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Luxembourg : Quand le conseil d’Etat s’en prend au keynésianisme dominant
lundi 8 février 2010
Les économistes keynésiens, c’est à dire la majorité de ceux ayant accès aux médias grand public, répètent que la crise est une confirmation des théories de John Maynard Keynes. Pourtant, la crise actuelle est clairement une crise d’excès de dette, prévue de longue date par les économistes autrichiens, qui en fournissaient une explication convaincante. Ce discours autrefois ignoré est de plus en plus connu et, alors que la presse française ne connait que le keynésianisme, des voix différentes sont largement diffusées alors. En Pologne, l’un des seuls pays à afficher une croissance économique positive en 2009, le gouvernement s’était fermement opposé à tout plan de relance keynésien.
Au Luxembourg, le conseil d’Etat lui-même s’est fait l’avocat des thèses autrichiennes dans un avis publié le 21 avril 2009. Nous en publions les meilleurs extraits :
Contrairement à la pensée unique keynésienne, les protagonistes de
cette école de pensée connue comme l’école autrichienne de l’économie ne
voient pas la « crise » actuelle comme une phase conjoncturelle inhérente au
système capitaliste mais comme conséquence des interventions étatiques
dans le système monétaire et bancaire et plus particulièrement du système
de monnaies artificielles, le « fiat money » caractérisé :
par des banques centrales étatiques et monopolistiques fixant comme dans une économie communiste à la fois la quantité et le prix de la monnaie produite,
par un système de réserve fractionnelle permettant aux banques de multiplier crédits tout en se fiant aux banques centrales comme « lenders of last resort » et surtout
par l’absence de couverture ou de contrepartie réelle comme dans un système étalon or.
Selon les économistes autrichiens, la crise découle des politiques monétaires dites de "stabilisation" et surtout de l’accroissement inconsidéré et irresponsable de la masse monétaire. C’est probablement par pudeur, ou par peur d’annoncer la catastrophe à venir que la banque centrale américaine, la FED, ne publie plus depuis 2007 l’évolution de la masse monétaire M3.
Les agents des marchés financiers, précisément parce qu’ils étaient sûrs du soutien des banques centrales, ont minimisé leurs trésoreries et leurs fonds propres, fragilisant ainsi l’industrie financière. De plus, la politique des taux d’intérêt bas, pratiquée de longue date par les banques centrales, a engendré des investissements insoutenables. Un cas d’école récent est l’exubérance des investisseurs dans les deux bulles consécutives de la bourse (dot-com) et de l’immobilier.
Un autre cas flagrant est l’endettement des particuliers surtout aux Etats-Unis, source de revenu pour maintes industries de biens de consommation : automobiles, immobilier, informatique, jouets, vêtements etc. Aujourd’hui les erreurs d’investissement commises dans ces industries se manifestent par une crise d’insolvabilité à l’échelle mondiale.
Cette insolvabilité généralisée n’est cependant pas en premier lieu un problème psychologique ("perte de confiance") qui saurait être redressé par des dépenses de l’Etat. Elle signale une pénurie globale de capitaux réels qui menace d’assécher la production et d’appauvrir la société entière. Les firmes insolvables ont fait des investissements fixes insoutenables. Ils ont visé une clientèle dont la richesse a été en fin de compte imaginaire, car résultant de bulles spéculatives. Pour sortir de la crise, il faut alors réaffecter le travail, les matières premières et les produits intermédiaires qui sont à présent consommés par ces firmes.
Autrement dit, il faut arrêter les projets de production qui gaspillent des ressources et alimenter de nouveaux projets qui sont rentables et donc soutenables. Si l’on refuse cette "destruction créatrice" (Schumpeter) qui passe par un chômage temporaire accru, on risque de consommer les ressources sans les renouveler.
Ces deux mouvements cycliques, provoqués par les interventions certes bienveillantes de l’Etat, ainsi que leurs conséquences font l’objet de descriptions assez éloquentes d’un économiste qui compte parmi les fondateurs de cette école, Ludwig von Mises.
« Le « boom »
Il est habituel de décrire le boom comme un surinvestissement. Cependant, l’investissement supplémentaire n’est possible que dans la mesure où il y a une offre supplémentaire de biens capitaux disponibles. Comme à part l’épargne forcée, le boom lui-même n’a pas pour résultat une restriction mais plutôt un accroissement de la consommation, il ne procure pas plus de biens capitaux pour des investissements nouveaux. L’essence du boom par expansion de crédit n’est pas le surinvestissement, mais l’investissement dans des voies fausses, c’est-à-dire le mal-investissement.
Quelles que soient les conditions, il est certain qu’aucune manipulation des banques ne peut fournir des biens capitaux au système économique. Ce qui est requis pour une expansion solide de la production,
C’est des biens capitaux supplémentaires, pas de la monnaie ni des moyens fiduciaires. Le boom par expansion de crédit est bâti sur le sable des billets de banque et des dépôts. Il doit s’effondrer.
