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Deuxième mythe : « 1793 » aurait fondé la République
samedi 13 juin 2009
Incarnations successives de « 1789 » jusqu’à 1870
Le Code civil promulgué le 21 mars 1804 incarne les idéaux de « 1789 » : l’égalité civile, la liberté de l’usage de la propriété individuelle, le contrat qui devient la loi des parties. Le Concordat de 1801 assure quant à lui des libertés équivalentes sur le plan religieux. Enfin, la monnaie est rétablie, la liberté du commerce intérieur garantie. Cela est considérable, même si, sur le plan politique, l’Empire est la négation même de la démocratie.
La Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 consacre elle aussi les libertés de 1789 ; cette fois même, il y a une ébauche de démocratie puisque le régime admet la co-souveraineté du peuple [3].
En 1830, est instauré un nouveau régime, la Monarchie de Juillet, qui a délibérément voulu reproduire la Glorieuse Révolution anglaise de 1688 [4]. L’intention de ses initiateurs était d’instaurer en France une monarchie limitée, constitutionnelle, à l’anglaise, et sur le plan économique, une société de libertés [5]. Ce régime repose sur un système de pensée incarnée par deux écoles.
Il y a d’une part les Doctrinaires [6], qui appellent, selon la formule de Guizot, à l’avènement d’une « classe moyenne » universelle, autour d’un idéal proche des whigs anglais. Face à eux, les Idéologues, menés par Benjamin Constant, qui critiquent un régime jugé trop peu libéral en matière économique et auquel ils reprochent un suffrage encore trop censitaire. La République ne leur parait pas indispensable à l’établissement de libertés politiques et civiles solides. Pour ces hommes de « 1789 », la question de la dévolution du pouvoir au sommet de l’Etat est importante, certes, mais c’est une question d’ordre « technique ». Ce qui importe, c’est que le gouvernement puisse être changé quand l’opinion évolue, ce qui impose a contrario un pouvoir qui assume la continuité de l’Etat et puisse arbitrer les conflits institutionnels, au-dessus des partis. Pour Constant, le problème crucial est la garantie des libertés et de la société civile ; il faut ainsi une constitution, garantissant la séparation des pouvoirs, et tout le reste est de moindre importance.
Or, la Monarchie de Juillet paraît réaliser les différents points de ce programme. Ainsi, si les hommes du régime de Juillet ne sont pas républicains par définition, au sens nominal du terme, ils n’en incarnent pas moins les idées de « 1789 », et donc la République au sens d’idéal-type.
Il est vrai qu’il y a en France, à la même époque, des hommes qui se réclament explicitement, eux, de la forme républicaine du gouvernement. Mais, outre qu’ils sont très peu nombreux, ils sont en plus divisés entre « bleus » et « rouges ». Ces derniers sont largement majoritaires. Néanmoins, si les « bleus » refusent de se rallier aux monarchies constitutionnelles de l’époque, ils ne sont pas moins hostiles aux néojacobins [7].
Sous la IIe République, les idées de « 1789 » continueront à faire florès. La nouvelle République n’est pas jacobine : elle supprime la peine de mort en matière politique, elle ne manifeste aucune volonté de déchristianiser le pays, elle n’inquiète d’aucune manière le personnel politique qui vient d’être écarté du pouvoir. On refusa même, au moment de rédiger la constitution, d’y inscrire un « droit au travail » qui aurait pu entraîner un début d’étatisation de l’économie. En somme, la nouvelle République présente une grande continuité avec le régime de Juillet. On a changé la tête de l’Etat, mais personne n’entend « changer de société », ou ceux qui le pensent sont ultra minoritaires. Des élections au suffrage universel sont immédiatement annoncées. Les révolutionnaires en sortent battus [8]. Louis-Napoléon Bonaparte est élu, et la majorité élue prend le nom de « parti de l’ordre » pour symboliser la grande alliance des républicains modérés et des anciens partisans de la monarchie constitutionnelle. Ce vaste parti de « 1789 » (500 représentants à la Chambre) fait front face au parti de « 1793 » (250 représentants). Par « parti de l’ordre » il ne faut rien entendre de fixiste ou de réactionnaire ; ce terme signifie l’adhésion à l’Etat de droit, le refus de l’émeute, des massacres et des pillages. Rien de plus. Du reste, si quelqu’un demande de l’ordre, c’est bien l’électorat, terrifié par les Journées de Juin [9]. Le peuple français, apparemment, ne croit pas que c’est des émeutes que résulteront son progrès, son bien-être, son bonheur, sa dignité.
