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Le financement des 35 heures coûterait à l’Etat près de 30 milliards de francs de plus que prévu
jeudi 22 février 2001
L’ADDITION devient préoccupante. Le Forec, le fonds d’allègement des charges spécialement créé pour financer les 35 heures, souffre d’un déficit cumulé, sur 2000 et 2001, de « 27 à 32 milliards de francs », bien plus que les quelques milliards reconnus du bout des lèvres par le gouvernement. « Prodigieusement agacé par les réponses floues » du cabinet d’Elisabeth Guigou sur le financement des 35 heures, le sénateur (RPR) Charles Descours s’en est allé, en effet, faire une enquête « sur pièces et sur place ».
Cette mission de contrôle, plutôt rare, a déjà été utilisée durant l’été 2000 par le Sénat dans l’affaire de la cagnotte de Bercy. A l’époque, elle avait abouti à un rapport sévère de la commission des finances sur le « mensonge budgétaire »du gouvernement. Cette fois, après avoir épluché les documents de l’Acoss, la banque de la « Sécu », des services du ministère de l’emploi et du budget, M. Descours, rapporteur des lois de financement de Sécurité sociale, reproche au gouvernement d’avoir « sciemment sous-estimé »les dépenses engendrées par les 35 heures. Dans une note de huit pages communiquée mercredi 21 février, il estime qu’avec des recettes en baisse et des dépenses en hausse, le Forec est « soumis à un curieux effet de ciseau ».
Ainsi, en 2000, au lieu des 63,9 milliards de recettes escomptées, réévaluées ensuite à 67 milliards, le Forec n’a encaissé que 59 milliards. Or, en s’appuyant sur les documents qui lui ont été remis, le sénateur évalue le coût probable de la réduction du temps de travail « entre 71,2 et 80 milliards de francs », selon la méthode comptable retenue (droits constatés ou encaissement-décaissement). Le déficit serait alors compris dans une fourchette de 12 à 11,3 milliards.
Même chose en 2001 : alors que le ministère de l’emploi tablait sur 85 milliards de recettes, 95,6 milliards seraient, en réalité, nécessaires selon les prévisions du ministère, voire plus de 100 milliards selon l’Acoss. Hélas, dans l’état actuel des choses, elles « ne dépasseraient pas 80 milliards », assure M. Descours. Le déficit se situerait alors « entre 16,4 et 20,9 milliards de francs ».
Alimenté par tout un tas de sources, depuis les recettes fiscales du tabac et de l’alcool en passant par une contribution sociale sur les bénéfices des entreprises les plus riches (CSB) et par la taxe sur les activités polluantes (TGAP), le Forec a connu très tôt, il est vrai, toute une série de déboires. Tout d’abord, les partenaires sociaux ont refusé de mettre la main à la poche et de verser les excédents d’organismes sociaux tels que l’Unedic ; puis le Conseil constitutionnel a censuré la taxe sur les heures supplémentaires prévue par la loi, avant d’annuler l’extension de la TGAP. Contraint de trouver de nouvelles recettes, le gouvernement a décidé d’affecter une partie de la taxe sur les contrats d’assurance (4 milliards sur 29), renforçant un peu plus le sentiment d’une « tuyauterie » baroque. « C’est très rigolo. J’ai même retrouvé cette expression dans les documents du ministère », jubile M. Descours. Mais, pour le sénateur, il y a pire que les mauvaises rentrées ou le rendement insatisfaisant de la TGAP. Malgré les alertes de ses services, le « gouvernement a systématiquement choisi des hypothèses "basses" », écrit-il.
Surtout, il dénonce la tentation du gouvernement de « laisser cette situation perdurer » en profitant, pour combler le manque, des rentrées de cotisations supplémentaires enregistrées dans les comptes de la Sécurité sociale, sans que cela nuise à son équilibre. La « Sécu » « qui participe d’ores et déjà au financement des 35 heures à plus de 18 milliards de francs en 2001
(...) se verrait infliger une charge supplémentaire de 12 milliards de francs pour 2000 », accuse M. Descours. Une telle situation ne manquerait pas de provoquer la colère des partenaires sociaux... Elle donnera en tous cas l’occasion à la commission des affaires sociales du Sénat, dès la reprise des travaux parlementaires, de réclamer une fois de plus une loi de finance rectificative du budget de la Sécurité sociale.
EMBARRAS AU MINISTÈRE
Interrogé mercredi soir, l’entourage de Mme Guigou conteste la « dramatisation »des résultats affichés par M. Descours tout en reconnaissant « travailler » à de nouvelles sources de financement, soit par le truchement de nouvelles taxes, soit par l’augmentation du prélèvement de certaines d’entre elles, notamment des contrats d’assurance.
Rendez-vous est pris avec l’examen, en mai, des comptes de la Sécurité sociale, prélude à la préparation du prochain budget. En attendant, comme le souligne fort justement M. Descours, le décret donnant formellement naissance à la structure du Forec, n’est toujours pas paru. Il a pourtant été examiné en octobre 2000 par le Conseil d’Etat...
Isabelle Mandraud
LE MONDE | 22.02.01