Le « bust »
Le bust survient dès que les banques prennent peur devant le rythme accéléré du boom et commencent à s’abstenir de poursuivre l’expansion de crédit. Le boom ne pouvait continuer qu’aussi longtemps que les banques étaient prêtes à accorder librement tous les crédits dont les entreprises avaient besoin pour exécuter leurs projets excessifs, qui sont en désaccord absolu avec l’état réel de l’offre de facteurs de production et les évaluations des consommateurs. Ces plans illusoires, suggérés par la falsification du calcul économique par la politique de monnaie bon marché, ne peuvent être poursuivis que si de nouveaux crédits peuvent être obtenus aux taux bruts du marché, qui sont artificiellement tenus au-dessous du niveau qu’ils atteindraient sur un marché libre de l’emprunt. C’est cette marge qui leur donne une apparence trompeuse de rentabilité. Le changement dans le comportement des banques ne crée pas la crise. Il rend simplement visibles les ravages répandus par les erreurs que les entreprises ont commises dans la période de boom.
Un boom d’expansion de crédit doit inévitablement conduire à un processus que le discours commun appelle dépression. L’économie doit comprendre que la dépression est en fait le processus de réajustement, de remise des activités de production en accord avec l’état réel des données du marché.
Les conséquences
Le résultat final de l’expansion de crédit est un appauvrissement général. Certaines personnes peuvent s’être enrichies, mais l’immense majorité doit régler la facture des mal-investissements et de la surconsommation de l’épisode de boom.
L’expansion produit d’abord l’apparence illusoire de la prospérité. Elle est extrêmement populaire parce qu’elle semble enrichir la majorité et même tout le monde. Elle a un aspect attirant. A l’inverse, la contraction produit immédiatement des conditions que tout le monde est prêt à condamner comme mauvaises. Son impopularité est même plus grande que la popularité de l’expansion. Elle crée une opposition violente. Très vite, les forces politiques qui la combattent deviennent irrésistibles.
Mais la différence entre les deux modes opposés de manipulation du crédit monétaire ne réside pas seulement dans le fait que l’un est populaire alors que l’autre est universellement abhorré. La déflation et la contraction risquent moins vraisemblablement de propager des ravages que l’inflation et l’expansion, et pas seulement parce qu’on y a moins souvent recours. Elles sont aussi moins désastreuses à cause de leurs effets inhérents. L’expansion gaspille des facteurs de production rares par le mal-investissement et la surconsommation. Quand elle se termine, un processus pénible de redressement est nécessaire pour remédier à l’appauvrissement qu’elle laisse derrière elle.
Mais la contraction ne produit ni mal-investissement ni surconsommation. Il n’en reste pas de cicatrices durables. Quand la contraction prend fin, le processus de réajustement n’a pas besoin de combler les pertes entraînées par la consommation de capital. »
Dans cette optique le boom s’apparente à un état fiévreux alors que la dépression constitue la guérison et le retour à la normale. Les programmes de relance empêchent ce retour, ils prolongent pour ne pas dire ils pérennisent l’état fiévreux, endommageant durablement l’organisme économique. Citons à cet endroit le professeur d’économie à l’université d’Angers Guido Hülsmann : « On comprend alors que les "politiques de relance" sont vouées à l’échec. Pis, elles risquent de prolonger et aggraver la crise, car elles cherchent à conserver les industries actuelles, tandis qu’il s’agit justement de les remanier. Par conséquent la relance est une "fata morgana ". A court terme, les dépenses de l’État bénéficient à certaines industries aux dépens du reste de l’économie ; à moyen et long terme, elles appauvrissent la société entière. Dans les années 1930, les "relances" mises en place avaient retardé l’essor de l’économie américaine. Au bout de dix ans seulement, elle retrouvait son niveau d’activité de 1929. On serait mal avisé de suivre cet exemple.
Mais quelles sont les alternatives ? Si l’interventionnisme est à l’origine de la crise, il est logique de chercher la solution dans le sens opposé, en ôtant la gestion de la crise des mains du gouvernement et des banques centrales pour la confier aux citoyens, c’est-à-dire aux épargnants et aux entrepreneurs.
Le résultat du laisser-faire serait une thérapie de choc avec des effets exactement contraires à ceux des politiques actuelles. A court terme une spirale déflationniste avec effondrement des marchés financiers et banqueroute de ceux qui ont financé leurs investissements largement par la dette. Puis des ventes d’usines et d’immeubles à bas prix à ceux qui n’ont pas, ou peu, de dettes. Pendant que les nouveaux propriétaires s’installent, il y aurait un chômage massif, une chute de la production et donc une réduction des revenus réels de la population. Après cette tempête, au bout de deux ou trois ans, on pourrait cependant s’attendre à une très forte relance de la croissance et à la disparition du chômage, la déflation ayant purgé l’économie des investissements insoutenables.
Voilà une approche qui a fait ses preuves tout au long du XIXième siècle et jusqu’au début des années 1920. C’est toujours une option à l’heure actuelle, et probablement pas la plus mauvaise. »
Plutôt que de prolonger la crise, d’appauvrir encore davantage la population, et – pire – de jeter les bases d’une nouvelle crise aux amplitudes plus gigantesques encore au vu des moyens financiers inflationnistes injectés, ne vaudrait il pas mieux renoncer aux interventions néfastes préconisées par les politiques malgré toute bienveillance prétendue ou réelle.
Voir en ligne : Liberaux.org
Image : Ludwig von Mises, image sous licence Creative Commons Attribution ShareAlike 3.0 du Ludwig von Mises Institute