Après le coup d’Etat du 1er décembre 1851, il est évidemment impossible de dire que le régime de Napoléon III s’inscrit dans la démocratie. Néanmoins, le Second Empire est assez libéral sur d’autres plans ; il respecte les libertés économiques, la propriété, les contrats ; il laisse vivre la société civile. En outre, vers la fin de la décennie 1860, Napoléon III se décide à libéraliser progressivement la vie politique elle-même : le droit de réunion est établi, le régime de la presse est libéralisé. Sous l’impulsion d’Emile Ollivier [10], une nouvelle constitution est élaborée, qui fait du régime une sorte de monarchie parlementaire à l’anglaise. Il est très injuste que Sedan ait fait oublier cette évolution ultime de l’Empire, car il est certain que la démocratie libérale de la IIIe République en est largement le fruit.
Ainsi, de 1799 à 1870, c’est principalement grâce aux monarchies constitutionnelles qui se sont succédé dans le pays que la France s’est peu à peu acclimatée à « 1789 ».
La mise en place des institutions républicaines. Le rôle clé des orléanistes (1870-1879)
Le régime républicain proprement dit va être fondé. Mais il ne le sera pas par les nostalgiques de la Ière République ; il le sera par leurs adversaires.
Le nouveau gouvernement, dirigé par Adolphe Thiers, a pour souci premier d’empêcher les « rouges » de profiter de la situation. Thiers se disait disciple des Idéologues ; il n’était pas éloigné non plus des Doctrinaires. Membre de la garde rapprochée de Louis-Philippe, il avait néanmoins accepté la République en 1848. L’un des leaders du « parti de l’ordre », il s’était toutefois bientôt opposé au prince-président, tout autant qu’aux radicaux et au socialisme naissant. Il avait demandé à maintes reprises les « libertés nécessaires » sous le Second Empire ; cela importait plus pour lui (à l’instar de Constant ou Prévost-Paradol) que la nature républicaine ou monarchiste du régime. Cette posture lui permit de conclure le « pacte de Bordeaux » : que l’Assemblée le laisse gouverner dans la forme républicaine actuelle, il sera alors en mesure de faire la paix avec les Allemands et de régler la question de l’ordre public. C’est seulement ensuite, quand le calme sera revenu, que l’on pourra aborder sereinement la question du régime. Il conclut avec les francs-maçons la promesse d’instaurer définitivement le régime républicain.
L’Assemblée conservatrice ne parvient pas à rétablir la monarchie. Le prétendant, en particulier, rend les choses impossibles en refusant les concessions qu’on exige de lui. Mais en réalité, il y a beaucoup moins de distance entre les orléanistes, qu’ils soient catholiques ou voltairiens, et les républicains modérés, qu’il n’y en a entre les ultras et les orléanistes.
Albert de Broglie, Cissey, Léonce de Lavergne, Edouard Laboulaye, incarnent cette famille d’esprit ; ils sont résolument hostiles au jacobinisme. Ce sont eux qui élaborent la constitution de la IIIe République [11]. L’Amendement Wallon scelle le choix de principe de la République [12]. A ce moment les républicains modérés n’ont pas encore fait la concession essentielle que les orléanistes attendent d’eux quant à l’existence d’une Chambre haute. Lorsque, enfin, cette concession sera faite, la Constitution de 1875 pourra être votée à une large majorité, les voix de l’ensemble du centre-droit, y compris celle du duc de Broglie lui-même, s’ajoutant à celles du centre-gauche de Thiers et de la gauche républicaine modérée.
Cette constitution est un compromis. D’un côté, les orléanistes ont accepté la République sans rien céder de ce qu’exige leur philosophie politique, la démocratie libérale. Quant aux républicains, ils ont fait fi des protestations de leur aile gauche, les radicaux, et se sont rangés à l’épure constitutionnelle orléaniste. De nombreux traits distinguent nettement ce régime des idées de « 1793 » :
La présidence de la République est contraire aux traditions jacobines, qui ont toujours voulu un exécutif collégial. Cette existence donne une saveur monarchique au régime, puisqu’il est la possibilité donnée à un homme seul de contredire la volonté du peuple souverain qui a élu la Chambre.
Le Sénat est une institution empruntée aux monarchies constitutionnelles, tant françaises qu’anglaise [13].
