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Pourquoi les banques centrales n’ont rien vu venir
essai d’analyse hayékienne de la crise
mercredi 11 novembre 2009
Le consensus est que la FED a commis, dans les années 2002-2005, une erreur majeure de politique monétaire. Elle a laissé les marchés financiers américains sombrer dans l’euphorie d’un déluge de liquidités abondantes et bon marché.
La question est cependant de comprendre pourquoi. Comment cela fut-il possible de la part de spécialistes aussi intelligents et bien informés ? Comment se fait-il que personne n’ait rien vu venir, à l’exception de très rares personnalités, comme quelques économistes de la BRI (Banque des règlements internationaux, la ‘banque centrale des banques centrales’ ) [1] ?
La réponse réside dans l’inadaptation des mentalités et des analyses des banquiers centraux face aux changements intervenus dans le monde depuis la chute du Communisme et le déclenchement de la mondialisation.
Avec Alan Greenspan, puis Ben Bernanke à sa tête, la FED a continué de gérer sa politique monétaire et de prendre ses décisions en fonction d’un modèle de régulation inadapté aux nouvelles circonstances. Résultat : la banque centrale US chassait la déflation alors que les marchés financiers étaient en pleine inflation. Trompée par le fait que cette inflation ne s’accompagnait pas d’un dérapage des prix (le symptôme usuel de l’inflation) [2], elle a poursuivi une politique qui, à l’expérience, s’est révélée hyper laxiste – sans que ses dirigeants en aient conscience.
Les nouveaux habits de la politique monétaire
Les macro économistes qui peuplent les institutions monétaire sont les héritiers de trois grands personnages – Irving Fisher, John Maynard Keynes et Milton Friedman – dont les apports à la science économique ont fusionné dans la synthèse néo-classique des manuels. Leur postulat est que la stabilité de la croissance économique est liée à la neutralisation des mouvements de prix (Price Stability). Ceux-ci ne doivent ni monter, ni, a fortiori, baisser [3]. Tel est l’objectif qui doit être poursuivi si l’on veut assurer une croissance stable, sans fluctuations majeures. C’est elle qui nous protègera de la répétition de grandes crises économiques.
Dans les années soixante-dix, sous l’influence de Milton Friedman et des idées monétaristes, on avait considéré que stabiliser la conjoncture passait par le respect d’une norme de croissance régulière de la masse monétaire. Mais cette norme « friedmanienne » supposait que la vitesse de circulation de la monnaie ( la vélocité ) reste à peu près constante. Or on s’est aperçu que, du fait notamment des innovations financières, cette hypothèse ne s’appliquait plus. A partir de la fin de années 1980, les banques centrales ont donc changé d’outil. L’objectif n’est plus de contenir directement la croissance monétaire en dessous d’une borne maximale pré annoncée, mais de maintenir la hausse de l’indice général des prix à la consommation à l’intérieur d’une fourchette étroite (estimée entre 1 et 3%) en agissant par le maniement des taux d’intérêt et l’usage d’indicateurs complexes plus élaborés. C’est ainsi qu’est adoptée, au milieu des années 1990, souvent de manière informelle, la célèbre Règle de Taylor qui indique aux autorités monétaires, selon les circonstances, quel taux d’intérêt pratiquer pour ne pas dépasser les objectifs d’inflation.
Fondée sur d’impressionnantes collections de corrélations statistiques, cette politique (Inflation targeting) s’est traduite par un succès indéniable. L’économie US a connu un lissage appréciable de ses fluctuations économiques avec, en moyenne, un taux de croissance plus élevé d’un point. C’est ce que les économistes américains appellent aujourd’hui l’ère de la « grande modération » (The Great Moderation). D’où l’incontestable aura dont Alan Greenspan a bénéficié durant toute cette période, jusqu’à son départ (2005).
Cependant les banques centrales n’ont pas tenu compte de ce que, pendant ces années-là, le monde changeait, et que la validité de leurs modèles était sérieusement remise en cause.
Le grand choc déflationniste de la mondialisation
L’événement fondamental est qu’au cours de cette période l’économie mondiale a connu un gigantesque choc déflationniste (Supply shock) lié à l’intégration de plus d’un milliard de nouveaux travailleurs à faibles salaires aux circuits de l’économie marchande, mais aussi aux formidables progrès de la productivité enregistrés par l’économie américaine (une conséquence de l’avènement du numérique).
