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Dioxyde de carbone : raison garder

lundi 20 juillet 2009

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Premièrement, la température du globe s’élève (elle a augmenté de 0,7 degrés au cours du XXe siècle) et cette augmentation est d’origine anthropique, c’est-à-dire due à l’activité humaine. Nous rejetons d’une façon continue des gaz des effet de serre (GES), dont le plus important est le CO2 qui ont une longue durée de vie et donc s’accumulent, freinant la réverbération des rayonnements solaires.

Deuxièmement, toujours selon la vision dominante, en l’absence de politiques volontaristes de réduction des rejets annuels de GES nous allons à la catastrophe. La température du globe augmentera de 5 ou 6 degrés au cours du XXIe siècle. Le coût des dommages que ce réchauffement engendrera sera très élevé. Le rapport Stern [1] l’évalue à 6% du PIB mondial.

Troisièmement, une politique raisonnable est possible, qui consiste à réduire les rejets annuels de GES du globe à environ 34 milliards de tonnes de CO2 équivalent [2] en 2050, soit environ 25% de moins qu’en 2000 [3]. Cette politique limiterait le réchauffement à environ 2 degrés, et le coût des dégâts occasionnés à environ 1% du PIB mondial. Une telle politique qui mobilise des ressources a un coût économique évalué à environ 1% du PIB mondial.

Présenté ainsi, le choix est facile. Mieux vaut cette politique d’action, qui coûterait quelque 2% du PIB (1% de dommages + 1% de coût de prévention), que la politique d’inaction qui coûterait finalement 6% du PIB. Il existe un assez large consensus sur cet objectif.

La question est de savoir comment l’atteindre. Deux politiques sont envisageables. La première, qui est la politique officielle et dominante en France, consiste à fixer des objectifs de réduction bien plus sévères pour la France que pour le reste du monde et à décider toutes sortes de mesures contraignantes à cet effet, sans véritablement se soucier du coût de cette politique. La seconde politique consiste à poser le problème au niveau mondial et à chercher à réduire les rejets au niveau désiré dans les pays et dans les secteurs où cela coûte le moins cher. Elle pose des problèmes d’équité et de mise en place redoutables.

On va essayer de monter que la politique hexagonale et planificatrice conduit à une impasse, et qu’une politique internationale et économique est la seule à pouvoir freiner le réchauffement climatique, en dépit des difficultés et des problèmes de redistribution qu’elle soulève. Mais auparavant il est utile de faire un petit détour par la notion de contenu en carbone.

Le contenu en carbone des différentes économies

La production et la consommation des biens et services entraînent des rejets de GES. Parce que les données disponibles portent plus sur le CO2 que sur les autres GES, on se limitera au cas du CO2 étant entendu que les raisonnements sont faciles à généraliser aux autres GES.

Le rapport des rejets de CO2 à la production et à la consommation, c’est-à-dire au PIB, qu’on appelle parfois le contenu en carbone, n’est pas du tout une donnée intangible. Elle varie au contraire beaucoup selon le pays, le secteur économique et la période.

Les rejets de CO2 d’un pays sont par définition égaux au PIB de ce pays multiplié par le contenu en carbone de ce pays :

Rejets = PIB x contenu en carbone

Un pays ne peut donc réduire ses rejets de CO2 que de deux façons : en réduisant son PIB ou en réduisant son contenu en carbone.

Réduire le PIB, c’est avoir une croissance négative. Les partisans de cette formule ne sont pas très nombreux, mais ils existent. C’est ainsi par exemple que Denis Beaupin, Yves Cochet et Noël Mamère, trois des plus importantes figures écologistes de France (un adjoint au maire de Paris et deux députés du parti Verts), se déclarent très clairement « pour une décroissance solidaire [4] ».