La nature parlementariste renforce le rapprochement évident entre ce régime et ceux de l’Angleterre et des Etats-Unis. En particulier, l’Etat n’y a pas le pouvoir de violer les propriétés ni les autres libertés individuelles ; c’est un Etat limité.
Après les législatives de 1876, Mac-Mahon nomme à la tête du gouvernement un républicain modéré, Jules Simon. Ce dernier promulgue plusieurs réformes anticléricales, qui conduisent Mac-Mahon à le renvoyer puis à dissoudre la Chambre. Ce qu’on a appelé le « coup d’Etat » du 16-Mai ne l’est que de façon tout à fait impropre, puisque, en décidant de faire trancher par le pays son différend avec la majorité de l’Assemblée, le président de la République n’a fait qu’user de son droit constitutionnel légitime [14]. Les républicains ont aspiré à être reconnus comme des modérés, favorables au développement économique dans les structures libérales alors existantes, et ils se sont bien gardés de se réclamer du jacobinisme révolutionnaire.
La « République des républicains » : un changement sociologique, non idéologique
Le parti républicain qui arrive au pouvoir en 1879 reprend à son compte les principes de la démocratie libérale sur lesquels a été scellé le compromis de 1875.
Parmi les idées politiques professées par les républicains, il y a tout d’abord le positivisme. Il ne serait pas exact de dire que celui-ci aurait un lien direct avec l’idéologie de la IIIe République. Comme Saint-Simon l’avait déjà reconnu, le positivisme se rapproche en réalité de la république autoritaire. Le déterminisme de la théorie positiviste ne fait pas de place au principe de liberté qui caractérise « 1789 », ni, par conséquent, au polycentrisme social que celui-ci implique. Et si par « positivisme » on entend l’adhésion à une vision scientifique du monde, cela ne distingue en rien cette période de la Renaissance, de la doctrine des Idéologues, des milieux orléanistes et de la frange saint-simonienne du Second Empire. Au XXe siècle, elle sera reprise sous la forme de l’ « industrialisme ».
Autre idée majeure de ce courant républicain, le kantisme. Si Kant a détesté « 1793 », c’est parce que sa philosophie est un anti-holisme absolu. Le républicanisme de Kant est une réfutation anticipée de tout socialisme. Le kantisme est par conséquent démocrate-libéral et représentatif de l’idéal type « 1789 » [15]. Philippe Nemo ne nie pas le compagnonnage du républicanisme anticlérical avec le kantisme ; mais cela ne concerne qu’un aspect du kantisme.
Jules Ferry puise ses idées économiques chez Adam Smith. Il était même sincèrement convaincu qu’une gestion socialiste de l’économie conduisait à l’appauvrissement de tous, et en premier lieu des pauvres.
Durant les décennies suivantes, un nouveau courant est apparu : le solidarisme. Il est nettement postérieur à l’établissement du régime républicain. Lancé par Charles Renouvier, le solidarisme première version s’est opposé au jacobinisme en ses composantes collectivistes et totalitaires, parce que son kantisme ne peut supporter aucune forme de holisme. Mais Renouvier voudrait quelque forme de politique sociale, pour assurer, outre l’égalité des droits, une certaine égalité des chances. Cela implique une intervention limitée de l’Etat dans le domaine social.
Les disciples de Renouvier vont aller plus loin dans le sens socialisant, en particulier Léon Bourgeois [16]. Il considère que les individus ne sont pas des points de départ absolus. Ils sont un produit de la société et de son histoire. Celui qui a un héritage est en dette vis-à-vis de la société ; il lui est redevable de la richesse qui est aujourd’hui la sienne. Selon le même principe, d’autres peuvent prétendre qu’ils n’ont pas reçu toute la part qui leur était due de l’héritage social. Selon le cas, donc, le citoyen peut être tenu de rendre à la société ce qu’il a reçu d’elle en excès, ou il est fondé de lui demander réparation pour ce qui lui a manqué. Il y aurait ainsi un « quasi-contrat » entre l’individu et la société.
