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Sur le conflit du Kosovo

mardi 7 décembre 1999

Les deux arguments sont d’une extrême fragilité et ne sauraient entacher la légitimité de la décision de l’OTAN. Le rapprochement établi entre les séparatismes à l’Ouest et à l’Est est en effet injustifié et fallacieux, tandis que l’analyse selon laquelle l’attaque de l’OTAN est orientée contre un pays qui n ’a pas commis d’agression prête sérieusement à discussion.

Cette dernière affirmation méconnaît en effet les événements survenus dans cette région en 1989. Avant cette date, le Kosovo jouissait, grâce à la Constitution de 1974, du statut d’ "élément constitutif" de l’ex-Yougoslavie et, à ce titre, disposait d’un parlement, d’un gouvernement, d’une cour de justice et d’un droit de veto sur les décisions fédérales, à l’égal de la Serbie. Après la mort de Tito en 1980, les Albanais du Kosovo ont par deux fois présidé l’ex-Yougoslavie, en vertu du principe de présidence tournante assuré par chacune des composantes de la fédération. Bien qu’il ne se soit pas vu reconnaître le nom de République, le Kosovo était donc bien, de facto, un Etat fédéré.

Mais la Constitution de 1974 recelait une profonde ambiguïté, source des tensions actuelles. Bien qu’ayant de droit des prérogatives semblables à celles des Républiques de Bosnie, de Croatie, de Macédoine, du Monténégro, de Serbie et de Slovénie, nominalement le Kosovo n’était qu’une province interne à la Serbie.

Ce statut de République avait été refusé pour des raisons complexes. Les Albanais ont été considérés seulement comme nationalité et non comme peuple constitutif, comme ce fut le cas pour les Bosniaques, les Croates, les Macédoniens, les Monténégrins, les Serbes et les Slovènes, étant donné qu’il existait un Etat albanais. Seuls les peuples constitutifs ont obtenu une République. Milosevic s’est alors fait fort d’interpréter l’autonomie comme réversible, afin de consolider son pouvoir et de mettre en œuvre son projet de réalisation d’une Grande Serbie.

Au regard du coup de force subi par les institutions du Kosovo en 1989, peut-on véritablement nier qu’il y ait eu agression de la Serbie envers le Kosovo, quasi-Etat fédéré auquel il ne manquait que le nom de République ? Ce serait avaliser à trop bon compte un état de fait et permettre que se pérennise une violation flagrante du droit. Dans la mesure où la guerre en Croatie, puis en Bosnie, a été considérée comme une offensive de la Serbie contre des Etats souverains, il n’est pas recevable de ne pas porter le même diagnostic sur la situation actuelle au Kosovo. Aussi l’action de l’OTAN ne peut-elle pas être appréciée comme une attaque d’un pays qui n’aurait pas commis d’agression.

La comparaison établie entre les séparatismes de l’Ouest et celui du Kosovo n’est pas plus recevable. Le traitement réservé par les Etats ouest-européens aux revendications irlandaises, corses ou basques a toujours consisté en un relatif dosage entre répression et négociation. Dans ces conditions, obtenir quelques concessions des autorités anglaises, françaises ou espagnoles n’apparaissait pas totalement comme une gageure. De fait, l’Irlande du Sud est devenue indépendante en 1920 et la situation en Irlande du Nord a fait l’objet d’accord nombreux, même si beaucoup n’ont pas été suivis d’effets et s’il a fallu attendre la fin des années 1990 pour espérer voir se mettre en place un pla nde paix ; la Corse s’est vu concéder un statut dérogatoire dans le cadre des lois de décentralisation de 1982 et le Pays basque est devenu une communauté autonome en 1975.