Ces deux éléments ont entraîné une baisse des coûts réels de production de l’industrie mondiale, et donc des prix des biens importés dans les pays riches (d’où l’explosion des importations et du déficit commercial US). Une telle baisse des prix mondiaux implique que désormais les gens du monde développé, pour couvrir un même niveau d’achats, ont besoin de moins de monnaie (moins d’encaisses) que précédemment. En conséquence, à un objectif de PNB qui continue de progresser à un même rythme de croissance stable, devrait correspondre, toutes choses égales d’ailleurs, une croissance moins rapide de la masse monétaire. Si au contraire la masse monétaire continue de progresser au même rythme que par le passé, cela signifie que la banque centrale injecte dans les circuits économiques plus de monnaie que les agents ne souhaitent réellement en détenir. Autrement dit, l’offre de monnaie augmente plus vite que sa demande ; ce qui, pour un économiste est la définition même d’un processus d’inflation [4].
Deux conséquences en découlent : 1/ les agents économiques vont se débarrasser de l’excédent d’encaisses qui ne leur rapportent rien investissant dans des placements financiers, immobiliers ou industriels ; 2/ les taux d’intérêt (qui représentent le coût de l’argent, désormais plus abondant) vont baisser, ce qui incite les promoteurs immobiliers et les industriels qui ont la tête pleine de projets à développer leur offre, mais également à s’endetter davantage, par exemple en utilisant les services d’intermédiaires financiers spécialisés dont les produits, de plus en plus élaborés et complexes, trouvent plus facilement preneurs. A la fin des années 1990, les industries de télécommunication et d’informatique ont massivement profité de cette manne, d’où l’explosion des valeurs boursières des entreprises de dot-com, et la formation d’une bulle qui implose en 2001. A partir de 2000, c’est l’immobilier qui prend le relais et attire les capitaux (on a vu pourquoi). Les prix des maisons explosent, les profits des firmes immobilières, mais aussi des intermédiaires financiers décuplent, la spéculation s’en mêle, et l’on a la bulle des subprimes.
Ce processus inflationniste dure aussi longtemps que la banque centrale continue son offre excédentaire de monnaie.
Mais cette inflation est d’une nature particulière : elle affecte les prix des actifs, qui flambent, mais pas les prix à la consommation. Autrement dit, elle reste invisible. Pour les autorités monétaires, elle n’existe pas, puisque l’instrument qui sert habituellement à la mesurer, l’indice général des prix – qui est principalement un indice d’évolution des prix à la consommation – ne révèle rien d’anormal. Tout se passe en quelque sorte dans les tréfonds de l’économie et de la finance, mais rien à la surface qui enverrait à la banque centrale un signal l’informant qu’il est tel temps de changer de comportement et de réduire son offre monétaire – autrement dit de relever les taux [5].
Normalement, au bout de quelque temps, la hausse des prix des actifs (maisons, actions, matières premières, équipements industriels et technologiques) devrait se transmettre au secteur des produits de consommation. Le boom immobilier signifie par exemple que les industries du bâtiment et dérivées drainent vers elles de plus en plus de ressources (matières premières, équipements) qu’elles détournent des autres secteurs d’activités par une surenchère sur les prix. Ce qui fait monter le coûts de production de ces derniers. Par ailleurs, elles embauchent massivement, elles attirent la main d’oeuvre en offrant des salaires plus élevés. L’excédent de monnaie drainé vers les activités liées à l’accumulation d’actifs retourne ainsi vers les secteurs de la consommation et y nourrit à son tour une pression à la hausse des prix.
Cependant ce processus de transfert est entravé par un autre événement exceptionnel : la transformation du système monétaire international, suite à la crise asiatique et à l’émergence de la nouvelle puissance économique chinoise.
Le rôle du système monétaire international : les chinois cassent le baromètre.
Les asiatiques ont été tellement échaudés par les événements de l’année 1997 qu’ils se sont jurés de ne plus jamais être victimes de monnaies surévaluées. Quant à la Chine, dès la fin des années 1980 et de son ouverture au monde, elle a fait le choix d’un développement mercantiliste fondé sur l’exportation à outrance grâce au maintien d’un Yuan sous évalué. Contrôle des changes, cession obligatoire des recettes en devises, maintien d’une parité rattachée au dollar (Dollar peg) – alors que, normalement, on devrait avoir une lente appréciation de la monnaie au fur et à mesure du développement de la puissance économique chinoise –, le mécanisme a fonctionné au-delà de tout espoir.