Si l’on peut concevoir un principe juste de contribution aux frais qu’implique le maintien de l’ordre public, ou aux services publics, il n’y a aucun critère objectif pour décider combien chacun aurait reçu en surplus, ou aurait manqué à recevoir, de la société. Cette quotité sera donc décidée en fonction des seuls rapports de force électoraux [17]. De plus, l’ajout de la médiation étatique n’a rien de nécessaire. Pour qu’elle le soit, il faudrait que, dans une société, seul l’Etat représentât le trans-temporel. Ce qui n’est absolument pas le cas dans les pays libéraux : cette médiation entre les générations est assurée aussi par les Eglises, les fondations, les associations, les entreprises, et par les patrimoines privés eux-mêmes, qui se transmettent d’une génération à une autre au sein des familles. Il semble ainsi que le solidarisme n’ait été qu’une idéologie des tinée à donner une apparence de justification philosophique à la spoliation de la propriété privée des riches au profit de l’électorat des partis de gauche. Enfin, les doctrines solidaristes reflètent l’opinion d’une tendance républicaine parmi d’autres, la tendance radicale-socialiste. Elles ne sont donc pas représentatives de tout le parti républicain.
Enfin, le passage de la « République des ducs » à la « République des républicains » reflète un changement d’ordre sociologique, et non pas idéologique. L’arrivée au pouvoir des « classes moyennes » de Guizot ne saurait générer un régime politique sui generis, sauf à admettre la thèse marxiste selon laquelle la situation sociologique détermine les pensées. Nemo estime au contraire qu’aucune catégorie sociale n’a, en tant que telle, certaines idées ; et qu’inversement, les idéologies peuvent passer d’une catégorie sociale à une autre en restant peu ou prou identiques à elles-mêmes. Les couches nouvelles paraissent avoir adopté les principales idées de « 1789 ». Elles se sont embourgeoisées – d’où l’aigreur de la gauche révolutionnaire à leur endroit. Le changement qui survient en 1879 consiste simplement dans le remplacement progressif d’une catégorie sociale par une autre aux postes de direction politiques et administratifs. Par rapport à ces vrais fondateurs de la République, les socialistes et les communistes resteront longtemps des opposants inexpiables. S’il est vrai que les orléanistes et tout l’ancien personnel des monarchies constitutionnelles ont été exclus du pouvoir à partir de 1879, ce sont leurs idées qui, incarnées désormais par les hommes venus de nouvelles couches sociales, ont continué à structurer les mentalités et les institutions du pays.
Le radical-socialisme et le socialisme ne sont alors que des options parmi toutes celles des courants républicains. Il n’y a aucune raison de les dire plus « républicaines » que les options concurrentes. Le poids qu’elles vont prendre, la prétention qu’elles afficheront bientôt d’être la « République » par excellence et par exclusive est le résultat d’une politique délibérée dont la pièce maîtresse est l’offensive laïciste.
Philippe Nemo, Les Deux R
[1] Cette affaire bouleverse la société française pendant douze ans, de 1894 à 1906.
[2] Le Bloc des gauches ou Bloc républicain est une alliance de forces politiques de gauche, créée en 1899 en vue des élections législatives françaises de 1902. Nom donnée à la coalition des partis de gauche pour les élections générales (législatives) de 1902, née de la recomposition des fractions de gauche et conservatrices à la suite des remous de l’Affaire Dreyfus. L’aile droite (méliniste) du parti républicain progressiste (opportuniste) ayant rejoint l’opposition conservatrice et nationaliste par rejet de la politique dreyfusiste et anticléricale du gouvernement de Défense républicaine de Waldeck-Rousseau, la coalition rassemble les poincaristes (progressistes anticléricaux), les « radicaux, les radicaux-socialistes et indépendants » et des « socialistes indépendants ». Pour la première fois les radicaux l’emportent dans les comités républicains et leur politique animera désormais celle du gouvernement de la République avec le soutien partiel des socialistes qui à partir de cette époque font de leur côté une percée non négligeable.
[3] L’autorité monarchique reste fondée sur le droit divin. Le début du préambule invoque « la divine providence ». On fait comme si la Révolution n’avait été qu’une parenthèse : le mot Charte est ancien et le Préambule dans son intégralité évoque des actes de divers rois de Louis le Gros à Louis XIV. La charte elle-même est datée de la 19e année du règne ! L’article 13 souligne que le roi est inviolable et sacré mais aussi que l’autorité toute entière réside dans la personne du Roi. Il est donc bien le souverain : il est irresponsable même si Louis XVIII prétextant ses problèmes de santé (il est presqu’infirme) ne se fera jamais sacrer à Reims. Enfin, l’article 6 fait de la religion catholique la religion de l’État.
