER des heures par jour ? Ou n’est-ce pas, là aussi, une parfaite forme de précarité ?
On ne se pose pas la question, on ne raisonne qu’à partir de l’image qu’on a d’une chambre de 9 m², et de la vie difficile qu’on pourrait y mener. On préfère raisonner par absolu axiomatique, plutôt que de voir les choses en face : il y a une alternative, un choix entre deux imperfections plutôt que le bien d’un côté, le mal de l’autre.
Article paru initialement sur le blog de Copeau
Illustration sous licence Creative Commons : Axiom Gallery