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Ayn Rand

La vertu d’égoïsme

mardi 7 avril 2009

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L’éthique objectiviste

Pourquoi l’homme a-t-il besoin d’un code de valeurs ? L’éthique est-elle du domaine de l’irrationnel (caprices, émotions personnelles, contraintes sociales...) ou au contraire du domaine de la raison ? A cette question, Ayn Rand répond sans hésiter que les moralistes ont, sauf en de très rares exceptions, considéré l’éthique comme étant du domaine de l’irrationnel.

Avant d’y revenir, il faut répondre en préambule à une autre question : pourquoi l’homme a-t-il besoin d’un code de valeurs ? Aussi longtemps que cette question demeurera sans réponse, aucun code éthique objectif, scientifique et rationnel n’a pu être découvert ou défini. Il est du reste difficile de parler de rationalité de nos jours. La plupart des philosophes d’hier comme d’aujourd’hui considèrent que la norme ultime de l’éthique est l’irrationnel. La seule question étant alors de savoir quel irrationnel devrait être retenu : le nôtre, celui de la société, du dictateur ou de Dieu ? Si vous voulez sauver la civilisation, poursuit Ayn Rand, c’est cette prémisse de l’éthique moderne (comme de toute l’histoire de l’éthique) que vous devez remettre en question.

Que sont les "valeurs" ? C’est par le concept de "vie" que celui de "valeur" devient possible. C’est seulement pour une entité vivante que les choses peuvent être bonnes ou mauvaises. Ce qui détermine ce qui est bon ou mauvais, en un mot adéquat, c’est la vie de l’organisme, autrement dit ce qui est requis pour la survie de l’organisme. N’oublions pas que l’organisme n’a pas de choix : ce qui est requis pour sa survie est déterminé par sa nature, par le genre d’entité qu’il est. L’immobilité est l’antithèse de la vie, car celle-ci ne peut être maintenue en existence que par un constant processus d’action qui s’auto-entretient. La vie d’un organisme est sa norme d’évaluation : ce qui la favorise est bon, ce qui la menace est mauvais.

Seul un objectif ultime, une fin en soi, rend possible l’existence de valeurs. Métaphysiquement, la vie est le seul phénomène qui a une fin en soi : une valeur acquise et maintenue par un constant processus d’action.

De quelle façon un être humain découvre-t-il le concept de "valeur" ? Par les sensations physiques de plaisir et de douleur. Cette capacité est innée dans le corps de l’homme ; cela fait partie de sa nature, du genre d’entité qu’il est. Il n’a aucun choix à cet égard, ni sur la norme qui détermine ce qui lui procurera une sensation physique de plaisir ou de douleur. Quelle est la norme ? sa vie.

C’est la conscience qui distingue l’homme des plantes ou des animaux. Seul lui a conscience des alternatives qui s’offrent à lui pour se maintenir en vie. La plante ne connaît aucune alternative, nonobstant les variations de conditions climatiques ; elle agit automatiquement pour demeurer en vie ; elle ne peut s’auto-détruire. D’une façon plus générale, un organisme qui possède uniquement la faculté sensorielle est guidé par le mécanisme du plaisir et de la douleur propre à son corps, c’est-à-dire par une connaissance et un code de valeurs automatiques. Les espèces conscientes supérieures possèdent une forme de conscience beaucoup plus développée : elles possèdent la faculté de retenir les sensations, c’est-à-dire la faculté de la perception. Un animal n’a pas le pouvoir d’accroître ses connaissances ou de ne pas en tenir compte. L’homme si.

L’homme n’a pas de code de survie automatique. Ses sens ne lui dictent pas automatiquement ce qui est bon ou mauvais pour lui, ce qui est favorable à sa vie ou la met en danger, quels objectifs il doit poursuivre et les moyens qui lui permettraient de les atteindre, les valeurs dont dépend sa vie, ou le processus d’action qu’il doit suivre. Sa propre conscience doit découvrir les réponses à toutes ces questions. Mais sa conscience ne fonctionnera pas automatiquement. L’homme est la seule entité vivante née sans aucune garantie de demeurer conscient.

Par conséquent, les actions de l’homme, de même que sa survie, nécessitent qu’elles soient guidées en fonction de valeurs conceptuelles, elles-mêmes découlant d’une connaissance conceptuelle. Mais une connaissance conceptuelle ne peut être acquise automatiquement. La faculté qui dirige le processus de transformation des percepts en concepts, c’est la raison, via la pensée. Pour l’homme, le moyen fondamental de survie est donc constitué par la raison. Il doit découvrir les règles de la pensée et les lois de la logique, pour diriger sa pensée. La nature ne lui donne aucune garantie automatique de l’efficacité de son effort mental.