Il en va tout autrement pour les Albanais du Kosovo, rattachés contre leur gré à la Serbie à l’issue de la première guerre balkanique de 1912. Le gestion de la question albanaise par les autorités serbes n’a eu qu’un objectif : faire disparaître les Albanais eux-mêmes, soit en les assimilant, soit en les éradiquant. Le traitement qui leur a été réservé dépasse largement celui de leurs velléités séparatistes. Presque toujours considérés comme "terroristes" par essence, ils ont été traités comme tels, même en l’absence de mouvement indépendantiste. Les autorités serbes n’ont pas hésité, dans les années 1920, à bombarder des villages albanais et à pratiquer (déjà) une politique de la terre brûlée.

Après une tentative infructueuse de colonisation du Kosovo, entre les deux guerres, le pouvoir Serbe a imaginé, en 1937, de déporter les Albanais vers la Turquie, en prenant exemple sur les autorités allemandes qui, elles, faisaient de même avec les Juifs ! Les Serbes étaient même prêts à payer les autorités turques pour qu’elles acceptent ce projet.

Le lot quotidien des Albanais, après la deuxième guerre mondiale et jusqu’à la chute du terrible ministre de l’Intérieur Rankovic, en 1966, était d’être inquiétés par la police politique, arrêtés et condamnés arbitrairement, bref, de faire l’objet d’une terreur sans commune mesure avec ce qui se passait dans les autres républiques de la Yougoslavie.

Les méthodes actuelles des autorités serbes s’inscrivent donc dans une continuité. Les dirigeants occidentaux auraient tort de reprendre à leur compte l’analogie que les Serbes eux-mêmes tentent d’établir entre le Kosovo et les séparatismes ouest-européens, les Etats démocratiques n’étant pas à l’origine de violations des droits de l’Homme aussi terribles que celles constatées au Kosovo.

Aujourd’hui tout comme hier, la disproportion des forces est évidente. Le bilan d’une année de conflit est terrible : plus de 2 000 morts, civils pour la plupart, environ 500 000 réfugiés, sur une population de moins de 2 millions de personnes, des centaines de villages rayés de la carte, des prisonniers politiques accusés après avoir subi d’horribles tortures. Le pouvoir serbe poursuit ainsi un projet de purification ethnique qui a ses racines au début de ce siècle. Aucun des Etats d’Europe de l’Ouest, confronté à des revendications séparatistes, n’a mis en œuvre des moyens aussi démesurés. La quête de liberté des Kosovars est sans commune mesure avec celle des séparatistes d’Europe de l’Ouest.

Il ne faisait aucun doute que Milosevic préparait une vaste offensive destinée soit à faire fuir un maximum de Kosovars, afin de modifier la balance ethnique du Kosovo, soit à préparer une partition du Kosovo, en ne cédant qu’après avoir pris position sur des zones stratégiques (celles qui contiennent les monastères orthodoxes et les ressources minières). Il y avait donc urgence : les informations quotidiennes devenaient une véritable chronique annoncée d’un génocide.

L’obstination de Milosevic a donc fini par faire évoluer considérablement les analyses géostratégiques des Occidentaux. Durant tout le XXe siècle, la Serbie a été considérée comme le pilier de la stabilité des Balkans. Depuis un an, il apparaît bien que c’est l’absence de résolution de la question du Kosovo qui est déstabilisatrice.

L’afflux massif de réfugiés kosovars vers la Macédoine, ces dernières semaines, recelait un risque supplémentaire de perturbation de la région, ce petit pays de deux millions d’habitants ayant une population à 30 % albanaise. Avec ce pays, c’est tous les Balkans qui risquaient de s’enfoncer dans la guerre. L’intervention de l’OTAN arrive donc à point, alors que le Conseil de sécurité de l’ONU l’aurait bloquée. En raison de la présence en son sein de pays non démocratiques comme la Chine et la Russie, ce Conseil manque de crédit pour mener à bien des missions de paix dans le monde.

Il est donc bienvenu que l’OTAN se substitue à l’ONU afin d’assurer la stabilité régionale et d’empêcher un génocide. Le cynisme en diplomatie conduit généralement à appliquer le principe selon lequel il vaut mieux préférer une injustice à un désordre. L’exemple du Kosovo illustre bien ses limites, tant une injustice peut être source de désordres plus graves encore.

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