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Le modèle allemand est-il vraiment un modèle ?
samedi 27 mars 2010
Il y a peu, Christine Lagarde fustigeait le modèle allemand accusé de n’être ni soutenable ni fair play pour les partenaires européens, en particulier la France. Beaucoup ont réagit en se moquant des propos du ministre. Il est vrai qu’ils sont assez maladroits, en ce qu’ils traduisent l’incompétence de nos dirigeants à libérer les forces productives du pays, alors que ce serait le seul moyen de mieux résister à la concurrence allemande… Facile de railler l’aventureuse déclaration.
Pourtant, peut-on dire que le modèle allemand est une réussite qu’il faudrait copier et adapter en France ?
Loin de moi, bien sûr, l’idée de donner des leçons à nos voisins d’outre-Rhin : ils sont maîtres chez eux et font ce que bon leur semble. L’Allemagne, ce n’est pas la France. Et puis c’est juste l’opinion d’un non spécialiste, qui vaut ce qu’elle vaut. Enfin, il n’est jamais interdit de se poser quelques questions.
Quel est donc ce fameux modèle allemand ? Le modèle allemand, c’est deux choses. D’abord, c’est une remarquable machine à exporter. En 2003, le pays est redevenu le leader mondial des exportations, devant même les États-Unis, ce qui semble assez incroyable compte-tenu de la différence de taille, de démographie et de richesse entre les deux pays ! Cédant au mirage de la balance commerciale, les Allemands se gargarisent de ces résultats impressionnants...
Le modèle allemand, c’est ensuite une implacable austérité. Personnellement, je ne minaude pas sur la modération des dépenses publiques, contrairement à d’autres qui semblent croire qu’il faut des déficits abyssaux pour tirer l’économie ! En revanche, l’austérité allemande consiste aussi à comprimer la demande intérieure par une intense politique de modération salariale. On a même parlé de « glaciation salariale allemande » : depuis dix ans, les coûts salariaux allemands ont quasi stagné, sinon régressés, comparés à ceux des autres pays européens. En augmentant la TVA, tout en abaissant les charges salariales, le gouvernement bride la consommation, favorable aux importations, et encourage les exportations. Cette austérité est nécessaire aux succès des exportations allemandes. Or là, je vois mal l’intérêt pour les salariés… C’est comme s’ils se sacrifiaient pour la gloire de leur industrie d’exportation. Mais on ne travaille pas pour la gloire de la patrie, des entreprises ou de je ne sais quelle idée farfelue ; on travaille pour soi et les siens, pour vivre et améliorer ses conditions d’existence – à moins d’être masochiste…
On se plaint souvent que ce modèle allemand n’est rendu possible que par l’euro et qu’il cause beaucoup de tort au reste de l’Union européenne. Pour ce qui est de la France, qui vit sa balance commerciale comme un psychodrame incroyable, je ne vois que trois solutions. (Je pars du principe que l’Allemagne refusera d’abandonner son modèle actuel.)
La première solution est de faire comme l’Allemagne ; on compresse les salaires, on compresse les dépenses publiques, bref, on fait de la déflation compétitive en obtenant peut-être les mêmes résultats à l’exportation, tout en obtenant certainement les mêmes effets sociaux. La seconde est de faire exploser la zone euro, car à quoi bon la maintenir si c’est faire le beurre des Allemands au détriment de l’économie ;et des emplois en France : il faut avoir le courage de ses résolutions parfois ; on récupère le franc et on dévalue, ce qui est toujours à double tranchant, ou bien on expulse l’Allemagne de la monnaie commune, ou encore on crée une monnaie commune concurrente avec d’autres pays. La troisième solution, si elle existe, consiste à laisser les Allemands s’épuiser pour inonder le monde de leurs produits, dans une vaine rivalité avec la Chine qui est d’ores et déjà le premier exportateur mondial, tandis que la France trouve sa propre spécialisation économique dominante, lui permettant de s’intégrer avantageusement dans la mondialisation.
Personnellement, je penche pour la dernière solution. Mais elle exigerait que l’État lâche la bride et arrête d’étouffer l’économie nationale par les réglementations superflues et toutes les charges fiscales qu’il fait peser sur elle. Cette solution aurait au moins le mérite de laisser les Français développer leurs propres forces, tailler leur propre voie, découvrir leur propres talents, s’ériger, enfin, eux-mêmes en modèle, sans devoir se subjuguer devant autrui. Voilà un programme qui devrait emballer tous les patriotes ! Depuis cent cinquante ans, la France n’a cessé de chercher un phare hors d’elle-même, prétexte rêvé pour l’État de s’immiscer dans l’économie afin de la piloter. Il serait peut-être temps de changer de manière. Et non ! le « génie » français ne se résume pas à la Sécu et au soi-disant modèle-social-que-le-monde-entier-nous-envie, sans jamais l’imiter pourtant. C’est comme si la France, faute de développer ses forces productives, s’était spécialisée dans la célébration d’une illusion.
Alors, le modèle allemand vaut peut-être pour l’Allemagne, mais empêche-t-il réellement les Français de faire autrement, pour leur plus grand bonheur ?