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La crise financière 2008-2009
lundi 16 février 2009
Comme toute préconisation découle de l’analyse que l’on fait d’un événement, il nous faut, avant de présenter les médications que les libéraux défendent, évoquer les origines de la crise. Pour les étatistes, celle-ci sonne comme une revanche après trente années de traversée du désert. L’OFCE, Jean-Paul Fitoussi, Thomas Piketty et autres Daniel Cohen, pour la France, ou encore James Kenneth Galbraith (le fils de l’autre), Joseph Stiglitz et Dani Rodrik pour les Etats-Unis, se gargarisent ces derniers mois du retour triomphant de la « régulation », et croulent sous le poids des coups de fil de journalistes en quête d’interviews de ces nouveaux oracles.
Il y a une analyse des origines de la crise que les libéraux partagent avec les étatistes, au moins en partie [1]. Elle a trait à la corruption des règles classiques de la comptabilité d’entreprise. Jesús Huerta de Soto explique ainsi, dans un article issu du Mises Institute, que l’abandon du principe de prudence issu de Luca Pacioli au XVe siècle, pour celui de la « juste valeur » des actifs financiers, a engendré un processus circulaire dans lequel la valeur de marché des actions, intégré sans autre forme de procès dans les états financiers des entreprises, a justifié le gonflement artificiel, par sa seule présence, du prix des actifs de ces mêmes entreprises, sur le marché des actions. Johan Norberg rappelle à ce propos que toute réglementation a une guerre de retard. Ici, la règle de la « juste valeur » est issue du scandale Enron, ainsi que de la loi Sarbanes-Oxley de 2002. Les effets pervers de ce mécanisme sont analogues à ceux de la réglementation qui suivit en 1720 la crise de la Mer du Sud, par laquelle le Royaume-Uni a retardé d’un siècle la formation libre de la société par actions, et ce faisant la généralisation de la Révolution industrielle à l’échelle planétaire.
Sur un sujet connexe, Pascal Salin rappelle que l’abandon du ratio Cooke (par lequel les banques étaient tenues de garder un volant de liquidité, de ne pas prêter à long terme, l’équivalent de 8 % de leurs fonds propres afin de faire face aux impondérables) au profit du ratio McDonough depuis cinq ans a joué un rôle majeur dans le déclenchement de la crise. Les banques, de par ces décisions politiques, ont cru pouvoir développer l’économie sur le crédit et non sur leurs fonds propres. Elles ont été encouragées dans cet exercice par les Etats, les Etats-Unis en particulier, qui il y a peu menaçaient de poursuites les banques qui ne souhaitaient pas accorder des prêts aux personnes désirant accéder à la propriété dans les quartiers pauvres.
C’est ici qu’intervient le principal point de divergence entre les étatistes et les libéraux. Ces derniers considèrent que l’origine de la crise provient de l’intervention étatique, et non d’une insuffisante réglementation (qui n’a d’insuffisante que le nom, Norberg rappelle fort à propos que presque 13 000 personnes travaillent aux Etats-Unis dans la mise au point et l’application de cette fameuse réglementation, avec les résultats que l’ont sait).
Le libéraux soulignent le rôle destructeur de la Fed, qui a fait preuve de laxisme dans le volume de création de la masse monétaire, nonobstant la présence à sa tête du très randien Alan Greenspan. Sélection adverse qui a émoussé voire anéanti le sens des responsabilités, comme Pascal Salin le rappelle. Il ne faut pas oublier par ailleurs qu’une grande partie du crédit accordé par les banques provient de la seule création monétaire (et non pas d’une épargne volontaire). Les taux pratiqués par la Fed ont ainsi été artificiellement bas, ce qui a convaincu les banques de la nécessité à contracter un maximum d’emprunts en faveur de personnes pourtant peu solvables, comme le rappelle Reflection of a Rotting Nation, dont nous traduisons un article dans cette livraison. John B. Taylor rappelle, quant à lui, comment le gouvernement américain a créé la crise financière. L’action étatique, comme l’article consacré à l’auteur sur Wikibéral le rappelle, a créé, amplifié et prolongé la crise par une suite de décisions inappropriées sensées atténuer la crise.
Il faut aussi rappeler que la spéculation immobilière américaine, point de départ de la crise, a été vivement encouragée par l’Etat. Les crédits hypothécaires bénéficiant d’une garantie publique (par les banques Freddie Mac et Fanny Mae), les banques ont prêté et les emprunteurs se sont endettés au-delà du raisonnable. L’Etat a donc faussé le marché, comme nous le rappelions dans notre précédent dossier.