Ce projet de croissance négative n’est cependant pas très populaire. Le PIB, c’est la somme des productions [5], mais c’est aussi la somme des revenus distribués. Réduire le PIB, c’est réduire le revenu de chacun d’entre nous, et d’abord les salaires qui constituent l’essentiel des revenus distribués. Les zélateurs de la décroissance pensent que les Français seraient davantage heureux avec des revenus amputés et une structure de production décidée par l’Etat. Le fait est que la grande majorité des Français, mais aussi des Brésiliens ou des Chinois, ne partagent pas ce point de vue. Partout, la récession, c’est-à-dire la baisse du PIB, est considérée comme un mal à combattre absolument. On peut donc tenir pour assuré que tous les pays, et en particulier les plus pauvres, feront leur possible pour augmenter leur PIB. On peut tenir pour probable qu’ils y parviendront, comme ils y sont parvenus (pas partout hélas) depuis deux ou trois décennies.

Reste donc à agir sur le contenu en carbone si l’on veut réduire les rejets de CO2. Il faut que la baisse du contenu en carbone du globe soit plus rapide que la hausse du PIB mondial. Avec un PIB mondial croissant de 3% par an, une diminution des rejets de 0,7% par an (permettant d’atteindre l’objectif de 25% de réduction entre 2000 et 2050) implique une baisse du contenu en carbone de 3,7% par an. Le tableau 1, qui donne le contenu en carbone de différentes économies, est assez rassurant sur la possibilité d’atteindre un tel objectif, car il suggère l’existence d’importantes marges de manœuvre.

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Tableau 1

On remarque en effet l’ampleur des différences entre les pays : de 1 à 14 entre la France et la Chine. On remarque aussi la grande efficacité de la France et, à un degré moindre, des autres pays européens. La France rejette, par million d’euros de PIB, presque deux fois moins de CO2 que la moyenne européenne, qui est elle-même deux fois plus faible que la moyenne mondiale.

Cette remarquable efficacité en carbone de la France est souvent ignorée, voire niée. Une illustration caricaturale en est donnée par le projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. L’article 2 de ce texte stipule que « la France se fixe comme objectif de devenir l’économie la plus efficace en équivalent carbone de la Commission européenne (sic) d’ici 2020 ». En réalité, la France est déjà (à une exception près) et depuis longtemps l’économie la plus efficiente en carbone de l’Union européenne à 25. Il n’y a que la Suède à faire un peu mieux que nous. Les 23 autres pays, y compris le vertueux Danemark, rejettent plus (en moyenne deux fois plus) de CO2 par euro de PIB que la France. Ainsi, une loi va nous donner comme objectif d’aller là où nous sommes déjà ! On ne sait pas s’il s’agit d’ignorance ou de manipulation.

Pour partie l’efficacité en carbone des différents pays dépend de la structure des économies. La Chine, devenue l’usine du monde, a, toutes choses égales par ailleurs, une moindre efficacité en carbone que la Suède, spécialisée dans les services. Mais l’efficacité en carbone dépend aussi, et beaucoup, des choix techniques effectués par les différents pays, choix qui sont eux-mêmes déterminés largement par des décisions politiques. On en donnera deux exemples.

Le premier concerne la fiscalité des carburants. Plus la fiscalité est lourde, et plus les carburants et le CO2 qui va avec, seront économisés. Le tableau 2 propose une estimation du poids de cette fiscalité pour différents pays. Cette estimation est à prendre avec précaution. Mais elle est assez robuste pour mettre en évidence l’essentiel qui est l’existence de très grandes différences entre pays. A un extrême, on a les pays européens, qui taxent les carburants à plus de 150%. A l’autre, on a beaucoup de pays dans lesquels l’essence est vendue en dessous de son coût économique, et donc qui en subventionnent la consommation. C’est le cas de la Chine, mais aussi de l’Egypte, de Taiwan, de la Corée du Sud, de la Malaisie, de l’Inde, du Mexique, et de la plupart des pays pétroliers [6]. En Iran ou en Arabie Saoudite, où l’essence est vendue vingt fois moins chère qu’en Europe, elle est subventionnée à hauteur de près de 90%. Le Venezuela, où l’essence est vendue 70 fois moins cher qu’en Europe, pulvérise ces tristes records.