Ceci n’obère pas la liberté de l’homme. Ce dernier est libre de faire de mauvais choix, mais non de réussir s’il en fait. Il est libre de choisir de ne pas être conscient, mais non d’échapper aux conséquences de son inconscience : la destruction. L’homme est la seule espèce vivante qui a le pouvoir d’agir comme son propre fossoyeur. Et c’est la façon dont il a agi la plupart du temps au cours de son histoire.

Quels sont, alors, les bons objectifs que l’homme doit suivre ? C’est précisément ce à quoi l’éthique apporte une réponse. L’éthique est une nécessité objective et métaphysique de la survie de l’homme, et ce, non par la grâce d’une quelconque force surnaturelle ou de désirs irrationnels, mais par la grâce de la réalité. La norme d’évaluation de l’éthique objectiviste, c’est la vie de l’homme en tant qu’homme. Est bon d’un point de vue éthique ce qui convient à la vie d’un être rationnel, et est mauvais ce qui va à son encontre, ou la met en danger.

Les deux aspects essentiels de la méthode de survie sont la réflexion et le travail productif. Les hommes ne peuvent survivre en tentant de le faire comme le font les animaux, en rejetant la raison et en comptant que les hommes productifs les servent selon leurs désirs. De tels pilleurs ne peuvent atteindre leurs buts que momentanément, et au prix de la destruction de leurs victimes et de la leur. Par exemple, les criminels et les dictateurs. L’homme ne peut survivre, comme un animal, dans l’éphémère et le provisoire.

L’égoïsme rationnel

L’éthique objectiviste considère la vie de l’homme comme le fondement de toute valeur, et sa propre vie comme le but éthique de chaque individu. Les trois valeurs cardinales de l’éthique objectiviste sont la raison, l’intentionnalité et l’estime de soi. Ces trois valeurs sont, ensemble, à la fois le moyen de réaliser et la réalisation de cette valeur ultime qu’est notre propre vie. Leurs vertus correspondantes sont la rationalité, la productivité et la fierté.

La vertu de la rationalité tout d’abord, signifie la reconnaissance et l’acceptation de la raison comme notre seule source de connaissance, notre seul juge des valeurs et notre seul guide d’action. Elle signifie en particulier que nous ne devons jamais désirer d’effets sans causes, et que l’on ne doit jamais donner naissance à une cause sans assumer pleinement la responsabilité de ses effets. Elle signifie aussi rejeter toute forme de mysticisme, c’est-à-dire de toute prétention à une source de connaissance supra naturelle, non sensorielle, non rationnelle et non définissable.

La vertu de la productivité, ensuite, est la reconnaissance du fait que le travail productif est le processus par lequel l’esprit de l’homme entretient sa vie, le processus qui libère l’homme de la nécessité de s’adapter à son environnement, comme le font les animaux, et lui donne le pouvoir d’adapter son environnement à lui-même. C’est aussi le refus de se laisser abattre par les catastrophes et son dévouement à l’objectif de refaçonner la terre à l’image de ses valeurs.

La vertu de la fierté, enfin, est la reconnaissance du fait que l’homme doit acquérir les qualités de caractère qui rendent sa vie digne d’être maintenue. Cela signifie que l’on doit mériter le droit de se considérer soi-même comme notre plus grande valeur en réalisant notre propre perfection morale, c’est-à-dire en refusant d’accepter tout code fondé sur des vertus irrationnelles qui seraient impossibles à pratiquer, et en s’assurant de pratiquer celles qui le sont, en refusant toute culpabilité imméritée.

L’homme doit vivre pour son propre intérêt, ne sacrifiant ni lui-même aux autres, ni les autres à lui-même. Vivre pour son propre intérêt signifie que l’accomplissement de son propre bonheur est le plus haut but moral de l’homme.

Le mécanisme émotionnel de la conscience de l’homme est structuré comme un baromètre qui indique une alternative au moyen de deux émotions fondamentales : la joie et la souffrance. Mais, puisque la connaissance n’arrive pas à l’homme d’une manière automatique, il ne peut avoir de valeurs automatiques. Ou bien l’homme choisit ses valeurs par un processus de pensée conscient, ou bien il les accepte soit par défaut, soit en fonction d’associations subconscientes, soit en vertu de la foi ou en vertu de l’autorité de quelqu’un d’autre, soit par un quelconque processus d’osmose social, soit, enfin, par pure imitation.

