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Welcome to the jungle

Un article du blog de Copeau

mercredi 7 juin 2006

La sécurité est à nouveau un thème à la mode, comme lors des élections de 2002. La plupart des candidats de la dernière élection présidentielle – et non seulement Chirac comme on le dit souvent – ont surfé sur ce thème, Chevènement comme Villiers, Bayrou comme Le Pen. A vrai dire presque tous, à l’exception notable de Jospin et de Madelin, qui n’ont pas su ou pas compris l’importance que ce sujet revêtait pour le commun des mortels. Ce n’est pas le signe d’une grande clairvoyance, au surplus à la vue des « événements » (comme on parle d’événements pour évoquer la guerre d’Algérie) de l’automne dernier, dans les banlieues et ailleurs.

Le thème est à nouveau d’actualité disais-je, si j’en crois à la fois les polémiques causées depuis déjà longtemps par les outrances de Sarkozy, et à présent les écarts de langage sinon de conduite de Royal, qui ne sait plus quoi inventer pour se démarquer des autres candidats à la candidature au sein de son parti. Est-elle sincère ? ose-t-elle dire à présent ce qu’elle pensait tout bas depuis toujours ? Brise-t-elle un tabou, celui du décalage flagrant qu’il y a au PS depuis très longtemps, entre une base archaïque et qui croit encore au grand soir, depuis les préaux des écoles et les bancs de l’Education nationale, et une tête qui n’hésite pas à affirmer, en privé exclusivement, que les 35 heures ont été une monumentale connerie, que l’Etat-providence est moribond, que le marché du travail doit être réformé dans le sens d’une plus grande flexibilité ? Je suis relativement bien placé pour savoir ce qui se dit en « off », et croyez-moi, ça défrise souvent plus encore que Ségolène dans les meilleurs moments de sa course aux médias.

Revenons-en à elle un instant. Sur les 35 heures, elle tient à la fois un discours de gauche, en insistant sur la souffrance causée par cette réforme, pour les ouvrières du textile, et toutes celles et ceux qui, comme les ouvriers de Michelin, sont obligés de retourner bosser le samedi matin. A contrario, seuls les cadres auraient bénéficié de cette mesure phase de l’ère Jospin. C’est assez vrai, encore que la véritable injustice soit plutôt celle qui oppose les grandes entreprises, et les PME / artisans et commerçants, qui n’ont droit à rien du tout. Elle affirme que 250 000 emplois auraient été créés, mais c’est probablement faux, et cette réforme a probablement bien plus coûté qu’elle n’a rapporté, de très nombreux rapports internationaux ont fait la lumière sur ce point.

Ségolène tient aussi un discours de « droite » sur ce sujet, lorsqu’elle accuse le gouvernement Jospin d’avoir mis à mal tous ceux pour qui les heures sup permettaient d’arrondir les fins de mois, ou encore d’avoir empêché ceux qui voulaient travailler plus, pour des raisons qui ne regardent qu’eux, de le faire.

Sur la sécurité, la charge est plus rude encore. Des internat-relais à l’encadrement militaire, en passant par les écoles de parents et la mise sous tutelle des allocs, tout le programme du parfait sarkoziste est mis en pratique. L’UMP devra donc probablement faire de la surenchère, si elle veut conserver un minimum d’espace médiatique. Beau programme.

Pardon de tenir des propos d’un gauchisme exacerbé, mais y a-t-il réellement un problème d’insécurité en France ? Non que je nie la difficulté qu’il y a à vivre en banlieue, la montée de l’islamo-fascisme et du racisme anti-blanc. Seuls les socialistes, eux qui la plupart du temps habitent les beaux quartiers, le nient encore. Même les communistes l’ont compris, il y a longtemps déjà.

Mais je doute fort que l’encadrement militaire, ni même policier d’ailleurs, soit la solution. Le véritable problème, c’est que la France se paupérise, que les banlieues sont emplies de djeunz qui ne trouveront jamais de boulot, inemployables qu’ils sont depuis toujours. Merci à l’Education nationale, et à son mode de sélection si particulier, où contourner la carte scolaire est un sport national, où le collège unique a tant d’adeptes, où les filières techniques et l’apprentissage sont si dévalorisées. Ils ne trouveront jamais de boulot, et pour cause, quelle entreprise prendrait le risque de les embaucher, alors qu’elle ne pourra pas (ou extrêmement difficilement) les licencier ? La flexibilité est utile, elle est même vitale, mais elle l’est particulièrement pour ceux qui sans elle ne pourront jamais trouver de travail. Le CPE aurait du leur être réservé, car les diplômés, eux, n’ont pas besoin d’une plus grande flexibilité, ils l’ont déjà.

Réglez le problème du chômage, comme le Royaume-Uni, la Nouvelle Zélande, les Etats-Unis et tant d’autres, et vous aurez réglé la principale source de l’insécurité en France.

La sécurité doit évidemment être assurée dans la limite des fonctions régaliennes de l’Etat. Ce dernier doit exercer le monopole de la violence physique légitime, comme disait Weber. Qu’il existe à Trappes, La Courneuve ou Vénissieux des zones de non-droit, dans lesquelles la police n’ose pas s’aventurer, est scandaleux et doit être réformé. Mais qu’il faille transformer la France de 2007 en Etat-policier est tout autre chose. Je n’ai pas spécialement envie de vivre dans l’île de Manhattan de NY1997. Et comment ne pas voir que nous y allons à grands pas ? de l’état d’urgence décrété aux innombrables caméras présentes dans les lieux publics, de l’interdiction du tabac aux radars automatiques qui émaillent routes et autoroutes, de l’armée qui patrouille dans les gares aux policiers municipaux armés et qui se croient dans un film de John Woo, tout nous mène au rêve spartiate de nos principaux présidentiables. Avec à chaque fois la même bonne conscience, celle de défendre les plus faibles. Les pires bouchers romains, Caligula et Scipion en tête, prétendaient eux aussi défendre le bon peuple, contre les corps intermédiaires. Ils n’ont su que les envoyer se faire déchiqueter par ceux qui n’étaient pourtant pas leurs ennemis, mais ceux de leur Prince, et ont massacré tous les opposants, de toutes les manières que l’esprit humain peut imaginer.

Belle perspective, là encore.

La France, dont la puissance économique, et donc militaire, est en déconfiture, remplace le casque du troufion par le képi du flic. A défaut d’avoir de quoi taper du poing sur la table, elle espère faire illusion en tapant les manifestants et les beurs. En misant sur la démagogie, on gagne toujours il paraît. L’insécurité, c’est un peu comme le cul : on est sûr, à tous les coups, de faire une grosse audience. Peu importe si on raconte à peu près n’importe quoi. Ou si on fait courir un danger immense pour l’avenir.

Or nous n’avons besoin ni de GI Joe, ni d’inspecteur la Bavure. Pas plus que de baby sitters, hormis toutefois si ces dernières sont blondes avec des gros seins, auquel cas on peut encore discuter un peu.


- Article paru initialement sur le blog de Copeau

- Illustration sous licence Creative Commons : Police Squad in Colour !

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