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Tableau 2

Le poids du nucléaire dans la production d’électricité offre un autre exemple de l’influence des politiques sur l’efficacité en carbone. La production d’électricité, qui se fait dans le monde principalement en brûlant du charbon, du fioul ou du gaz, est une grande source de rejets de CO2 : plus de 35% du total mondial (de CO2 d’origine énergétique), presque deux fois plus que les transports (21%). Plus la part de l’électricité d’origine nucléaire, hydraulique, éolienne et solaire est grande, et moindres sont les rejets de CO2. La France, avec 77% de son électricité d’origine nucléaire (et 12% d’origine hydraulique et éolienne), est de loin le pays du monde qui rejette le moins de CO2 par kilowattheure produit. C’est du reste ce qui explique sa place de premier de la classe en termes d’efficacité en carbone.

La politique française

La réponse française au défi du changement climatique consiste à dire : si le globe doit réduire ses rejets de 25% par rapport à 2000, nous, nous allons les réduire de 75%. C’est ce qu’on appelle le « facteur 4 ». Ce facteur n’a aucune justification sérieuse : pourquoi pas un facteur 2, ou un facteur 5 ? Cela ne l’empêche pas de figurer dans la loi française.

En réalité, cet objectif est totalement irréaliste. Un récent et très sérieux rapport de la commission « énergie » du Centre d’analyse stratégique, dit rapport Syrota [7] du nom de son président, le dit très clairement : les rejets de la France peuvent au mieux être divisés par 2,1 – à la rigueur par 2,3 – mais certainement pas par 4.

Ce facteur 4 est la justification d’une longue liste d’interdictions et d’obligations qui constitue la politique française. Le « processus » de Grenelle et le projet de loi qui en découle ont formalisé et vulgarisé cette démarche et ces résultats. Le catalogue à la Prévert des mesures contraignantes qui vont être prises est maintenant bien connu : il va de la rénovation thermique de tous les bâtiments publics à la création de nouvelles lignes TGV en passant par un fort développement de l’éolien, du photovoltaïque et des biocarburants.

Cette politique est à la fois très coûteuse et très inefficace.

Coût

Personne n’a estimé ce que coûterait la politique française du facteur 4. Il est plus facile d’estimer ce que coûtera le premier pas de cette politique, c’est-à-dire les mesures du projet de loi du Grenelle de l’Environnement, qu’on appellera ici Plan Vert. Pour une douzaine de ces mesures on a pu estimer un coût économique [8]. Un coût en quoi ? Principalement en pouvoir d’achat, et aussi en dépense publique.

Chacune de ces mesures implique en effet une dépense supplémentaire qui est soit à la charge des ménages (isolation des logements privés), soit à la charge des entreprises (taxe nouvelle sur les camions), soit à la charge des budgets publics (construction de lignes ferroviaires). Les dépenses obligatoires à la charge des ménages réduisent directement leur pouvoir d’achat [9]. Celles qui sont à la charge des entreprises aussi, car elles se traduisent par une diminution des salaires et/ou des bénéfices et/ou une augmentation des prix. Celles qui sont à la charge des administrations entraînent une augmentation des impôts ou de la dette publique qui engendre aujourd’hui ou demain une perte de pouvoir d’achat.

Le coût en PIB et en emplois est moindre. Les mesures du Plan Vert ont pour effet de déplacer activités et emplois, du secteur de la consommation des ménages vers le secteur de la réduction des GES. Davantage de dépenses pour l’isolation des logements, c’est moins de dépenses pour les légumes ou les meubles. Et par voie de conséquences, davantage d’emplois dans l’isolation et moins d’emplois dans le légume ou dans le meuble. Ne voir que les emplois créés dans l’isolation en ignorant les emplois détruits dans le légume ou le meuble est naïf (ou orienté). Il en va de même pour les dépenses financées par l’impôt. Les emplois qu’elles créent sont largement compensés par les emplois que l’impôt détruit. Si la dépense publique « créait » des emplois, la France, champion du monde de la dépense publique, n’aurait plus un chômeur depuis longtemps ! Dire que le Plan Vert va créer 500 000 emplois (comme on le fait tous les jours) relève donc plus de la propagande que de l’analyse. Au mieux les emplois créés compenseront les emplois détruits, et le Plan Vert sera neutre en termes d’emploi.