Face à une telle analyse, il est pour le moins surprenant que la plupart des économies développées (exception faite de l’Asie) s’orientent vers le dirigisme et la relance par la demande.
Concentrons-nous un instant sur ces fameux plans de relance, à l’instar de celui que l’administration Obama s’apprête à lancer aux Etats-Unis. Nous prétendons pour notre part que cette solution est à la fois illusoire et inefficace.
Illusoire, car elle repose sur un présupposé maintes fois contredit par les faits : que l’économie mixte serait plus performante que l’économie privée. Or on sait bien, en France en particulier, et Nicolas Baverez le rappelle dans son article, que dans les secteurs pourtant stratégiques de l’éducation, de la santé, des transports, chaque euro investi n’accroît pas la performance de l’économie, loin de là.
Inefficace, car la doctrine keynésienne, plongée dans le formol depuis 1936, tient en ces quelques mots : l’argent investi par les pouvoirs publics serait plus efficace que celui investi par les entreprises et les particuliers. C’est le fameux mécanisme du multiplicateur keynésien, qui est à l’économie ce que Raël est à la raison. Robert Barro, dès les années 1970, et comme l’article reproduit ci-dessous le rappelle, pousse le raisonnement keynésien jusqu’à l’absurde : si le multiplicateur marche vraiment, et bien il faut, à l’instar des Shadocks, creuser des trous et les reboucher avec l’argent public, car nous serons de la sorte sans cesse plus riches. Ce qu’on voit, pour paraphraser Frédéric Bastiat, c’est l’emploi créé par les trous creusés et rebouchés. Ce qu’on ne voit pas, c’est l’argent prélevé sur le contribuable (ou plus exactement, de nos jours, sur les générations futures par le déficit et la dette) par cet investissement public. L’Etat n’est pas meilleur que le marché pour allouer les ressources, c’est même le moins que l’on puisse dire. Barro a ainsi démontré que le multiplicateur, loin d’être supérieur à un (et donc bénéfique), est en réalité égal à… zéro. Ce qui signifie, comme Guy Sorman le rappelle, que tout euro investi par l’Etat est en réalité soustrait au secteur privé. Or, en général (dirais-je pudiquement), les investissements publics sont moins productifs que les investissements privés.
Il faut marteler sans cesse les errements causés par une relance financée non seulement sur le dos des contribuables d’aujourd’hui, mais surtout sur ceux de demain. Chaque année, le déficit public vient alourdir le poids de la dette publique, qui atteint des profondeurs proprement abyssales. A tel enseigne que plusieurs gouvernements, c’est le cas en France par exemple, empruntent pour rembourser non seulement leur dette, mais même les intérêts de leur dette, et sont donc entrés dans un cercle de paupérisation absolument irréversible. Loïc Abadie rappelle ainsi, fort à propos, que toute hausse de la dette publique ou, ce qui revient au même, du déficit public, engendre une hausse corrélative de l’épargne des ménages. Ces derniers s’attendent en effet, et ils ont évidemment raison, à une baisse de leurs revenus causée soit par la hausse des impôts, soit par l’inflation, qui seules permettent de renflouer une dette devenue exponentielle. C’est ce qu’on appelle en économie l’équivalence néo-ricardienne. Dans ce schéma de Ponzi à l’échelle planétaire, il faudrait injecter pour assainir l’économie quelques 7100 milliards de dollars, soit 8 fois plus que le plan Obama, ce qui en relativise l’éventuelle efficacité.
Le vrai risque à terme, et les 1200 milliards de dollars pompés par la Fed en sont la preuve, c’est l’inflation, voire la déflation. Le blog The Libertarians rappelle ainsi, fort à propos, que l’inflation entraînera mécaniquement une hausse des taux courts, fixés par les banques centrales. Cette hausse des taux rendra plus difficile le recours au crédit pour les entreprises, et prolongera donc la stagnation économique, ou l’accentuera encore.
Mais il y a pire : une deuxième bulle immobilière est malheureusement à prévoir. En effet, les emprunteurs solvables ayant emprunté sur des taux variables ou révisables auront du mal à se refinancer car leur patrimoine vaut très peu, à présent. Additionné à celui de l’inflation, ce risque fait courir aux économies développées quelque chose d’analogue à l’Argentine au début du XXe siècle, époque où elle était l’économie la plus développée du continent américain [2].
