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Imbécile chasse aux « spéculateurs »

lundi 10 mai 2010

Puisqu’il paraît qu’il faut faire la chasse aux dépenses publiques inutiles, un bon candidat serait d’éviter de perdre le temps des services de renseignements pour "lutter contre la spéculation", voire "taper sur les doigts de tous ceux qui se comportent mal". Ce genre d’actions, de vocabulaire, traduit surtout l’ambiance de Fort Chabrol qui règne au niveau d’un pouvoir politique et administratif européen qui semble incapable de comprendre ce qui se passe.

Le Monde du jour nous gratifie d’un article exemplaire de cette vulgate grotesque qui ne sert qu’à amuser la galerie et détourner l’attention publique des vrais problèmes. Intitulé "la spéculation, ennemi insaisissable de l’Europe" il mérite d’être cité en exemple. Morceaux choisis.

Le principe de la spéculation est simple : agir en anticipant les variations du marché. Concrètement, un trader achète une marchandise non parce qu’il en a besoin mais parce qu’il pense pouvoir en tirer profit plus tard, grâce à la baisse ou la hausse du marché. A la différence de l’investissement, la spéculation permet de rapporter beaucoup et rapidement, mais elle est risquée.

Avec cette merveilleure définition, mon hypermarché Leclerc est un "spéculateur" parce qu’il achète des marchandises dont il n’a pas besoin, mais parce qu’il pense les vendre plus tard avec un profit. La distinction avec l’investissement est savoureuse : faut-il en déduire qu’un investissement ne rapporte rien, ou seulement très tard, et ne fait courir aucun risque ? La spéculation, je suppose que c’est comme la chasse, il y a la bonne et la mauvaise...

Précisons : actuellement, la personne qui achète un titre de la dette grecque achète un ticket de loto. S’il a de la chance, il aura acheté quelque chose qui lui rapportera beaucoup plus qu’il ne l’a payé. S’il n’en a pas, que la Grèce fait défaut sur sa dette publique à hauteur de 50%, il aura perdu une grosse partie de sa mise. C’est donc un spéculateur. Mais c’est un gentil spéculateur : la preuve, les dirigeants allemands lancent des campagnes de pub pour inciter leurs concitoyens à le faire. En déclarant la main sur le coeur que jamais la Grèce ne fera défaut, les dirigeants européens ne font tous qu’encourager ce comportement. Celui qui par contre s’inquiète, ce doit être un méchant spéculateur qui "attaque l’Europe".

Ce mécanisme devient dangereux quand il ne concerne plus une marchandise, mais ses produits dérivés, perdant alors pied avec la réalité de l’économie. C’est le cas avec la Grèce. Quand les agences de notation ont abaissé la note de la Grèce, les investisseurs traditionnels (Sicav, caisses de retraites, mutuelle...) qui avaient souscrit des emprunts d’Etat ont dû prendre des assurances pour se protéger en cas de défaut de paiement du pays. Ce sont les "crédit défault swap", les CDS : plus le risque de défaut de paiement est grand, plus ces assurances prennent de la valeur.

Oui, la spéculation, c’est dangereux à cause des produits dérivés qui "perdent pied avec la réalité". Parce que les marchandises, elles, ne perdent jamais pied avec la réalité, ou alors, à cause de la spéculation. C’est à se demander pourquoi les prix de l’immobilier en France ont grimpé de 150% entre 1997 et 2007. Quel "produit dérivé" a bien pu causer ce phénomène ? La suite est tellement fausse qu’on ne sait pas par où commencer. D’abord les notations à la baisse des agences n’interviennent que bien après que les actifs aient été dépréciés : les agences ne font que suivre le mouvement. Certes, les dégradations de notes des agences obligent souvent des agents à vendre les actifs concernés, mais c’est à cause de la réglementation qui leur impose d’appliquer ces critères dans leurs portefeuilles. En somme, les responsables de ladite spéculation sont les régulateurs qui ont placé les agences de notation au coeur du système. Ensuite, vient l’habituelle rengaine sur les méchants marchés des CDS (oui, je sais, je sais...).

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