La Chine est devenu la grande fabrique mondiale de produits bon marchés. Depuis les années 1990 l’Europe et les Etats-Unis bénéficient d’une situation inédite où l’afflux des produits chinois concurrents impose de sévères limites à la hausse des prix des articles de consommation. Sans en avoir l’intention, les Chinois ont ainsi contribué à enrayer le mécanisme de transmission des hausses de prix d’un secteur à l’autre. Ils ont cassé le thermomètre de l’inflation.
Si le monde avait vécu en véritable régime de changes flottants – comme c’est le cas pour l’ensemble des grandes monnaies occidentales les unes par rapport aux autres – l’alerte serait arrivée beaucoup plus tôt. La réévaluation automatique du Yuan par rapport au dollar , et donc la hausse des prix chinois à l’exportation, aurait évité l’explosion du déficit extérieur US.. Le couvercle chinois n’aurait pas limité la hausse des prix américains. Le caractère inflationniste de la politique monétaire aurait été immédiatement révélé, contraignant la FED à donner un coup de frein et à crever la bulle dès sa naissance. De même, si le monde vivait en régime d”étalon-or, ou même seulement d’étalon de change-or, la régulation des excédents et des déficits de balance de paiements se ferait automatiquement par sorties ou entrées d’espèces qui viendraient étouffer dans l’oeuf tout excès d’offre monétaire. Dans les deux cas, l’information sur la réalité de la politique inflationniste de la FED aurait immédiatement circulé. Elle n’aurait pas attendu (peut-être cinq ans, si l’on veut un ordre de grandeur) pour apparaître au grand jour.
Le mode de fonctionnement du système monétaire international, tel qu’il a évolué à partir de la fin des années 1980 – et qui émule pour une large part l’organisation mise en place entre l’Europe et les Etats-Unis, au lendemain de la guerre, par les Accords de Bretton Woods [6] – a ainsi conforté les autorités monétaires américaines dans leur aveuglement. Elles croyaient serrer les boulons juste ce qu’il fallait, alors qu’en fait elles étaient trop laxistes, mais elles ne pouvaient pas le savoir.
Le scénario “autrichien”
Les pouvoirs publics n’ont pas imaginé que l’une des conséquences de la mondialisation, couplée avec la grande révolution du monde numérique, serait de susciter l’émergence d’une forme très inhabituelle d’inflation : une inflation sans accélération visible de la hausse des prix à la consommation. Une hypothèse incroyable, impensable pour des économistes formés aux canons de la macro économie néo-classique héritée de l’après-guerre, et surtout préoccupés de ne pas voir resurgir le diable par excellence qu’est la déflation [7]. Une hypothèse qui avait été cependant fort bien analysée à l’époque de la Grande Dépression par quelques savants comme Hayek et von Mises (Théorie autrichienne du cycle), mais que le succès populaire des thèses keynésiennes avait totalement discrédité, au point de la faire disparaître des manuels, même des ouvrages d’histoire de la pensée économique. Une hypothèse qui, notamment avec sa théorie du malinvestissement, rend pourtant très bien compte des conditions particulières de la croissance accompagnée, depuis quinze ans, par une succession d’épisodes d’investissements spéculatifs (Assets inflation) – dont la bulle internet de l’année 2000 et la méga bulle financière des dernières années sont les plus récents avatars -, puis de la manière dont tout ceci se retourne en méga-crise, selon le scénario suivant :
1.- La baisse des taux qui résulte de l’injection initiale de monnaie excédentaire n’a pas seulement pour conséquence de stimuler l’activité de certains secteurs (ceux qui sont très sensibles au niveau des taux du fait de cycles de production relativement longs comme l’immobilier ou l’investissement industriel et technologique), elle a aussi pour incidence d’encourager les industriels à multiplier les détours de production (qui allongent les cycles de production) et à se lancer dans la réalisation de projets qui, en réalité, ne sont pas économiquement rentables.
