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Sur les « peines plancher »
Un article du blog de Copeau
mardi 14 novembre 2006
Sarko veut obliger le juge à condamner selon un barème préétabli, du moins quant à son plancher. On dit qu’agir ainsi, c’est tourner le dos à tout l’héritage judiciaire français, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme. Ce formalisme me semble inutile et néfaste. Inutile, car ce n’est pas le problème : rien n’empêche d’innover, et innover c’est par définition proposer quelque chose qui n’existait pas auparavant, qui, donc, peut entrer en contradiction avec ce qui existait déjà. Néfaste, parce que ce formalisme détourne de la vraie question, qui est le fond et non la forme, du problème.
Et le fond du problème, c’est bien le degré de liberté qu’on laisse aux juges de juger.
Rappelons tout d’abord deux choses : d’une part, l’individualisation des peines est récente (elle date du code pénal Badinter de 1994) ; d’autre part, elle n’est pas totale (il existe encore des peines plancher, par exemple les peines criminelles assorties d’une période de sûreté). Enfin, il y a le cas particulier des récidivistes, qui encourent toujours des peines deux fois plus lourdes que les autres.
Je pense que cette automaticité par le bas des peines est une mauvaise chose. Elle comporte en effet deux biais, non pas théoriques, mais que l’histoire a déjà démontré. Comme le dit Serge Portelli, président de la chambre correctionnelle de Paris,
« Au début du XIXe siècle, les jurys préféraient déclarer des coupables innocents plutôt que de les voir condamnés à des peines fixes trop fortes dont ils ne voulaient pas ».
C’est un argument de poids, qui me semble vrai encore aujourd’hui, le cas de Marc Cécillon peut du reste en être une bonne illustration.
L’autre biais, c’est celui du but, de la finalité de la peine. Sans vouloir faire du sous-Michel Foucault, que je vous invite à lire ou relire, la peine me semble-t-il sert à amender le coupable, pas à l’enfoncer. Pour qu’il s’amende, encore faut-il qu’il comprenne, qu’il accepte, qu’il juge légitime la sanction qui lui est infligée. Et pour cela, il faut qu’il puisse exercer sa responsabilité, se défendre, espérer l’acquittement ou la relaxe, bref, qu’il puisse faire valoir tout son point de vue, sans qu’il soit amputé, quoi qu’il arrive, d’une partie de sa défense.
De même, je ne suis pas pour des peines plancher dans la durée, sans qu’on puisse aménager l’application de celles-ci.
En revanche, je ne vois pas très bien pourquoi il serait interdit de supprimer « l’excuse de minorité », issue de l’ordonnance sur les enfants délinquants de 1945. Le monde a changé, la sociologie aussi, et « l’enfant » de 16 à 18 ans des années quarante, du sortir de la guerre, pas plus d’ailleurs que celui des « blousons noirs » des années soixante, n’a rien à voir avec celui du XXIe siècle. Revenir sur cette « excuse », et les rendre par conséquent pleinement responsables de leurs actes, ne me pose aucun problème éthique.
Article paru initialement sur le blog de Copeau
Illustration sous licence Creative Commons : penalty wheel