Néanmoins, la Restauration du Roi et des Bourbons n’est pas une restauration de l’absolutisme. La Charte est une constitution qui n’ose pas dire son nom même si le mot apparaît dans le préambule : « constitution libre et monarchique… ». Le texte se montre désireux de rétablir la paix « paix si nécessaire à la France comme au reste de l’Europe ». Par l’article 12, la conscription est abolie mais il est nécessaire aussi de réconcilier aussi les Français d’où l’article 11 qui réclame l’oubli des opinions qui ont divisé les Français (royalistes, républicains, bonapartistes). La Charte accepte les acquis révolutionnaires : l’égalité en droits (articles 1 à 3) et les libertés fondamentales (articles 4-5-8). La rédaction des articles est éloquente, les articles 1, 2, 3, 4, 5, 8, 9, 10 recopient presque mot pour mot la Déclaration des droits de l’Homme d’août 1789. Le Concordat est maintenu : les ministres des cultes chrétiens reçoivent des traitements du Trésor royal. Les articles 9 et 10 suscitent l’hostilité des royalistes car ils légalisent la nationalisation des biens du clergé et des émigrés pendant la révolution (les biens nationaux). L’idée d’une indemnité permet cependant de faire espérer des compensations aux émigrés qui ont été lésés.
[4] La Glorieuse Révolution d’Angleterre (en anglais Glorious Revolution, aussi appelé Seconde Révolution anglaise par certains historiens français, ou encore « bloodless revolution ») fut une révolution pacifique (1688-1689) qui renversa le roi Jacques II (Jacques VII d’Écosse) et provoqua l’avènement de la fille de celui-ci, Marie II et de son époux, Guillaume III, prince d’Orange. La révolution aboutit à l’instauration d’une monarchie constitutionnelle et parlementaire à la place du gouvernement autocratique des Stuarts.
Succédant à son frère Charles II en 1685, le catholique Jacques II s’aliéna rapidement l’opinion par des mesures impopulaires : brutalité de la répression contre la rébellion du duc de Monmouth, création d’une armée permanente, entrée de catholiques au gouvernement, dans l’armée et dans les universités, ainsi que le rapprochement avec la papauté (venue d’un nonce apostolique à Londres). En 1687, il ordonna qu’une déclaration d’indulgence, accordant la liberté de culte aux catholiques et aux dissidents, soit lue dans toutes les églises. Cette décision, ajoutée à la naissance de son fils en juin 1688 d’un second mariage avec une catholique, qui garantissait une succession catholique, incita les opposants au roi à agir, mais le souvenir encore frais de la guerre civile, assorti d’un certain loyalisme, dissuadaient tout mouvement violent.
Le gendre de Jacques II, Guillaume III d’Orange, stathouder des Pays-Bas, époux de la princesse Marie, voyant s’éloigner la perspective d’accéder indirectement au trône, déclencha les hostilités en débarquant avec une petite armée anglo-hollandaise le 5 novembre 1688, à Torkay. Pris de panique, le roi Jacques II s’enfuit en France, ce dont profita Guillaume d’Orange qui, dès son arrivée à Londres le 28 décembre 1688, fit valoir que la fuite du roi équivalait à une abdication. S’emparant de fait du gouvernement, Guillaume d’Orange, en accord avec le Parlement, fit réunir une convention qui proclama la déchéance du roi et offrit conjointement le trône au prince Guillaume et à la princesse Marie. En contrepartie, ceux-ci devaient contresigner, en février 1689, la Déclaration des droits (Bill of Rights) laquelle inscrivit dans la loi les acquis du Commonwealth d’Angleterre et du règne de Charles II. La Déclaration interdisait l’accession au trône d’un catholique, assurait des élections libres et le renouvellement du Parlement, rendait illégale la présence d’une armée en temps de paix.
[5] On peut toutefois ajouter que la Monarchie de Juillet se caractérise aussi par ses lois anticléricales très avancées, comme l’abolition de la loi du Sacrilège, l’exclusion des évêques de « l’État », la suppression des traitements supplémentaires en faveur des ecclésiastiques.