2. – En faisant baisser les taux d’intérêt en dessous du taux d’intérêt naturel de l’économie (une notion que l’on doit à l’économiste suédois du début du siècle, Knut Wicksell), l’excès de monnaie envoie un signal, une information erronée aux entrepreneurs. Il leur laisse croire que le volume d’épargne réel disponible pour financer les projets d’investissement est plus important qu’il n’est réellement. Plus de projets pour l’avenir sont donc entrepris que l’économie ne peut en fait en supporter financièrement.
3. – Conséquence : un certain nombre n’arriveront jamais à terme et devront être abonnés avant même que d’être achevés (pensons à ces lotissements entiers de maisons inachevées abandonnés par leurs promoteurs ; ou encore à ces milliers de kilomètres de cables en fibre optiques posés à la fin des années 1990 et dont les entreprises ont fait faillite lors de la crise de 2001). C’est le phénomène que les économistes autrichiens désignent par le terme malinvestissement. (Aujourd’hui, on pourrait ajouter à la liste de ces malinvestissements une bonne part de ces nouvelles activités financières productrices de produits complexes ou exotiques, qui sont au monde de la finance l’équivalent de ce que sont les détours de production dans le monde industriel).
4. – L’excédent de monnaie orienté par la baisse initiale des taux vers les secteurs d’amont finit, au bout de quelques temps, par refluer en aval vers les secteurs de la consommation (suivant le mécanisme évoqué plus haut). Ceux-ci se mettent à surenchérir pour se procurer les ressources supplémentaires et biens intermédiaires dont ils ont besoin (main d’oeuvre, matières premières, machines). Les prix montent et provoquent, par un juste retour des choses, un enchérissement des coûts des activités en amont.
5. – Les projets encore en cours de développement voient alors leurs budgets s’envoler et dépasser les enveloppes financières qui leur avaient été allouées. Certains projets industriels résistent mieux que d’autres. Ceux dont les espérances de rentabilité sont les moins bien assurées, qui ont été entrepris dans l’anticipation de retours sur investissement se situant dans le bas de la fourchette de calcul des investisseurs, ou qui, dès le départ, étaient mal capitalisés, se retrouvent avec des trésoreries qui s’assèchent, des fonds de roulement qui s’épuisent, et de plus en plus de difficultés pour assumer les charges de leur endettement – d’autant que la remontée des prix à la consommation signe alors, pour les autorités monétaires, la fin de la récréation, et que, prenant enfin conscience de l’environnement inflationniste, elles remontent les taux. Nombreux sont ceux qui doivent alors jeter l’éponge et sont contraints à la faillite – en règle générale les projets qui, précisément, n’auraient jamais vu le jour si le bas niveau des taux n’avait, au début du processus, envoyé de fausses informations.
6. – C’est la crise. Celle-ci révèle, par les faillites, l’ampleur des malinvestissements, et en même temps engage leur liquidation. On entre alors dans une phase d’assainissement dont le coût humain et financier est d’autant plus considérable que le processus d’inflation à l’origine du cycle aura duré plus longtemps.
La résultat de cette analyse est que s’il y eut erreur de politique monétaire, ce n’est pas seulement pour la période 2002-2005. Le processus était engagé dès bien avant. Les racines de la crise sont donc bien plus profondes et anciennes qu’on ne l’explique généralement dans les analyses [8].
Les analogies avec la crise de 1929.
Dans l’épais livre qu’il a consacré à l’histoire de la crise de 1929 [9], Murray Rothbard dresse un panorama des années vingt qui montre qu’elles présentaient un grand nombre d’analogies avec la période récente. Même atmosphère d’éxubérance financière et boursière, même climat d’ engouement pour des produits financiers nouveaux, et, surtout, à l’intiative d’Irving Fisher, le grand économiste de l’époque, même primat d’une politique monétaire fondée sur le dogme de la neutralisation des mouvements de prix comme clé de la stabilité économique [10].