Selon nos estimations, la mise en œuvre des mesures analysées entraînera en 2020 une diminution du pouvoir d’achat de plus de 40 milliards d’euros, ce qui représente une réduction du pouvoir d’achat d’environ 4%. Environ la moitié de cette augmentation de coût passe par les administrations et pèsera sur les finances publiques. Vingt milliards de dépense publique supplémentaire par an, c’est dix fois le RSA (revenu de solidarité active) que l’on a tant de mal à financer.

Ces coûts élevés sont-ils au moins répartis équitablement ? Hélas non. Les biens dont on va faire augmenter le prix (logement, électricité, voiture) sont davantage consommés par les pauvres que par les riches, relativement à leur revenu. Les biens que l’on va subventionner (TGV) sont au contraire davantage consommés par les riches que par les pauvres. Considérons le logement par exemple. Supposons que les riches y consacrent 20% de leur revenu et les pauvres 30% ; et que les contraintes du Plan Vert augmentent de 10% le coût du logement. Il en résulte que ces contraintes amputent de 3% le revenu des pauvres et de 2% le revenu des riche – ce qui est la définition même d’une mesure régressive. Le -4% de pouvoir d’achat correspond à quelque chose comme -5% pour les pauvres et -3% pour les riches.

Vanité de la politique française

Si les mesures considérées étaient une réponse adéquate au problème du réchauffement climatique mondial, on pourrait peut-être y souscrire, en dépit de leur coût élevé et de leur régressivité. Ce n’est hélas pas le cas. Ces mesures n’atteindront pas les objectifs de réduction qu’elles visent. Les atteindraient-elles que leur impact sur les émissions mondiales, et donc le réchauffement climatique, serait négligeable.

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Tableau 3

Le Plan Vert vise une réduction d’au moins 20% des rejets français d’ici 2020. Selon nos calculs, les mesures décidées entraîneront une réduction des rejets de CO2 d’environ 8% des rejets français. On est loin du compte. Les mesures prévues dans le domaine des transports par exemple entraînent peu de transferts modaux. Les études disponibles sur l’impact d’une nouvelle ligne TGV sur le trafic de l’autoroute qui la longe ne font apparaître aucune diminution de ce trafic. Davantage de lignes TGV, c’est peut-être très bien, mais ça ne réduit guère les rejets de CO2 des automobiles et des camions. Il en va de même des lignes de tramway [10]. De la même façon, l’électricité éolienne ou photovoltaïque se développe surtout aux dépens de l’électricité nucléaire, qui ne rejette pas de CO2.

Ces chiffres jettent aussi une lumière cruelle sur la plausibilité du facteur 4. S’il faut amputer notre pouvoir d’achat de 4% pour réduire nos rejets de moins de 10%, quelle amputation sera nécessaire pour réduire ces rejets de 75% ? Avant de répondre, considérez que l’on a – on ose l’espérer – commencé par les mesures les plus faciles, c’est-à-dire les moins coûteuses.

Surtout, traiter hexagonalement un problème mondial n’est pas une façon de le résoudre. Comme le montre le tableau 3, les rejets de la France représentent actuellement 1,4% des rejets globaux de CO2 ; ceux de la Communauté européenne moins de 16%. Ces pourcentages vont diminuer, et considérablement. Le scénario de référence de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) le montre bien [11]. En 2050, les rejets de CO2 de la France représenteraient, en l’absence de politique volontariste forte, seulement 0,6% des rejets mondiaux. Les réduire d’un facteur 2 réduirait les rejets mondiaux — la seule grandeur qui compte pour le climat nous dit-on — de 0,3%. La mise en œuvre de notre fameux facteur 4 porterait ce chiffre à 0,45%. Bon pour notre conscience peut-être, mauvais pour la planète sûrement.

Notre politique se trompe donc de cible. En réponse à cette objection, les partisans de l’auto-punition brandissent comme un talisman magique le mot d’exemplarité. Si nous nous flagellons avec assez d’obstination et d’ostentation, disent-ils, les autres vont nous imiter. Cette foi dans la contagion de la vertu est sympathique, mais naïve et irréaliste. La preuve en est que l’exemple, nous le donnons déjà, et qu’il n’est pas du tout suivi. On a vu que les pays d’Europe, et au premier rang la France, sont les pays les plus économes en carbone de la planète. Si l’exemplarité suffisait, tous les pays du monde s’aligneraient sur notre efficacité énergétique actuelle (pas même besoin d’une efficacité multipliée par quatre !), et l’objectif recherché serait atteint. Rien de tel ne se produit, hélas, ni ne se produira spontanément.