[6] Leur idéal était en fait de faire cohabiter un roi qui aurait loyalement accepté les acquis de la Révolution, et qui règnerait dans un esprit libéral, et une chambre élue qui l’assisterait de ses conseils. Elle devait être désignée par un collège électoral très limité, où les propriétaires et les gens instruits formeraient sinon la totalité mais au moins une très grande majorité. Ils ne devaient pas trouver un roi de cette espèce jusqu’à la Monarchie de Juillet et au règne de Louis-Philippe. C’est Guizot qui a le mieux exprimé l’idéologie des doctrinaires dans son traité Du gouvernement représentatif et de l’état actuel de la France. Dans la presse, les principaux organes du parti étaient L’Indépendant, devenu Le Constitutionnel en 1817, et Le Journal des Débats. Les doctrinaires étaient principalement soutenus par d’anciens fonctionnaires de l’Empire, qui croyaient en la nécessité d’un gouvernement monarchique mais se souvenaient encore de la rude poigne de Napoléon, ainsi que des négociants, des industriels et des membres des professions libérales, en particulier des avocats, qui n’avaient pas moins de haine envers l’Ancien Régime. On compte parmi les principaux représentants de ce courant Pierre-Paul Royer-Collard, Camille Jordan, François Guizot, Victor de Broglie, Tanneguy Duchâtel, Charles de Rémusat, Jaubert, Prosper Duvergier de Hauranne, Victor Cousin, le Baron de Barante, Jouffroy, Abel-François Villemain.
[7] Parmi ces modérés, il faut citer Lamartine, Armand Carrel et Armand Marrast, le journal Le National, les frères Cavaignac, Godefroy et Eugène. On peut citer aussi les six députés républicains qui siègeront dans la dernière Chambre des députés du régime : Marie, Carnot, Dupont de l’Eure, Garnier-Pagès, Ledru-Rollin et Arago.
[8] Y compris, parmi leurs leaders, Cabet, Raspail, Blanqui.
[9] Les journées de Juin sont une révolte du peuple de Paris du 22 au 26 juin 1848 pour protester contre la fermeture des Ateliers nationaux.
[10] Ollivier accepta d’être le rapporteur de la loi du 25 mai 1864, qui abolit le délit de coalition créé par la loi Le Chapelier de 1791 et instaure le droit de grève. Cherchant à concilier ordre et liberté, il engagea une révision constitutionnelle d’ensemble pour mettre sur pied un système semi-parlementaire (constitution du 21 mai 1870). Il abandonna les procédés de la candidature officielle, renvoya Haussmann et quelques autres préfets autoritaires, amnistia Ledru-Rollin exilé depuis 1849, fit appliquer avec modération la législation sur la presse. Le succès du plébiscite de mai 1870 consacra le succès de cette politique mais, paradoxalement, renforça les bonapartistes autoritaires qui contestèrent de plus fort le gouvernement. Ollivier était persuadé d’avoir la situation en main alors que, lâché par les républicains et contesté par les bonapartistes autoritaires, il était de plus en plus isolé et ne se maintenait plus que grâce à la faveur de Napoléon III. Bien que personnellement favorable à la paix, il se laissa dépasser par Gramont et par les partisans de la guerre. Le 5 juillet 1870, devant le Corps législatif, il déclare maladroitement accepter la guerre avec l’Allemagne « d’un cœur léger ». Suite à la dépêche d’Ems (13 juillet), et sous la pression populaire, il annonça la déclaration de guerre à la Prusse, qu’il officialisa le 19 juillet 1870. Les premiers revers fournirent à la Chambre l’occasion de le renverser, à une écrasante majorité, le 9 août 1870.
[11] Il est vrai qu’en renversant Thiers avec l’aide des légitimistes et en portant le duc Albert de Broglie au pouvoir, les orléanistes avaient d’abord voulu jouer une dernière carte en faveur de la restauration monarchique. Avant de se raviser.
[12] 30 janvier 1875, adopté à une seule voix de majorité.
[13] Il se trouve que la composition réelle du Sénat ne correspondra pas au vœu du centre-droit orléaniste, parce qu’un accord électoral entre républicains et légitimistes assurera à ces deux groupes la quasi-totalité des premiers mandats de sénateurs inamovibles.
[14] Le 16-Mai aura cependant la conséquence fâcheuse de faire tomber en désuétude le droit de dissolution de la Chambre par le président de la République ; aucun président ne se risquera donc plus à en user.
[15] D’ailleurs, Constant et Laboulaye, protestants tout comme Kant, se réfèrent explicitement à lui en de nombreuses occasions.
[16] Léon Bourgeois, Solidarité, 1896.
[17] Ceci n’est pas sans rappeler Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté, tome 2, « le mirage de la justice sociale », 1976.