L’histoire retient surtout la grande erreur commise à partir de la mi-1929 par George Harrison, le successeur de Benjamin Strong, décédé à la fin 1928, à la tête de la FED de New York. Conseillé par un économiste du nom d’Adolphe C. Miller, il avait décidé d’interdire le recours à l’escompte de la Banque central à tout établissement bancaire impliqué dans des opérations de crédit à objet spéculatif. C’est comme si, aujourd’hui, la FED interdisait, du jour au lendemain, l’accès de ses guichets à toute banque impliquée dans des marchés de nouveaux produits dérivés ou structurés. Il en est résulté une pénurie de liquidités et une montée des taux d’intérêt qui ont provoqué un afflux considérable d’or étranger vers les coffres de la banque centrale des Etats-Unis (d’où l’exportation de la crise vers l’Europe). Mais cela ne servit à rien car la banque centrale s’est farouchement refusée à monétiser cette arrivée d’or. Cette politique a non seulement provoqué le crash d’Octobre 1929, mais surtout elle a entraîné l’économie américaine dans une déflation massive qui a duré jusqu’à la fin 1932, et fut la cause immédiate de la Grande Dépression [11].
On oublie que les années de la premières après-guerre furent également des années de forte innovation technologique marquée, comme la décennie 1990, par des progrès rapides de la productivité. Il en est résulté que l’application résolue de l’idée selon laquelle l’objectif prioritaire de la politique monétaire devait être de stabiliser les prix afin d’éviter le retour d’épisodes de baisse des prix (idée mise en application avec constance par Benjamin Strong durant son mondat 1922-1928) a aussi eu pour effet pervers, comme la politique d’Alan Greenspan, de déclencher un cycle d’inflation non accompagné d’une hausse apparente de l’indice général des prix. Conformément au modèle du cycle autrichien décrit par Hayek et Mises, c’est le déclenchement de ce cycle d’inflation par excès d’investissement (et non par excès de la demande de consommation) qui, en générant une épidémie de malinvestissements, a créé les conditions de la Grande Crise. La décision intempestive de la FED au printemps 1929 n’a été que le déclencheur d’un retournement en tout état de cause déjà programmé(comme la hausse des taux de 2006 qui est à l’origine de la crise des subprimes) et la déflation entretenue par cette politique n’a fait qu’amplifier les choses jusqu’au désastre que l’on connaît.
Le grand espoir est que la reflation massive des douze derniers mois évitera au monde contemporain le genre de descente aux enfers que connurent nos prédécesseurs des années 1930-1940. Personne, pas même les meilleurs économistes ne peuvent prévoir ce qui va maintenant se passer. Il n’en reste pas moins qu’on est légitimement en droit d’être inquiet. Pour la raison qu’une politique de reflation ne règle rien aux problèmes de malinvestissement massif qui sont la cause réelle du retournement de cycle engendré par la non adaptation de la politique monétaire aux conséquences du choc déflationniste initial.
La reflation n’est en effet pas l’inverse de la déflation, et ne saurait donc en annuler les effet. La déflation est un processus qui résulte de ce que la mauvaise orientation des investissements fait apparaître des déséquilibres industriels profonds : ici trop de capacités face à une demande insuffisance, ailleurs le contraire. Ces désajustements finissent nécessairement par s’autocorriger via le processus de crise. La reflation ne fait pas de distinction entre les secteurs. Et lorsque les pouvoirs publics se mêlent d’en faire, sous prétexte de politique industrielle (comme dans les Plans de relance), les nouvelles liquidités monétaires injectées par l’Etat ou la banque centrale vont être en priorité captées – suivant le schéma de capture politique bien connu des économistes du Public Choice – par les entreprises précisément les moins compétitives, les plus mal menées par la concurrence étrangère, celles dont le processus d’ajustement devrait entraîner la disparition, par fermeture pure ou simple, ou par absorption (cf l’exemple de l’industrie automobile américaine).
La logique de ces plans de relance est donc en réalité d’entraver les mécanismes d’assainissement industriel et de prolonger la durée de la crise (notamment en entretenant, et même en accélérant l’inflation, et donc la mauvaise allocation de ressources qui va avec). Peut-être peut on difficilement y échapper pour des raisons électoralistes. Mais il faut avoir conscience du coût économique qui, au bout d’un certain temps, risque de toute façon de se tranformer en véritable risque politique pour tout le monde [12].
Au total, cette analyse suggère que les grandes crises économiques types 1929 ou 2009 trouvent en définitive leur véritable origine dans l’institution même de systèmes monétaires et bancaires régulés par ces organisations humaines, et donc faillibles, que sont les banques centrales [13]. C’est toute la théorie de la monnaie, de sa production et de sa régulation qu’il faut rééxaminer sous un jour nouveau [14].