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Tableau 4

Notre politique peut même être contre-productive, pour trois raisons.

Tout d’abord, si une activité qui rejette 100 tonnes de CO2 est chassée hors de France par des mesures trop contraignantes et s’installe dans un pays moins vertueux où elle rejette 200 tonnes, notre zèle aura augmenté, pas réduit, les rejets mondiaux.

Ensuite, un effet-prix réduira de toutes façons l’impact des restrictions qu’un pays seul (ou un petit groupe de pays européens) impose à ses consommations de combustibles fossiles, comme l’a bien vu le Professeur Hans-Werner Sinn, le talentueux directeur de l’Institut de conjoncture de Munich [12]. Cette diminution de la demande de combustibles fait, toutes choses égales par ailleurs, diminuer le prix de ces combustibles. Et cette diminution du prix entraîne une augmentation de la demande et de la consommation du reste du monde. Nous diminuons notre consommation de pétrole : cela permet aux Chinois d’augmenter la leur. Tant mieux pour eux et leur développement, tant pis pour la planète.

Enfin, on peut craindre une exemplarité à l’envers. Loin d’inciter les pays gros pollueurs à nous imiter, nos coûts élevés les en dissuaderont.

Une politique alternative

Constater que la politique actuelle de la France est coûteuse et inutile - un ruineux cautère sur une jambe de bois – n’est pas préconiser l’inaction. L’objectif pour 2050 d’une réduction de 25% par rapport à 2000 (que nous faisons nôtre ici) appelle une politique efficace à coût raisonnable. Cette politique, qui est esquissée dans le rapport Stern, existe. Elle est mondiale dans son ambition, et économique dans sa méthode. Mais il faut reconnaître qu’elle pose un problème d’équité qui doit être affronté et résolu.

La solution au problème du réchauffement climatique (tel qu’il est défini par le consensus dominant) n’est pas en Europe et encore moins en France. C’est en Asie, aux Etats-Unis, au Brésil que la croissance est la plus rapide. Et ces pays sont aussi ceux où le contenu en carbone est le plus élevé. Les milliards d’euros de croissance supplémentaire se produisent donc là ou le milliard d’euro génère le plus de CO2.

La comparaison entre la Chine et la France l’illustre d’une façon presque caricaturale. Comme le montre le tableau 4, ces deux pays avaient, en 2004, un PIB à peu près équivalent. Mais les rejets de CO2 de la Chine étaient près de 14 fois plus importants que ceux de la France. Ce ratio va augmenter très rapidement. Supposons un taux de croissance de 2% en France et de 10% en Chine. Supposons également que le contenu en carbone reste constant (en réalité, heureusement, il diminue légèrement d’une année sur l’autre dans les deux pays). L’augmentation annuelle de PIB de la Chine engendre une augmentation des rejets en Chine qui est 70 fois plus grande que l’augmentation des rejets en France. L’augmentation annuelle des rejets chinois (500 Mt) est déjà nettement plus élevée que le total des rejets annuels français (373 Mt).

Prétendre réduire les rejets mondiaux en brimant la France et en ignorant la Chine ressemble à une mauvaise plaisanterie. La bataille du CO2 se jouera, se gagnera ou se perdra aux Etats-Unis, en Chine, en Inde, en Russie ou au Brésil.

Heureusement pour l’humanité, ces terrains-là sont de bons champs de bataille parce que le coût de la réduction des rejets de CO2 y est bien plus bas que chez nous. Ces bas coûts sont une conséquence directe des contenus élevés en carbone de ces pays. Les pays efficaces en carbone ont déjà fait les investissements, effectué les changements de comportement, adopté les politiques, et utilisé les technologies qui pouvaient réduire les rejets de CO2 à un coût acceptable. Les autres non. Ils ont de la marge, pourrait-on dire. Il est évidemment plus facile de réduire le contenu en carbone de la Chine de 3800 à 3500 tonnes par M€ de PIB que de réduire celui de la France de 370 à 70 tonnes. S’il y a un pays où le facteur 4 est un objectif raisonnable, c’est la Chine, pas la France.