Cela ne signifie évidemment pas qu’il ne faut rien faire. Nous vous proposons en quelques lignes un petit vade-mecum des réformes libérales qu’il faudrait, à nos yeux, adopter.
Il faut tout d’abord que les actionnaires rejouent le rôle qu’ils jouaient au XIXe siècle, époque à laquelle ils décidaient vraiment du sort de l’entreprise. Aujourd’hui, les ratios prudentiels imposés par les pouvoirs publics, déconnectés des fonds propres des entreprises, génèrent des effets pervers auxquels il convient de remédier. Ils sont la porte ouverte à l’exigence de retour sur investissement déconnecté des réalités financières de l’entreprise.
Il faut ensuite abandonner l’idée des fonds de défaisance, et remettre sur le marché les dérivés toxiques, comme Anna Schwartz le propose. Le marché en fixera le juste prix. Certaines institutions financières feront sans doute faillite, mais cela vaut toujours mieux que le gel indéfini du crédit.
Il faut par ailleurs urgemment réduire les impôts, ce qui permettra d’accroître l’épargne, pour relancer l’investissement privé, seul véritable producteur de richesses.
Il faut réduire drastiquement les dettes publiques, et plus encore les déficits budgétaires, donc les dépenses dans un contexte de baisse des recettes fiscales, lequel est causé à la fois par la contraction de l’activité économique et par la baisse des impôts que nous prônons.
On peut aussi, plutôt que de relancer la consommation par les déficits, la relancer par une baisse des impôts assis sur la consommation, la TVA en particulier. L’expérience anglaise montre qu’une telle mesure n’est pas inintéressante en soi, en complément des points évoqués plus haut.
Le véritable ennemi d’une telle politique de relance, non par la soi-disant demande, mais par l’offre, c’est le pouvoir de l’Etat. Guy Sorman rappelle fort à propos que c’est Jean-Claude Trichet qui nous protège du délire inflationniste. Nicolas Sarkozy doit le détester comme Bonaparte détestait Benjamin Constant et sa bande, qu’il appelait avec mépris les « économistes ». Rien n’a vraiment changé depuis.
En conclusion, contentons-nous de citer quelques mots extraits de la pétition que deux Prix Nobel d’économie, Ed Prescott et Vernon Smith, viennent de rédiger, et que nous faisons nôtre.
« Tous les économistes ne sont pas devenus Keynésiens, écrivent-ils, et tous ne considèrent pas que la dépense publique améliore la croissance. La dépense publique au temps de Franklin Roosevelt n’a pas sorti les Etats-Unis de la dépression des années 1930. Elle n’a pas sauvé l’économie japonaise dans les années 1990. Croire que la dépense publique aide l’économie, c’est un espoir que contredit l’expérience. Le retour à la croissance exige de supprimer les obstacles au travail, à l’épargne et à l’investissement : en particulier par la baisse durable des impôts. »
Liste des articles
Crise, qui est coupable ?, par Guy Sorman.
Règlementations et crises, par Johan Norberg.
Comment le gouvernement a créé la crise, par John B. Taylor.
La crise financière qui menace, traduit du blog The Libertarians par Guillaume Kalfon.
Crise financière, la faillite des réformes comptables, par Jesús Huerta de Soto, professeur d’économie à l’université Complutense de Madrid, et principal représentant de l’école autrichienne en Espagne.
La crise financière n’est pas une défaillance du marché, traduit du blog Reflections from a rotting nation.
Les plans de relance : une démarche condamnée d’avance, de Loïc Abadie, animateur du blog Tropical Bear.
Les illusions dangereuses du retour de l’Etat, de Nicolas Baverez, Avocat et historien.
La dépense publique n’est pas gratuite, de Robert Barro, professeur d’économie à l’université Harvard et senior fellow à la Hoover Institution de l’université de Stanford.
N’oublions pas Milton Friedman, par Lexington.
Voici les articles correspondants sur wikibéral, qui sont modifiables !
Plan de relance sur Wikibéral
Multiplicateur keynésien sur Wikibéral
Théorie du revenu permanent sur Wikibéral
Effet d’éviction
John Maynard Keynes
Illustration sous licence Creative Commons : Le chiffre du diable...
[1] Voir Joseph Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, 2003.
[2] Voir aussi Guy Sorman, l’Economie ne ment pas, 2008.