Le bonheur est donc la mesure du succès de l’homme au service de la vie. Il n’est possible qu’à l’homme rationnel, l’homme qui ne désire que des buts rationnels, ne recherche que des valeurs rationnelles et ne trouve sa joie que dans des actions rationnelles. A contrario, quand un désir, sans égard à sa nature ou à sa cause, est utilisé comme primat éthique, les hommes n’ont d’autres choix que se haïr et se craindre les uns les autres, et se battre les uns contre les autres, étant donné que leurs désirs et leurs intérêts se contrediront nécessairement.

Ainsi l’éthique objectiviste prône et soutient fièrement l’égoïsme rationnel, c’est-à-dire les valeurs requises pour la survie de l’homme en tant qu’homme, c’est-à-dire les valeurs requises pour la survie humaine. Et non les valeurs découlant des désirs, des émotions, des "aspirations", des impressions, des caprices. Ce qui est bon pour l’homme ne nécessite pas de sacrifices humains et ne peut être accompli par le sacrifice des uns en faveur des autres.

Le principe de l’échange est le seul principe éthique rationnel pour toutes les relations humaines, personnelles ou sociales. Celui qui applique le principe de l’échange est un homme qui gagne ce qu’il obtient et qui ne donne ni ne prend ce qui n’est pas mérité. Dans les affaires spirituelles également, l’homme qui applique le principe de l’échange ne cherche pas à être aimé pour ses faiblesses ou ses défauts, mais seulement pour ses vertus. Seul un homme rationnellement égoïste, un homme qui a l’estime de soi, est capable d’amour, parce qu’il est le seul homme capable d’avoir des valeurs fermes et cohérentes, sans compromis et avec intégrité.

L’homme tire avantage à vivre en société, par les deux grandes valeurs dont on peut bénéficier par la vie sociale : la connaissance, l’échange et la division du travail. Dans ce contexte, aucun homme ne peut prendre l’initiative de recourir à la force physique contre les autres. Les hommes peuvent utiliser la force physique seulement par représailles et seulement contre ceux qui y ont eu recours.

Le seul but moral qui convienne à un gouvernement est le protection des droits de l’homme et la défense du capitalisme. Si ce dernier périt, ce sera par défaut, n’ayant jamais été découvert ni identifié, pas même aux États-Unis. Il doit défendre un capitalisme pur, ni réglementé, ni contrôlé, c’est-à-dire un capitalisme de laissez-faire fondé sur la séparation de l’État et de l’économique, de la même façon et pour les mêmes raisons que la séparation de l’État et de l’Église. Ce système n’a jamais existé ; le capitalisme n’est pas le système du passé, c’est le système de l’avenir.

L’éthique objectiviste est la morale de la vie, et ce contrairement aux trois principales écoles de la théorie éthique, la mystique, la sociale et la subjective, qui ont amené le monde à son état actuel et qui représentent la morale de la mort. Ces trois écoles ne sont que des variantes de l’altruisme, cette éthique qui considère l’homme comme un animal sacrificiel, qui soutient que l’homme n’a pas le droit de vivre pour lui-même, que les services qu’il peut rendre aux autres sont la seule justification de son existence.

La théorie mystique de l’éthique, qui a connu son apogée au Moyen Age, stipule que la norme de l’éthique est outre-tombe. Elle s’oppose à la vie de l’homme sur terre, et dit que l’homme doit en supporter le blâme et souffrir toute la durée de son existence terrestre pour expier la culpabilité d’être incapable de mettre en pratique l’impraticable.

La théorie sociale de l’éthique, qui a connu son apogée dans l’Allemagne nazie et la Russie soviétique, substitue la "société" à Dieu, et bien qu’elle prétende que sa préoccupation principale soit la vie sur terre, ce n’est pas la vie de l’homme, pas la vie d’un individu dont il s’agit, mais la vie d’une entité désincarnée, le collectif, qui, par rapport à chaque individu, est tout le monde sauf lui-même.

Enfin, la théorie subjectiviste de l’éthique est, à proprement parler, non une théorie, mais une négation de l’éthique. C’est même une négation de la réalité, une négation non seulement de l’existence de l’homme, mais de toute l’existence. Si l’homme n’a pas besoin de principes d’action objectifs, si la réalité lui donne carte blanche sur le choix de ses valeurs, alors c’est que la vie n’existe pas. Le monument existentiel de cette théorie est l’état actuel de notre culture.

Une conclusion toute trouvée peut être apportée par le discours de John Galt, dans Atlas Shrugged :

« Vous avez utilisé la crainte comme arme et apporté la mort à l’homme comme châtiment d’avoir rejeté votre morale. Nous lui offrons la vie comme récompense pour accepter la nôtre. »


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