C’est bien à une réduction des rejets dans les pays à fort contenu en carbone que pense le rapport Stern lorsqu’il évalue à 1% du PIB mondial le coût de la réduction qu’il préconise. Ce chiffre sera atteint à une condition : que les réductions soient faites là où elles coûtent le moins cher. En gros, si toutes les réductions qui coûtent moins de 25 € la tonne, et seulement celles-là, sont faites [13].

Mais si quelque Gosplan décide des réductions indépendamment de leur coût, (ce qui est le cas actuellement : la plupart des réductions du Plan Vert coûtent plus de 500 € la tonne de CO2 économisée), alors le prix à payer pour réduire à 34 Gt les rejets de gaz à effet de serre du globe en 2050 s’élèvera non pas à 1%, mais à 5 ou 6% du PIB mondial, voire à beaucoup plus.

La méthode la plus sûre et la plus simple consiste, pour atteindre l’objectif visé, à imposer partout dans le monde une taxe carbone, c’est-à-dire à faire payer quelque chose comme 25 € à tous ceux qui rejettent une tonne de CO2 dans l’atmosphère commune. Pas pour les punir. Mais pour pousser tous ceux d’entre eux qui peuvent réduire leurs rejets à un coût moindre, à le faire.

Un problème d’équité

Si le seul espoir d’atteindre l’objectif de réduction désiré à un coût acceptable est d’effectuer ces réductions dans les pays à fort contenu en carbone, il faut bien voir que cette politique pose un redoutable problème d’équité. Ces pays sont souvent des pays pauvres. Leurs dirigeants ne veulent absolument pas sacrifier le développement à la lutte contre le réchauffement climatique. Lorsqu’on leur parle de taxe carbone généralisée, ils disent non. Ils justifient leur « non » par deux arguments très forts et très respectables.

Le premier est que les pays riches se sont depuis un siècle développés sans contraintes sur leurs rejets de CO2. Le réchauffement climatique est (selon la vision dominante acceptée ici) causé par le stock accumulé depuis la révolution industrielle, c’est-à-dire par tout le CO2 rejeté depuis deux siècles, et qui l’a été principalement par les pays aujourd’hui riches. « Vous ne pouvez pas nous imposer ce dont vous vous êtes exonérés », disent-ils, avec raison. Nous, habitants des pays riches, avons une dette à l’égard de la planète, que nous avons estimé à environ 10 000 milliards d’euros.

Le deuxième argument consiste à dire qu’un pays pauvre a davantage besoin de se développer qu’un pays riche. Il est bien vrai que consacrer un euro à la lutte contre le réchauffement climatique a un coût social plus élevé au Bangladesh qu’en Suède.

Les pays riches doivent donc accepter l’idée de contribuer financièrement au coût de la réduction des rejets de CO2 dans les pays pauvres. L’essentiel n’est pas de réduire les rejets de CO2 chez nous, mais d’aider ces pays à les réduire chez eux. Payer, puisqu’il le faut, mais payer utile. Non pas dépenser 1 000 € pour éviter un rejet d’une tonne de CO2 en France, mais dépenser 1 000 € pour économiser un rejet de 100 tonnes en Chine.

On peut donner des ordres de grandeurs très grossiers du transfert qui serait désirable et possible. En 2050, une taxe de 25 €/tCO2e, qui réduirait les rejets au niveau souhaité, engendrerait des coûts de réduction d’environ 900 milliards d’euros (c’est le 1% du PIB mondial de Stern) principalement dans les pays pauvres et aux Etats-Unis, et un paiement de taxe d’un montant comparable principalement dans les pays riches. Le versement aux pays pauvres du produit de la taxe collectée dans les pays riches honorerait notre dette, et allégerait le poids de la réduction dans les pays pauvres.

Efficacité et justice

Le problème du réchauffement climatique est mondial et complexe. Il ne sera pas résolu par des politiques hexagonales et simplistes. Les bons sentiments ne permettent pas de faire l’économie des bonnes analyses. L’efficacité d’une politique ne se mesure pas à la peine qu’elle inflige.