Ce texte fait partie d
[1] Par exemple William White, ancien Chief Economist de la BRI – cf l’article du Spiegel "The Man Nobody Wanted to Hear : Global Banking Economist Warned of Coming Crisis"
[2] Au point que l’on identifie le plus souvent l’inflation à la hausse générale des prix alors que celle-ci n’en est qu’une conséquence, un symptôme.
[3] Rappelons que pendant la plus grande partie du XIXème siècle les prix ont en moyenne baissé de 1 à 2% par an, au rythme des progrès de la productivité.
[4] Sur ce concept de choc déflationniste, et ses conséquences monétaires, voir Jerry O’Driscoll, ‘Money and the Present Crisis’, Cato Journal, Vol.29, N°1, Winter 2008, ainsi que George Selgin, ‘Guilty as Charged’,Mises Daily, 7 novembre 2008 – deux textes auxquels le contenu de cet article doit beaucoup.
[5] Les autorités monétaires se posent bien des questions. Une telle situation est anormale. Elle ne correspond pas aux modèles traditionels du cycle conjoncturel. Mais comme elles n’ont pas les moyens d’identifier si la hausse du prix des actifs est le produit d’un processus inflationniste, ou seulement un ajustement de prix relatifs correspondant à des changements réels dans la structure de l’économie, elles préfèrent ne rien faire. C’est la fameuse Greenspan Doctrine formulée en 2002 : si la bulle fait courir le risque de plonger l’économie dans la déflation, j’interviens ; autrement, je ne bouge pas. Une décision qui, elle aussi, a pesé lourd dans le déclenchement des événements. Cette règle d’acton politique asymétrique a été immédiatement intégrée dans les calculs des marchés et a donc entretenu la formation de la bulle.(autre exemple particulièrement marqué d’aléa moral résultant d’une décision publique).
[6] Pour des détails, voir Michael P. Dooley, David Folkers-Landau et Peter M. Gruber, ‘An Essay on the Revised Bretton Woods Agreement’, 2003, NBER Working Paper 9971.
[7] Chez les économistes il n’y a pas de terme qui provoque plus de terreur instinctive. Depuis le milieu des années 1990, la peur de la déflation était entretenue précisément par les effets de la concurrence asiatique, et notamment par le fait que, pour la première fois depuis très longtemps, on voyait l’évolution des indices des prix d’un certain nombre de secteurs industriels, produisant notamment des biens intermédiaires, redevenir négative. Pour une défense de la déflation, et la dénonciation des idées reçues entretenues à son sujet par les économistes, voir le petit livre de Jorg Guido Hulsmann, ‘Deflation and Liberty’ ainsi que les article de Robert Higgs (‘Nonsense about Deflation’) et de George Selgin ‘Deflated Expectations’.
[8] Certains économistes de la BRI commencent à reconnaître que le monde de ce début de XXIème siècle a peut être plus de points communs avec l’univers et les mécanismes décrits par la théorie autrichienne de l’entre deux guerres qu’avec les enseignements de la macro économie traditionnelle. Cf W.H. Buiter, ‘Central Banks and Financial Crisis’, paper presented at the Federal Reserve Bank of Kansas City’s symposium on ‘Maintaining Stability in a Changing World’, Jackson Hole, Wyo., 21-23 Août 2008.
[9] Murray Rothbard, ‘America’s Great Depression‘
[10] Voir l’article déjà cité de Jerry O’Driscoll.
[11] Cf le récit de Richard H. Timberlake, ‘The Federal Reserve’s Role in the Great Contraction and the Subprime Crisis’, Cato Journal, vol.28, n)2, Spring/Summer 2008.
[12] Pour une critique ‘autrichienne” des plans de relance, voir les articles du Professeur Mario Rizzo, sur le blog ThinkMarkets, notamment : ‘The Macroeconomic Knowledge Problem‘, et ‘Inappropriate Stimulation‘ . Voir aussi ‘A Microeconomist’s Protest‘ dans The Freeman
[13] Pour en savoir plus sur cette thèse, voir l’excellente démonstration du professeur Guido Hülsmann ‘Une crise de l’interventionnisme monétaire et financier’ dans la revue de l’ALEPS (Association pour la liberté économique et le progrès social), 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris.
[14] Pour une explication de la manière dont s’effectuerait la régulation de systèmes bancaires libres (sans banque centrale), voir la remarquable interview du Professeur George Selgin reproduite sur le site de l’Institut Turgot.