Il existe heureusement une politique alternative qui serait à la fois moins coûteuse et plus efficace. Le combat doit se mener chez les grands gaspilleurs, là ou les contenus en carbone sont élevés. C’est là que sont les véritables gisements de réduction des rejets de gaz à effet de serre. Mais parce que ces grands gaspilleurs sont généralement des pays pauvres, ils n’engageront pas cet effort de réduction sans une aide financière de la part des pays riches.

Nous devons donc à la fois exercer une pression sur ces pays inefficaces en carbone en mettant l’accent sur notre propre efficacité (au lieu de la cacher comme nous le faisons actuellement) et mettre en place une « assistance carbone ». C’est ce que ferait, par exemple, une taxe carbone à taux unique (25 € par tCO2e rejetée est un bon ordre de grandeur) payée par tous les pays — pour l’efficacité — accompagnée du transfert aux pays pauvres d’une bonne partie du produit de la taxe récoltée dans les pays riches — pour la justice.


R


[1Sir Nicholas Stern, The Economics of Climate Change, Cambridge University Press, 2007 (consultable sur le site de HM Treasury).

[2Les abréviations utilisées dans cet article sont les suivantes : CO2 = dioxyde de carbone ; CO2e = CO2-équivalent ; t = tonne ; G = milliard.

[3Différents chiffres, correspondant à différents concepts, sont utilisés. Le plus fréquent, celui pour lequel on a le plus de donnés, se rapporte au seul CO2 d’origine énergétique (25,10 millards de tonnes ou GtCO2 en 2000). Mais la consommation énergétique rejette également d’autres gaz à effet de serre, qui portent les rejets d’origine énergétique à 26,98 GtCO2e (tonnes de CO2-équivalent) en 2000. D’autres activités, et notamment l’agriculture, rejettent également des gaz à effet de serre, ce qui porte le total des rejets de CO2-équivalent (en excluant la contribution des changements d’occupation des sols, comme la déforestation) à 35,86 GtCO2e toujours en 2000. L’inclusion de cette contribution des changements d’occupation des sols porte le total à 43,48 GtCO2e pour 2000. Le chiffre correspondant au deuxième concept représente 1,73 fois le chiffre correspondant au premier concept.

[4Les Echos, 20 août 2008.

[5Plus précisément, la somme des valeurs ajoutées.

[6Certains objecteront que le pétrole ne « coûte » rien dans les pays pétroliers qui le produisent. Cette objection est une illusion. Ces pays pourraient vendre le pétrole qu’ils consomment sur le marché international, et avec le produit de cette vente acheter des biens et services qu’ils consommeraient. En ne le faisant pas, ils se privent de ces biens et services-là, ce qui est un coût (que les économistes appellent coût d’opportunité).

[7Jean Syrota, Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050, Centre d’analyse stratégique / Documentation française, 2007, 327 p. (consultable sur le site du CAS).

[8On trouvera le détail de ces estimations sur le site de l’auteur : http://www.rprudhomme.com

[9Elles réduisent bien entendu les rejets de CO2, mais la teneur en CO2 de l’atmosphère ne figure pas dans le panier de la plupart des ménagères.

[10Rémy Prud’homme, Martin Koning et Pierre Kopp, « Paris : un tramway nommé désir » ; Transports n°447, janvier-février 2008, p. 28-39.

[11Les chiffres de ce scénario ne se rapportent pas aux gaz à effet de serre (mesurés en tCO2e), mais au seul CO2 (mesuré en tCO2). Ils diffèrent donc des chiffres donnés plus haut.

[12CESifo, The European Economic Advisory Group Report on the European Economy, IFO, 2008, chapitre 5.

[13Ce chiffre de 25 euros/t mériterait de longs développements. Il s’appuie sur les études de l’AIE qui écrit : « aucune des technologies nécessaires [pour se placer sur un sentier vertueux] ne devrait – une fois au stade industriel – entraîner une majoration de coût supérieure à 25 dollars par tonne d’émission de CO2 évitée dans tous les pays » (AIE-IEA, Energy Technology Perspectives, Scenarios and Strategies to 2050, OCDE, 2006, p. 5).

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